Le durcissement structural permet l’obtention des propriétés mécaniques optimum (Rp0.2, allongement, dureté) de nombreux alliages d’aluminium, en particulier des alliages de fonderie. En effet, si on se concentre sur ces derniers, la coulée par gravité représente environ 50% du tonnage des alliages d’aluminium moulés et environ 65% du chiffre d’affaires. Or, de nombreux alliages d’aluminium (Al Si7Mg, Al Si10Mg, …) contiennent du cuivre et ou du silicium et du magnésium, éléments qui permettent de réaliser un traitement thermique (T4, T64, T6, T7) et d’augmenter ainsi les propriétés mécaniques grâce aux mécanismes de durcissement structural objet de cet article.
Les quatre familles de facteurs impactant la qualité des pièces
Les propriétés mécaniques d’une pièce moulée dépendent de plusieurs facteurs qui peuvent être classés globalement en quatre familles. On distingue tout d’abord, la propreté de l’alliage (absence d’inclusions et d’oxydes) puis la compacité des pièces, la finesse de structure (taille de grain, eutectique, composés intermétalliques, …) et enfin le durcissement par précipitation.
Le durcissement par de petites additions d’éléments étrangers
Depuis 1909 et les travaux de A. Wilm, on sait que l’aluminium peut être durci par de petites additions d’éléments étrangers (cuivre, magnésium, silicium, zinc, …) et en appliquant un traitement thermique. Le mécanisme de durcissement des alliages d’aluminium est un durcissement structural dont l’origine a été identifiée indépendamment par Guinier et Preston. Pour les alliages Duralumin (Al-Cu-Mg), le durcissement est obtenu à partir d’amas (zones G.P.) qui évoluent vers des précipités de plus en plus gros et incohérents (Al2Cu-q’ puis Al2Cu-Q). De nombreuses études traitent des propriétés des alliages d’aluminium moulés, en particulier de l’influence de la teneur en fer, de la vitesse de refroidissement, de la relation entre microstructure et caractéristiques mécaniques ou encore de l’effet du traitement thermique. De même, le durcissement des alliages et les différents mécanismes mis en jeu sont bien décris.
Le durcissement obtenu en bloquant les dislocations
La déformation des alliages met en jeu un défaut de structure : les dislocations. Le durcissement est obtenu si on arrive à « ralentir » ou à « bloquer » ces dislocations. Quatre modes de durcissement peuvent être envisagés :
- Ne pas avoir de dislocation dans l’alliage. Or les dislocations sont des défauts thermodynamiquement stables et naturels de la matière cristallisée. Ce mode de durcissement « exotique » ne peut donc se rencontrer qu’exceptionnellement comme par exemple dans les trichites (monocristaux parfaits) ;
- Multiplier le nombre de dislocations afin qu’elles interagissent et se bloquent mutuellement : c’est le principe de l’écrouissage ;
- Freiner le mouvement par distorsion du réseau cristallin. On obtient ce durcissement par effet de solution solide, ou par l’introduction de fins précipités cohérents. Dans ce cas, la dislocation doit couper les précipités ;
- Freiner les dislocations en créant des obstacles que les dislocations doivent contourner :
- En se déformant jusqu’à former des boucles qui restent ancrées sur les précipités (boucles ou mécanisme d’Orowan) ;
- En contournant les précipités, en « montant » (« Climb » mechanism) ;
- En contournant les précipités, en changeant de plan de glissement.
Influence de la taille des précipités
La cohérence des précipités avec la matrice est, entre autres, fonction de la taille des précipités. Plus ceux-ci sont gros, moins ils sont cohérents. Lors du traitement thermique, on observe une distribution de la taille des précipités ainsi qu’une distribution de l’orientation des dislocations. Si bien que le mécanisme de cisaillement et les trois mécanismes de contournement doivent être pris en compte si on veut modéliser le durcissement structural.
Précipitation et durcissement structural
Le traitement de précipitation consiste à faire subir à l’alliage trois traitements successifs. On pratique en premier lieu un traitement de mise en solution qui a pour objectif de mettre en solution le maximum d’éléments d’alliage à la température considérée pour le traitement. Ensuite, on réalise une trempe généralement à l’eau qui permet de conserver à température ambiante, une solution solide sursaturée. Enfin, on complète le traitement par un vieillissement à une température assez basse (160°C – 200°C) qui a pour objectif la formation contrôlée de précipités de taille submicronique. Ces précipités vont constituer des obstacles au mouvement des dislocations et ainsi durcir le matériau. En fonction de la température et de la durée du traitement, les précipités vont prendre différentes formes métastables pour aboutir finalement à une forme stable.
Les alliages Al Si7Mg et les alliages contenant du cuivre
Dans les alliages Al Si7Mg, comme d’ailleurs dans les alliages de la série 6000 (6061 par exemple), la séquence de précipitation généralement admise est : SSS –> GP –> β’’ –> β’ –> β-Mg2Si où SSS désigne la solution solide sursaturée et GP les zones de Guinier Preston. Dans les alliages contenant du Cu en plus du Si et du Mg, une précipitation de θ’’ et θ’ (forme métastable de θ-Al2Cu) due à la présence de Cu et de S’ (Al2CuMg) et β’’ due à l’addition de Mg et Si déja mentionnée. L’identification des précipités est toutefois très compliquée car θ’, S’ et β’’ sont toutes des particules en forme d’aiguilles alignées dans les directions <100> de la matrice. Les travaux d’Eskin ont montré que les meilleures propriétés mécaniques correspondent à la présence de tous ces précipités. Toutefois, ce résultat n’est pas confirmé par l’identification par diffraction électronique des phases, mais par la morphologie des précipités.
Reif et al. ont ainsi montré que, sur des alliages AlSi9Cu3,5Mg0,5, le durcissement maximum était obtenu par la présence simultanée de précipités θ’ sous forme de plaquettes alignées dans les directions <100> de la matrice, atteignant des longueurs de 200 nm et de précipités S’ (Al2CuMg) de 80 nm au maximum. Comme indiqué précédemment, les précipités constituent des obstacles au mouvement des dislocations. Lorsque les précipités sont très petits et cohérents avec la matrice, ils peuvent être cisaillés par les dislocations. Lorsqu’ils deviennent plus gros et incohérents, les dislocations les contournent alors selon le mécanisme d’Orowan.
Impact sur la limite d’élasticité
Les contributions à la limite d’élasticité (Rp0,2 ou YS en anglais) dues au cisaillement des précipités (ΔYSs , s comme « shearing particles ») et à leur contournement (ΔYSb, b comme « bypassing particles ») sont données respectivement par ΔYSs = cs.(fv.r)1/2 et ΔYSb = cb.(fv)1/2/r où cs et cb sont des constantes caractéristiques du matériau, fv est la fraction volumique de précipités et r est le rayon moyen des précipités. Le cisaillement des précipités conduit ainsi à une augmentation de la limite d’élasticité avec le temps de vieillissement, puisque la taille et la fraction volumique des précipités augmentent alors.
Le contournement qui intervient pratiquement lorsque tous les précipités sont formés (fv = constant) entraîne une diminution de la limite d’élasticité avec le temps, du fait du grossissement des précipités. Ces deux contributions interviennent toutefois simultanément. Shercliff et Ashby proposent alors d’effectuer une moyenne harmonique de ces deux contributions pour déterminer la contribution totale des précipités : ΔYSppt = [1/ΔYSs + 1/ΔYSc]-1
Pas de modèle universel d’explication du durcissement
A ce jour, il n’y a pas de modèle universel du durcissement alors qu’un tel modèle serait très utile, tant industriellement qu’en R&D. Ceci explique le foisonnement de projets de R&D dans le domaine du durcissement, en particulier des alliages d’aluminium. Afin de prédire dureté, allongement, résistance à la rupture, limite d’élasticité …, un tel modèle devrait prendre en compte la composition chimique, la durée et la température de mise solution, les conditions de trempe (vitesse de trempe) et enfin la durée et la température de vieillissement. La mise en équation des mécanismes de durcissement est très complexe et la résolution des équations par simulation numérique nécessite des capacités de calcul inexistantes ou chères jusqu’à récemment. Néanmoins, des approches simples et opérationnelles ont été proposées et depuis quelques années des modèles plus fondamentaux sont à l’étude.
Relations empiriques de Drouzy
Parmi les modèles simples (macroscopiques), on trouve les relations établies par Drouzy et alii. (CTIF) dans les années 1970 pour les Al Si7Mg traités thermiquement :
Q = Rm+150 log (A%) . Q est l’indice de qualité
Rp0,2 =Rm-60 log (A%)-13
Rp0,2 = 3*HB-80
Rp0,2 =M*{1+exp[-0,2*(ln(t150/48))2]}
M=147*ln[ln(100*Mg%)]-48
t150=t*2(θ/10-15) où θ est la température de vieillissement (en °C) et t la durée de vieillissement (h). Ces relations se sont révélées très utiles pour l’interprétation des essais de traction.
La petite histoire de l’indice de qualité
La genèse de l’indice de Qualité a été rapportée par Sylvain Jacob : « Pour la petite histoire, cela a commencé dans le bureau que nous partagions Michel Drouzy et moi avenue Raphaël (CTIF). Nous avions accumulé beaucoup de résultats sur l’AS7G, venant de différentes études sur le traitement thermique, le masselottage, les zones d’action, les relations entre Rm, A% et Rp0.2, etc. Pour la prédiction de Rp0.2 à partir de Rm et de A%, le cas de l’AS7G posait un problème, celui du traitement thermique qui faisait varier Rm et A% en sens opposé. Je venais de lire un rapport du CTAl (Centre technique de l’Aluminium), où Jean Morice avait publié un graphique dont l’axe des abscisses comportait la somme Rm + A% (je ne me rappelle plus très bien le contenu de l’axe des ordonnées). Michel Drouzy a aussitôt exploité cette information, et quelques jours plus tard, il m’a dit « 150 ». C’est le coefficient qu’il avait calculé en utilisant non pas A%, mais log A%, l’allongement étant par essence une grandeur logarithmique. De plus, cela lissait bien les courbes et permettait d’obtenir de meilleures corrélations. L’indice de qualité venait de naître, au milieu des années 1970, 1973 ou 1974 je crois, et nous ne pensions pas qu’on en parlerait encore au 21ème siècle. La suite a consisté en essais divers avec Michel Richard afin de confirmer la pertinence des diagnostics effectués en utilisant les 2 notions Q et E. En particulier, Michel Drouzy avait effectué des essais avec l’Al Cu5MgTi pour voir si cette notion s’appliquait. Sans succès, car le fait de faire varier le traitement thermique pour une éprouvette de « santé » donnée conduisait à 2 valeurs distinctes de Q, contrairement aux AS7G. ».
Loi de Hollomon et loi de Ludwick
La notion d’indice de qualité a été reprise et développée plus récemment, entre autres par Campbell et Tiryakogliu ainsi que par Cáceres. Ces travaux montrent que la relation Q = Rm+150 log (A%) peut se déduire de la loi de Hollomon : s = K en où n est le coefficient d’écrouissage. La loi de Hollomon néglige la partie élastique, la loi de Ludwick généralise la loi de Hollomon en tenant compte de la partie élastique : s = se + K en . Une autre relation a été proposée entre dureté et limite d’élasticité obtenue à partir de la loi de Hollomon : Rp0,2 = 2,95*HB*(0,065)n où n est le coefficient d’écrouissage. Cette relation dérive de la relation « historique » Rp0,2 =3HB. Dans cette référence, les auteurs rapportent les valeurs du coefficient d’écrouissage, 0,088 pour l’alliage A356 (Al Si7Mg0,3) et 0,078 pour l’alliage A357 (Al Si7Mg0,6).
Par contre, l’extension de ces relations à d’autres alliages, Al Cu ou Al SiCu, semble peu optimiste. Des essais ont été réalisés par Pechiney sur les AlSi7Cu1Mg bas fer sans succès. De même, en se basant sur son approche théorique, Caceres considère que la notion d’indice de qualité s’applique bien au durcissement structural par Mg2Si, mais pas par Al2Cu ou Al2CuMg.
Modèle de Rometsch et Schaffer
Le modèle considéré ici a initialement été proposé par Caceres et alii pour les alliages type Al-Si7-Mg soumis à un traitement de durcissement structural. Ce modèle a été repris et développé par Rometsch et Schaffer. Les prédictions de ce modèle sont fondées sur la méthodologie proposée par Shercliff et Ashby pour les alliages de corroyage, principalement le 6061. La limite d’élasticité (YS pour Yield Strength) d’un alliage Al Si7Mg est la somme de différentes contributions. Appliqué aux alliages type Al-Si7-Mg, ce modèle conduit à :
YSt = YS0 + ΔYSSi + ΔYSFe + ΔYSss,Si + ΔYSss,Mg + ΔYSppt,Si + ΔYSppt,Mg-Si où
YS0 est la limite d’élasticité « intrinsèque » de l’aluminium pur, ΔYSSi est la contribution des particules de silicium eutectique, ΔYSFe est la contribution des différents composés intermétalliques riches en Fe, ΔYSss,Si est la contribution du silicium au durcissement de la solution solide, ΔYSss,Mg est la contribution du magnésium au durcissement de la solution solide,
ΔYSppt,Si est la contribution des précipités de silicium dans la matrice d’aluminium et enfin ΔYSppt,Mg-Si est la contribution des précipités de Mg2Si dans la matrice d’aluminium.
L’indice de qualité, toujours utilisé
Bien que les bases des relations établies par Campbell, Caceres ou Rometsch et Schaffer soient physiquement plus solides que celles établies par Drouzy et alii, ces dernières relations restent plus simples d’emploi. Et l’indice de qualité reste encore à ce jour mondialement utilisé.