Dans un précédent article, nous avons détaillé la problématique de dégradation des disques de frein de véhicule poids-lourd par fatigue thermique. Une voie d’amélioration réside dans le développement de nouvelles solutions matériau. Nous avons donc étudié les performances de trois fontes grises : une fonte grise commerciale utilisée comme le matériau de référence, une fonte enrichie en azote et une fonte avec un gradient de microstructure composé de fines particules de graphite près de surface et de particules de graphite plus grossières en profondeur. Les performances des matériaux ont été mesurées d’une part sur un tribomètre de freinage pour vérifier leur capacité à assurer un freinage et, d’autre part, sur la machine Thermocracks, conçue pour évaluer la résistance à la fatigue thermique.
Les efforts thermomécaniques induits par un freinage
Pour déterminer les paramètres appropriés pour ces tests et identifier les efforts thermo mécaniques critiques – conduisant à la défaillance de disques de frein de véhicule poids-lourd – un travail préliminaire a été réalisé avec une approche couplée numérique-expérimentale. Un demi-système de freinage d’un tel véhicule avec son disque et les plaquettes a été monté sur un banc d’essai à échelle 1. Les essais ont démontré que les freinages d’arrêt avec une énergie dissipée élevée sont les plus critiques en termes de températures à cœur (360 ° C pour la température maximale à 2 mm de la surface et 260 ° C de différence entres un point à 2 mm sous la surface et le centre d’un pilier de ventilation) et en termes de températures de surface (quatre bandes chaudes sur la surface de frottement conduisant à des gradients thermiques en surface jusqu’à 225 ° C).
Une modélisation thermomécanique a ensuite été effectuée à l’aide du logiciel ANSYS. Dans un premier temps, un calcul thermique a été réalisé en prenant en compte une répartition de flux d’énergie basée sur les bandes chaudes observées expérimentalement et en comparant la valeur de la température à coeur calculée à celle mesurée lors des essais. Dans un second temps, un calcul mécanique a été effectué pour chaque nœud de température à un moment donné. Les résultats montrent que des contraintes résiduelles de traction circonférentielles apparaissent lors du refroidissement qui est en bon accord avec les microfissures radiales observées sur les disques usagés. Les changements microstructuraux remarqués à la surface du disque par examen métallographique montrent que la température de surface est supérieure à 700° C.
Les trois fontes grises testées
Trois nuances de fonte ont été testées. Tout d’abord, une fonte de référence, similaire à celle utilisée pour des disques pour véhicule poids-lourd» commerciaux, soit une fonte grise avec des particules de graphite longues de 500 µm distribuées de façon homogène dans une matrice perlitique (a et b). Ensuite une fonte lamellaire enrichie en azote, qui présente des particules de graphite courbées longues de 200 µm régulièrement distribuées dans une matrice perlitique (c et d). Et enfin une fonte avec un gradient de microstructure dans le sens de l’épaisseur du disque, qui possède près de la surface une matrice perlitique avec des dendrites primaires d’austénite et à cœur, une matrice perlitique. Sur la surface, la longueur du graphite interdendritiques est inférieure à 100 µm. En profondeur, les particules de graphite sont longues de 300 µm.
Les disques requis pour l’étude ont été réalisés dans la Fonderie Expérimentale de CTIF. Le processus d’élaboration de la fonte a été adapté pour modifier la morphologie des particules de graphite.
Comportement au freinage
Le comportement des trois fontes sous sollicitation de freinage a été déterminé en soumettant des disques d’essai à des tests de friction sur un tribomètre de freinage développé au LML. Le disque d’essai a une épaisseur de 8 mm, portée à 20 mm au niveau d’un épaulement périphérique qui matérialise une piste de friction large de 17 mm avec un rayon de friction moyen de 100 mm. La plaquette, réalisée dans une garniture de frein semi-métallique commerciale, a une forme de secteur couvrant 1/9 sur la piste de friction et une largeur de 16 mm. Le coefficient de frottement instantané est calculé à l’aide de la force tangentielle mesurée par un capteur piézoélectrique 3D situé à l’arrière de la plaquette et la valeur de la charge normale appliquée. Une température de masse du disque est mesurée sur le rayon moyen de friction à 2mm sous surface à l’aide d’un thermocouple de type K.
Après un rodage effectué par une série de freinage d’arrêt en conditions « douces », les disques sont soumis à deux séries de tests reproduisant le freinage en service. Une première série de 17 freinages d’arrêt (stop-braking) est effectuée à la charge normale de 800 N et une vitesse initiale de 1000 tr/min avec inertie accrue de 4 à 20 kg.m². Un temps de refroidissement est conservé entre deux freinages d’arrêt consécutifs. Une deuxième série de 15 ralentissements (slow-down) de 1000 à 500 tr/min avec une charge normale de 800N et une inertie de 8 kg.m² est effectuée sans temps de refroidissement pour obtenir l’effet d’accumulation de chaleur.
Au cours de la série de freinage d’arrêt, la température du disque augmente avec l’inertie : depuis une température de 100° C pour le premier test, elle atteint 200° C durant le dernier freinage d’arrêt. Les résultats en termes de température de disque et de coefficient de friction pour les tests avec l’inertie maximale de 20kg.m² sont présentés ci-dessous. Les températures mesurées dans les trois disques sont de 180° C. La fonte de référence présente un coefficient de frottement stabilisé à 0,48. La fonte enrichie à l’azote et la fonte avec gradient de microstructure ont un coefficient de frottement légèrement plus haut, avec des valeurs stabilisées respectivement à 0,50 et 0,55.
La figure ci-dessous présente, quant-à-elle, les résultats en termes de température dans la masse du disque et de coefficient de friction pour les 15 ralentissements de chacune des fontes testées. Les températures maximales en fin de série sont comprises entre 305 et 315 ° C ce qui montre que la réduction de la taille des particules de graphite n’influe pas sur la capacité de stockage de l’énergie lors du freinage. Le coefficient de frottement prend des valeurs comprises entre 0,4 et 0,6 pour toutes les fontes testées. Le coefficient de frottement moyen est égal à 0,4 pour le premier ralentissement de toutes les fontes. Puis, il présente une augmentation et diminue pour revenir à 0,4 pour le dernier ralentissement. Par contre, selon la fonte testée, le coefficient de frottement moyen atteint des valeurs maximales différentes et à différents moments. Pour la fonte de référence, la valeur maximale du coefficient de frottement est 0,45 au 4ème ralentissement. La fonte enrichie en azote montre son coefficient de frottement maximal au 7e ralentissement avec une valeur de 0,53. La fonte avec gradient de microstructure atteint rapidement, dès le second ralentissement, la valeur de coefficient de frottement maximal de 0,55.
Les valeurs stabilisées du coefficient de frottement sont atteintes avec des nombres de freinages différents, selon les phénomènes de localisation thermique survenant lors des essais de freinage. Il a été démontré par ailleurs que les différentes migrations de ces phénomènes sont corrélées avec les ondulations résiduelles présentes initialement à la surface du disque (résultant de l’usinage) et ses déformations résultant de la chaleur dégagée et que l’incidence du matériau n’est pas dominante. Aucun impact significatif de la modification de la morphologie de graphite ne peut être observé lors d’essais de freinage.
Endommagement en freinage
La figure ci-dessus présente des observations réalisées en coupe perpendiculairement au sens de glissement après essais de freinage. Pour la fonte de référence, l’endommagement se compose d’extrusions de la matrice glissant le long des lamelles de graphite qui émergent à la surface.
La fonte à l’azote présente le même type d’endommagement à la surface du disque, ce qui est cohérent avec la morphologie et la taille des lamelles de graphite identiques à celles de la fonte de référence. Enfin, à la surface du disque à gradient de microstructure, aucun endommagement n’est visible à cette échelle ce qui montre l’impact de la réduction de la taille des lamelles sur l’endommagement.
Résistance à la fatigue thermique
La résistance à la fatigue thermique des trois fontes grises a été testée sur la machine ThermoCracks développée par CTIF. Cette machine est constituée d’un roue à la périphérie de laquelle jusqu’à huit éprouvettes peuvent être montées et testées en même temps. Un moteur entraîne la roue en rotation par pas de 45°. Les zones actives des éprouvettes sont successivement soumises à un chauffage par induction pendant 10 s avec une puissance maximale de 18 kW puis à un refroidissement à l’air pulsé pendant 20 s puis à l’air calme pendant 120 s. La durée totale du cycle : chauffage, refroidissement nécessaire pour atteindre à nouveau l’inducteur est la période de rotation de la roue soit 150 s .
Les essais sont effectués sur des échantillons extraits des mêmes disques que précédemment. Ils ont constitués d’un secteur de 60° du disque, assez grand pour que le chauffage n’impacte que le centre de l’échantillon.
Une modélisation thermomécanique de la moitié d’un échantillon a été effectuée à l’aide du logiciel ANSYS. Les paramètres sont ceux de la machine et 6 ° pour l’arc de la zone chauffée, avec 1,1 kW pour la puissance de l’inducteur et 15 W.m-2.K-1 pour le facteur de convection.
La température maximale calculée atteinte en surface après 10 s de chauffage est de 770° C. La figure ci-dessus présente les contraintes circonférentielles respectivement après 10 s de chauffage et le refroidissement à la fin du cycle 150 s. Dans le premier cas, les contraintes sont en compression de – 303 MPa et dans le second cas, elles sont en traction de 40 MPa.
Un test préliminaire a été effectué afin de vérifier la température atteinte dans l’échantillon. L’échantillon a été équipé avec un thermocouple de type K. La puissance de l’inducteur est appliquée pendant 20 cycles de chauffage-refroidissement et la figure ci-dessous montre l’évolution de la température mesurée à 2mm de la surface sur un rayon externe de l’échantillon. Après 8 cycles, le cycle thermique est stabilisé avec une température maximale de 650° C et une température après refroidissement de 200° C. La puissance réelle appliquée est supérieure à celle utilisée pour la simulation (1.1 kW), vraisemblablement du fait d’une imprécision sur le coefficient de convection.
Trois éprouvettes, chacune dans une nuance de fonte -fonte de référence, fonte enrichie en azote, fonte avec un gradient de microstructure, ont été testées jusqu’à apparition de fissures dans tous les cas, soit 70 cycles. La figure suivante présente les observations menées en coupe sur les trois éprouvettes testées.
Les fissures observées sur la fonte de référence (a) et sur la fonte à l’azote (b) se propagent le long des lamelles de graphite comme observé usuellement sur les fontes à graphite lamellaire. Les fissures ont une longueur approximative de 2 mm. Il est également à noter qu’une oxydation se développe entre la matrice et les lamelles de graphite depuis la surface vers le cœur de l’éprouvette.
La fissure observée sur la fonte à gradient de microstructure (c) est plus courte avec une longueur approximative de 0,6 mm. Elle se propage dans une zone graphitique et présente une oxydation importante. La séparation des zones graphitiques par les dendrites issues de l’austénite primaire constitue une barrière et limite la progression de la fissure en rompant la continuité du réseau de lamelle de la surface vers la profondeur.
Intérêt de la fonte à gradient de microstructure
En conclusion, on peut affirmer que la modification de la morphologie de graphite n’a aucun effet significatif sur le comportement au frottement lors d’une succession de freinages d’arrêt ou de freinages de ralentissement. En effet, la réduction de la taille de particules de graphite ne modifie pas la quantité de graphite qui est présente sur la surface de frottement. La propagation des fissures se produit le long des particules de graphite. L’effet le plus important est observé dans le cas de la fonte avec un gradient de microstructure, pour laquelle la réduction de la longueur de particules de graphite limite la propagation de fissures. De plus, ces fissures sont arrêtées par les dendrites primaires d’austénite. Au-delà de la validation de l’intérêt de la fonte avec un gradient de microstructure, cette étude fournit une méthodologie pour l’étude de nouvelles solutions visant à augmenter la durée de vie des disques de frein poids-lourd.
Remerciement au Laboratoire de Mécanique de Lille (LML, Université de Lille 1) et en particulier l’équipe Freinage Contact Surfaces (thèse CTIF).
Bonjour,
C’est avec grand intérêt que j’ai lu les compte-rendus de vos travaux.
Les contraintes auxquelles ont été soumis les disques, sont différentes de celles ( multiples et non pas partielles) mises en jeux dans la réalité : hétérogénéité des échauffements, des refroidissements, des masses mises en œuvre, des structures obtenues en fabrications usuelles…Les essais en vrai grandeur semblent montrer des effets différents de ceux constatés en laboratoire.
Je reste très intéressé. Merci de bien vouloir me tenir informé de la poursuite des essais.
Bien cordialement.
Bonjour André. Nous vous remercions tout d’abord de votre lecture attentive de notre article. Effectivement, les contraintes sur les disques de frein de poids lourd sont multiples et dépendent en particulier des conditions de freinage qui sont très disparates d’un type de route ou d’un type de conducteur à l’autre. Les essais de laboratoire ont le mérite d’être bien documentés, reproductibles et peuvent être instrumentés et faire l’objet de simulation numérique, ce qui est difficilement possible lors d’essais sur route.
Article très intéressant et pertinent. Il y a effectivement un besoin de la communauté freinage de mieux comprendre le comportement des matériaux lors du freinage ainsiq que d’étendre les recherche sur des matériaux de substitution ou nouveaux. Dans ce cadre, nous avons mis au point un système compacte dédié au test des matériaux pour le freinage reproduisant à l’échelle millimétrique les effets macro. Cela permet une prés-sélection des matériaux les plus performants/prometterurs avant un test macro type Dyno Test.
Les détails techniques sont présents au lien suivant: https://www.bruker.com/products/surface-and-dimensional-analysis/tribometers-and-mechanical-testers/umt-tribolab/brake-material-screening-module-umt-tribolab.html
Bonjour Samuel et merci tout d’abord pour votre intérêt manifeste pour notre article sur les nuances de fonte pour les disques de frein. En règle général, nous supprimons sur MetalBlog les liens commerciaux. Mais votre système dédié au test de freinage tombe « pile » dans le sujet de notre article et il nous semble donc tout à fait pertinent de le mentionner.
Bonjour, je suis prof en lycée pro et nous réalisons une moto type endurance et chaque année nous travaillons sur un thème différent. Cela vous intéresse t-il de travailler sur les freins moto ? il faut trouver un compromis entre efficacité / diamètre masse, double ou simple disques (effet gyroscopique).
pour rendre compte des travaux réalisés voici notre page facebook:
https://www.facebook.com/pg/85rmbyteamBLB/videos/?ref=page_internal
Cordialement,