La métallurgie des fontes est basée sur le diagramme fer carbone. Le système Fe-C repose sur deux diagrammes d’équilibre superposés (stable et métastable). On calcule de plus le « Carbone équivalent », qui permet de décrire le comportement du métal liquide lors de la solidification. Enfin, l’inoculation à la coulée produit des particules de graphite de différents types qui permettent d’élaborer des fontes GS et non plus lamellaires. Cet article donne les bases de la compréhension de la solidification des fontes.
Le diagramme d’équilibre fer carbone
A l’équilibre thermodynamique, c’est-à-dire en laissant un temps suffisant aux différentes transformations pour s’effectuer (réarrangement par diffusion des atomes), on peut décrire les phases (une phase étant définie comme un arrangement cristallin donné) susceptibles d’apparaître dans un alliage de deux ou plusieurs éléments simples grâce à un diagramme de phases ou diagramme d’équilibre. Dans ce diagramme d’équilibre, on retrouve la température en ordonnée et la composition en abscisse. On y reporte différents domaines dans lesquels une phase existe ou plusieurs phases coexistent.
Les diagrammes d’équilibre sont particulièrement utiles pour décrire la solidification depuis l’état liquide en partie haute du diagramme. Bien évidemment, les conditions pratiques régnant dans les installations industrielles sont loin de permettre l’atteinte de l’équilibre. Toutefois, les informations tirées des diagrammes d’équilibre restent utilisables, même de manière quantitative. Ne sont affectées par exemple, significativement, que les proportions des différentes phases. De très grandes vitesses de refroidissement conduisent à la formation de phases dites « de trempe », qui ne sont que rarement recherchées dans le cas des fontes (trempe superficielle des pièces par exemple).
Deux diagrammes d’équilibre superposés (stable et métastable)
Le fer et le carbone présentent une grande affinité l’un pour l’autre. Le carbone apparaît sous forme de graphite, mais le diagramme d’équilibre Fer-Carbone montre l’apparition d’un carbure de fer de formule chimique Fe3C nommé cémentite et relativement dur. Ce carbure est métastable c’est-à-dire qu’il va se transformer en fer et en graphite s’il est exposé le temps nécessaire à une température suffisante.
Le système Fe-C est donc décrit par deux diagrammes d’équilibre « superposés », l’un stable, c’est le diagramme Fer-Graphite, l’autre métastable, c’est le diagramme Fer-Carbure de Fer Fe3C. L’un comme l’autre sont basés essentiellement sur une réaction eutectique lors de la solidification, et une réaction eutectoïde à l’état solide (il se produit également une réaction péritectique pour les faibles teneurs en carbone, qui n’a pas d’impact dans le cas des fontes).
Une réaction eutectique se caractérise par l’apparition au cours de la solidification d’une certaine quantité de cristaux de l’un des deux éléments (ici le fer ou le carbone) puis la solidification du liquide restant, à une température constante (d’où le nom eutectique).
De même, une réaction eutectoïde se caractérise par la décomposition d’une phase homogène en une certaine quantité de l’un des éléments puis, en dessous d’une certaine température, par la décomposition à une échelle très fine du reste du matériau, en un mélange de deux phases stables.
Définition d’une fonte
Par définition on parlera de fonte dans le cas d’un alliage Fe-C titrant plus de 2.03 % de carbone. C’est la teneur limite au-delà de laquelle la fin de la solidification se produit selon le mode eutectique, avec du carbone apparaissant soit sous forme de graphite (fonte grise), soit sous forme de carbure de fer (fonte blanche). La « couleur » grise ou blanche correspond à l’aspect de la surface de rupture, gris ou métallique, par exemple lors d’un essai de traction.
Le carbone équivalent
L’eutectique du système Fe-C est situé à une teneur de 4.23 % de carbone. La présence d’éléments comme le silicium va diminuer cette teneur (par exemple 3.6% pour une teneur de 2% de silicium). Cet effet est pris en compte en calculant à partir de la composition le « Carbone équivalent », qui permet de décrire le comportement du métal liquide lors de la solidification. Selon la position du « Carbone équivalent » de l’alliage par rapport à l’eutectique de 4.23%, la composition sera dite hypo-, eutectique ou hyper-eutectique.
La phase riche en fer apparaissant lors de la solidification (l’austénite, désignée par la lettre grecque γ
) est saturée en carbone et possède une structure cristalline cubique à faces centrées.
L’austénite riche en carbone est une phase métastable et va se transformer selon le mode eutectoïde, en une nouvelle phase de structure cubique centrée (la ferrite, désignée par la lettre grecque α
) et en carbure de fer. La teneur maximale en carbone de la ferrite est très faible, en comparaison de celle de l’austénite. La teneur en carbone du point eutectoïde est de 0.8% et l’eutectoïde proprement dit – constitué d’une alternance fine de lamelles de ferrite (pauvres en carbone) et de cémentite – est nommé perlite.
La forme sous laquelle apparaît le carbone
La solidification d’une fonte commencera donc avec l’apparition à la température du Liquidus (la courbe bordant le domaine liquide en partie haute du diagramme d’équilibre) des premiers cristaux : soit d’austénite (alliage hypoeutectique) soit de graphite (alliage hypereutectique, solidification stable), soit de carbure de fer (alliage hypereutectique, solidification métastable).
A la température du Solidus (la courbe limitant par le haut, le domaine entièrement solide), le liquide restant va se solidifier en masse, sous forme de cellules sphériques (les cellules eutectiques) composées d’austénite et de graphite (ou d’un agrégat d’austénite et de carbure de fer dans le cas d’une fonte blanche, agrégat nommé lédéburite).
Trois facteurs essentiels permettent de fixer selon quel diagramme d’équilibre va se dérouler la solidification d’un alliage Fer-Carbone, et donc sous quelle forme ce carbone va apparaître : il s’agit de la vitesse de refroidissement, de la composition chimique et de l’état physique dans lequel se trouve cet alliage.
Influence de la vitesse de refroidissement
Si la vitesse de refroidissement est faible, la solidification de déroule selon le diagramme stable Fer-Graphite, car on laisse aux atomes de carbone le temps de se séparer des atomes de fer et construire le réseau du graphite. A mesure que la vitesse de refroidissement augmente, c’est le diagramme métastable Fe-Fe3C qui va prendre le pas. On peut passer d’un diagramme à l’autre au cours de la solidification pour obtenir une fonte dite « truitée ».
Ainsi, la pose de refroidisseurs métalliques débouchant à la surface de l’empreinte d’un moule en sable, entrainant une vitesse de solidification localement plus élevée, va provoquer l’apparition de carbures, ce qui permet de renforcer localement une pièce dans les zones devant résister à l’usure, le reste de la pièce restant usinable (paliers de pièces en rotation).
Influence de la composition chimique
Certains éléments chimiques peuvent favoriser l’un ou l’autre des diagrammes. Les éléments pourront ainsi être classés comme graphitisants ou carburigènes. Des phénomènes de ségrégation peuvent provoquer dans les zones de fin de solidification une sur-concentration en éléments chimiques carburigènes : chrome, manganèse et molybdène essentiellement, qui vont faire se terminer la solidification dans le diagramme métastable.
La germination de la fonte
Enfin, les particules de graphite doivent apparaître dans l’alliage liquide grâce à un processus de germination, à partir de germes pouvant être des groupements d’atomes de carbone, des particules d’oxyde, de nitrure,… L’état physique dans lequel se trouve cet alliage (l’état de germination, c’est-à-dire la densité de germes) influe également sur le caractère stable ou métastable de la solidification : un nombre élevé de germes va faciliter la précipitation du Graphite. On peut contrôler cet état par le traitement du métal liquide : surchauffe (destruction des germes existant par un chauffage à haute température), inoculation (introduction de germes artificiels).
L’inoculation se fait grâce à des alliages spécifiquement adaptés à la taille de la pièce (et donc son temps de solidification). En effet, les germes créés étant artificiels, ils vont disparaitre progressivement avec le temps (phénomène d’évanouissement). Il importe donc que la solidification intervienne avant cet évanouissement. Une élaboration correcte du métal et surtout un traitement approprié (inoculation) juste avant ou pendant la coulée permettent d’éviter l’apparition non souhaitée de carbures lors de la solidification. Un traitement thermique dit « d’adoucissement » (quelques heures à 900°C) peut être exigé pour dissoudre ces carbures, extrêmement gênants pour l’usinage.
Bien évidemment, l’addition volontaire d’éléments carburigènes va provoquer l’apparition des seuls carbures et l’obtention d’une fonte blanche, adaptée à des conditions d’usure sévères (boulets de broyeurs, pièces de blindage,…).
La forme des particules de graphite
Dans le cas des fontes grises, sans précaution particulière, le carbone apparaît lors de la solidification de la fonte sous forme de graphite en lamelles (ceci tient au réseau cristallin particulier du graphite). Cette particularité fait de la fonte un matériau fragile, du fait d’un effet d’entaille. Ce comportement peut être admis pour des pièces travaillant essentiellement en compression, en traction jusqu’à une certaine limite, ne travaillant pas au choc et demandant une bonne résistance à l’usure : blocs-cylindres de moteurs, disques et tambours de freins, …
La fonte à graphite sphéroïdale
L’introduction de magnésium dans une fonte liquide a pour effet de diminuer la teneur en soufre et en oxygène, éléments habituellement présents dans la fonte, d’augmenter considérablement la tension superficielle à l’interface graphite-fer et au final, de modifier profondément la forme du graphite, laquelle devient sphéroïdale.
Influence de la shéroïdisation
La sphéroïdisation du graphite a plusieurs conséquences importantes. Du fait de la disparition de l’effet d’entaille associé aux lamelles, le matériau obtenu devient capable de se déformer plastiquement de manière significative. Ce sont les caractéristiques de la matrice (les proportions de ferrite et de perlite, la présence de carbures, voire la présence d’austénite résiduelle ou de phases hors d’équilibre) qui vont déterminer les propriétés de la fonte à graphite sphéroïdal dite « GS ». Parallèlement, du fait de la suppression de l’interconnexion des lamelles de graphite, la résistance à l’oxydation s’améliore mais l’usinabilité, la conductivité thermique et la capacité d’amortissement diminuent.
L’élaboration de la fonte GS
L’élaboration de fontes à graphite sphéroïdal (dites fontes GS) demande une sélection stricte des matières premières à utiliser (afin de limiter la teneur en soufre) ainsi qu’un contrôle des compositions. En particulier une teneur en magnésium résiduel minimale sera nécessaire pour garantir le maintien de la forme sphéroïdale tout au long de la solidification.
Comme dans le cas de l’inoculation, le traitement au magnésium est sujet à un phénomène d’évanouissement : le magnésium est en effet à l’état de vapeur à la température de la fonte liquide et il va donc continuellement s’évaporer et progressivement disparaitre –en même temps que son rôle sphéroïdisant- tant que la fonte sera liquide.
De plus, le magnésium est également susceptible de réagir avec l’oxygène atmosphérique, à la faveur des turbulences (transfert de métal, coulée en moule). Une diminution de la teneur en magnésium résiduel va se traduire par une baisse de la nodularité (la proportion de particules de forme sphérique ou approchée), avec une chute associée de la ductilité. Une nodularité minimale de 80% est souvent demandée, mais des valeurs plus élevées sont requises pour des applications spécifiques.
Par ailleurs, dans le cas des fontes à graphite lamellaire, un germe donnait lieu à la solidification d’une cellule eutectique et donc de plusieurs lamelles de graphite. Au contraire, dans le cas des fontes GS, un germe ne donnera naissance qu’à une seule particule de graphite. Dans le cas de ces fontes, l’inoculation devient donc une opération essentielle pour obtenir les propriétés désirées (en particulier la ductilité) et non plus seulement, empêcher l’apparition de carbures de fer.
Une inoculation insuffisante se traduira par une densité de particules plus faible et donc, le volume de graphite précipité restant approximativement constant, une taille moyenne de particules plus importante. La nodularité va également diminuer en même temps que la densité de sphéroïdes.
Adapter la proportion de ferrite et de perlite
Les proportions de ferrite et de perlite vont permettre de déterminer le niveau de ductilité et de résistance à la rupture de la fonte : la panoplie des fontes GS va ainsi d’une fonte ductile avec 350 MPa de résistance et 22% d’allongement à rupture avec une matrice ferritique, jusqu’à une fonte à matrice perlitique avec une résistance de 900 MPa et un allongement à rupture de 2%.
La proportion visée de ferrite et de perlite est en général obtenue en agissant sur les teneurs en silicium (qui favorise la ferrite, dénommé pour cette raison « alphagène ») d’une part, et en cuivre, en manganèse ou en étain (qui favorisent la perlite) d’autre part. Il est également possible d’ajuster les proportions des deux constituants par traitement thermique, en contrôlant la vitesse de refroidissement depuis l’état austénitique (traitement de normalisation, une vitesse de refroidissement élevée favorisant la perlite).
Les autres types de fonte
D’autres nuances de fontes, dites à matrice ausferritique (mélange intime d’austénite et de ferrite renforcée par une fine dispersion de carbures), sont obtenues par introduction d’éléments d’alliage comme le nickel et le molybdène et par un traitement thermique de trempe étagée. Des couples de résistance (en MPa) –élongation (%) tels que 800-10 ou 1400-1 peuvent être obtenus en ajustant les paramètres du traitement.
Enfin, une nouvelle famille de fontes GS, à matrice ferritique renforcée par addition de silicium, permet d’obtenir des résistances à la rupture jusqu’à 600 MPa, avec l’allongement correspondant porté à 10% (au lieu de 3% pour la variante perlito-ferritique de même résistance).
L’évolution de la fonte
La fonte est un matériau largement utilisé dans l’industrie qui a l’avantage d’être très économique. De nombreuses nuances existent qui répondent ainsi à des besoins clients très variés. Au delà des nuances traditionnelles (fontes à graphite lamellaire, fonte à graphite sphéroïdal), de nouvelles types de fonte se développent pour adresser des besoins à hautes caractéristiques mécaniques. La maîtrise des microstructures (ferrite, perlite, austénite, …), qui s’appuie sur le diagramme fer-carbone et la forme du graphite sont des points de passage importants.
On parlait autrefois (et peut-être encore aujourd’hui car je n’ai pas travaillé sur des fontes depuis longtemps) du phénomène d' »hérédité » qui faisait que 2 fontes grises de même composition et solidifiées dans les mêmes conditions pouvaient avoir des structures (forme du graphite) très différentes. Était-ce une légende, due à la présence d’éléments en très petites quantité qui n’étaient pas détectés à l’époque? ou une réalité encore difficile à expliquer.
Bonjour Franco et merci cette question fort pertinente de la Belle Province sur l' »hérédité » des fontes. Comme il l’a été indiqué dans l’article de Gilles Regheere, la microstructure de la fonte dépend de trois paramètres : la composition, la vitesse de solidification (on parle de « sensibilité à l’épaisseur ») et surtout, de l’état de germination, c’est-à-dire la densité de germes pour amorcer la cristallisation du graphite lors de la solidification. Il est donc parfaitement possible d’obtenir deux microstructures différentes sur une même pièce, avec deux fontes de même composition, mais d’états de germination différents : un temps de maintien plus ou moins long au four ou en poche, une température de surchauffe plus ou moins élevée, une inoculation plus ou moins performante …
L’ « hérédité » des fontes est toutefois un phénomène différent, se traduisant par exemple, par la présence de carbures de fer dans une fonte « grise » élaborée à partir de fonte neuve ou de retours ayant eux-mêmes une structure « blanche », ou la nécessité d’élaborer la fonte à graphite sphéroïdal avec des retours de fonte GS. Tout se passe comme si la fonte gardait une certaine « mémoire » de son état antérieur à la fusion.
La principale explication est justement la différence de densité de germes présents dans la fonte liquide. Cette différence vient du fait que les particules de graphite présentes dans les retours de fonte ne se dissolvent pas complètement lors de l’élaboration : lors de la solidification, ces particules « survivantes » vont jouer le rôle de germes pour le nouveau graphite. On comprend immédiatement que si la fonte recyclée était « blanche » et donc dépourvue de graphite, la densité de germes résultante sera plus faible –voire nulle- et devra donc être compensée par une inoculation (la dispersion de nouveaux germes artificiels) plus performante. Si ce n’est pas le cas, la fonte conservera une structure blanche, par défaut de germes.
Par ailleurs, la présence de certains éléments chimiques, actifs même à faible teneur sur le mode de solidification peut également expliquer l’hérédité « blanche » de la fonte. Comme indiqué dans l’article, les éléments carburigènes (manganèse, chrome, molybdène) ségrégent de manière importante et se concentrent dans les zones de fin de solidification, où ils peuvent faciliter la formation de cémentite, encore une fois, si la densité de germe n’est pas suffisante.
Ah la germination !
A une époque Bien lointaine je me rappelle que mon prof de fonderie jeter une pelleté de sable dans la poche avant de couler la fonte à la « fleur ». L’application était une grille de balcon !
Votre article est très complet et par la même très intéressant
Bien cordialement
Bonjour Philippe et merci d’avoir apprécié cet article de MetalBlog sur la fonte. Et vive les grilles de balcon en fonte.
Bonjour,
Très intéressant article, merci beaucoup ! En revanche, je suis surpris de l’illustration choisie sous la titre « carbone équivalent », issu d’une zone du diagramme de phases Fe-C qui corrspond aux aciers et non aux fontes, me semble-t-il ?
Merci pour cet article très instructif
Bonjour Paul et merci de votre intérêt pour cet article de MetalBlog sur les fontes moulées