Des « 7 Samouraïs » de Akira Kurozawa à « Kill Bill » de Quentin Tarantino en passant par de nombreux autres films, série et livres , les sabres japonais (ou katanas) sont entré dans notre imaginaire en raison de leur esthétique, de leur tranchant et du mystère entourant le moyen-âge japonais. Dans cet article, nous retraçons l’historique des sabres Katana, mais surtout leurs techniques de fabrication par forgeage très particulière.
Une dureté très élevé sans fragilité
Comme les épées vikings Ulfberht et les lames en acier de Damas, les Katanas sont avant tout des lames en acier forgé alliant une dureté très élevée du fil à une absence de fragilité de la lame. Pour les katanas, le procédé – y compris « l’acier » utilisés pour leur fabrication – ont été développés au Japon sans lien direct avec les fameux aciers de Damas, ce qui ne semble pas le cas des épées Ulfberht pour lesquelles l’acier utilisé venait d’Iran par la Volga.
Le Katana, très technique, mais aussi spirituel
Si le sabre Katana est une arme de haute technicité, c’est aussi aussi une œuvre d’art et une œuvre spirituelle. En effet, tant la production de l’acier que la fabrication du sabre sont associées à des rites religieux. En particulier le forgeage de la lame associe les cinq éléments du Shintoïsme : terre, métal, bois, feu et eau. La fabrication de la lame requérait du forgeron tempérance et chasteté durant toute la durée du forgeage. Il n’est pas sûr que cette tradition soit encore respectée par les forgerons modernes, mais la forge reste un lieu sacré protégé des esprits malins par une corde sacrée. Enfin, lors des étapes importantes de la fabrication, le forgeron fait appel aux divinités Shinto, les kamis. Aujourd’hui encore, le forgeage des lames modernes conserve ces trois aspects : technique, art et rites. Bien que les techniques de fabrication remontent au VIIème siècle, on ne peut pas parler du Katana au passé tant l’arme des samouraïs est encore prégnante dans la culture du Japon moderne.
La sidérurgie au Japon
On ne peut pas parler des sabres japonais sans aborder le développement de la sidérurgie au Japon. Les origines de la sidérurgie au Japon sont mal connues (entre le IIème et le Vème siècle). Néanmoins, il semble que le Japon ait importé les techniques sidérurgiques depuis la Corée, laquelle les détenait de la Chine (début de l’âge de fer en Chine vers les VIIème/VIIIème siècles av J.C.). Si les techniques sidérurgiques chinoises sont bien documentées, les techniques utilisés au Japon sont hypothétiques au moins jusqu’au VIIIème siècle après J.C, avec l’émergence d’un procédé spécifiquement japonais : le procédé « Tatara ».
Le Tatara désigne un fourneau permettant d’obtenir acier, fer forgé et fonte à partir de fer alluvial et de charbon de bois. Ce fourneau léger et provisoire est totalement adapté aux sidérurgistes itinérants alors de tradition. Entre le VIIIème et le Xème siècles, la production d’acier s’accélère concomitamment à l’essor des sabres et armures.
Ce n’est qu’au XIVème siècle que les sidérurgistes, jusqu’alors itinérants, se sédentarisent conduisant à l’émergence de structures semi industrielles entre le XVème et le XIXème siècles (période Edo) et le développement du procédé Tatara-buki. Loin de rester isolée, au XVIIème siècle, la sidérurgie japonaise s’enrichit des techniques européennes. La durée du Tatara-buki est de quatre jours et demi, incluant la fabrication du fourneau et les rites religieux associés au process d’élaboration de l’acier. Aujourd’hui encore, la fabrication d’un katana mêle étroitement religieux et métallurgie.
La teneur en carbone de l’acier obtenu titre entre 0 et 4% (fonte) en raison de l’hétérogénéité de température dans ce type de fourneau (entre 1200 et 1500°C). Seule la moitié de l’acier obtenu permet de fabriquer les sabres avec une teneur en carbone entre 0,6 et 1,5%. Pour des sabres de haute qualité, la teneur en carbone devait être entre 1 et 1,2% qui ne représente alors plus qu’un tiers de l’acier obtenu ! La masse de métal obtenue est ensuite éclatée avec un pilon afin de séparer les différentes teneurs en carbone.
Acier de Damas
Souvent considéré à tort comme un acier de Damas, « l’acier » utilisé pour la fabrication des sabres Katana est une association de nuances d’aciers différents et spécifiques. A contrario, l’acier de Damas (ou Wootz avant transformation), est constitué de grains d’austénite entourés de cémentite. Initialement obtenue par refroidissement lent dans un creuset, la structure apparaît sous forme d’anneaux concentriques. Après forgeage, ces anneaux conduisent à la macrostructure typique des aciers damassés. Malgré la teneur élevée en carbone (1,54 à 2%), la ductilité de cet acier reste élevée grâce à un forgeage qui permet de disperser le réseau de cémentite. Au final, les lames obtenues présentent un tranchant exceptionnel sans qu’elles ne soient trop fragiles. Il est possible d’atteindre un autre compromis élasticité-dureté en associant des barres de différentes nuances d’acier (damas de corroyage). L’ensemble est ensuite torsadé puis forgés. Le tranchant est obtenu en soudant un acier à haute teneur en carbone sur la lame obtenue.
Le sabre japonais
La technique traditionnelle du sabre japonais remonte au XIIIème siècle. Elle consiste à enserrer un acier peu carburé, le shingane, à l’intérieur d’un acier à haute teneur en carbone (0,8%), le kawagane.
Une variante à trois acier (hon-sanmai-gitae), met en œuvre un acier dur pour le tranchant. Pour chacune des nuances utilisées, un lopin est forgé avant leur association. Ce forgeage consiste à étirer et à replier le lopin sur lui-même un grande nombre de fois comme pour obtenir une pâte feuilletée. Le shingame est ainsi étiré et replié au moins 10 fois et le kawagane au moins 13 fois. Le nombre de pliage est limité à la fois par la diminution de la teneur en carbone et par l’homogénéisation de la structure préjudiciable à l’esthétique de la lame. En pratique, on se limite le plus souvent à 15 pliages.
L’aspect final de la lame dépend en grande partie de cette étape de feuilletage. Ainsi, si le pliage est réalisé toujours suivant le sens long et que la face non martelée est retenue pour la face de la lame, la face de la lame présentera alors une structure fibrée (ou mazame). Au contraire, si le lopin est forgé avec une alternance de pliages longitudinaux et transversaux et que la face de la lame est la face martelée, la lame présentera une structure granulée (ou itame).
Les impuretés résiduelles (inclusions) sont néfastes au comportement mécanique de la lame. Le forgeron cherche à les éliminer des zones vitales telles que le tranchant. Par contre, dans le reste de la lame, elles participent à son esthétique. Le soudage des différentes nuances est obtenu lors du forgeage (chauffage+étirage) de la lame après la formation du sandwich. L’opération finale avant le polissage et l’affutage est une trempe sélective qui confère à la lame son tranchant et participe aussi à l’esthétique. Pour cela, le forgeron enduit la partie haute de la lame d’une barbotine d’argile et de charbon de bois. Cette couche limite tant la température avant la trempe que la vitesse de trempe, et suivant son épaisseur, la trempe est différente. La partie protégée garde donc son élasticité alors que le tranchant présente une structure martensitique lui conférant son tranchant.
La ligne de démarcation entre la partie haute et le tranchant (le hamon) est contrôlée par plusieurs paramètres : la teneur en carbone du kawagane, les épaisseurs d’argile déposées sur la partie haute ou le différentiel de température entre les différentes parties de la lame avant la trempe. Ce n’est qu’après le polissage que tous les éléments esthétiques de la lame, fibrage, inclusion, hamon, peuvent être observés. Le dernier élément esthétique du katana, son galbe, est obtenu lors de la trempe et fini par forgeage post-trempe.
Le travail à la forge
Aussi passionnants que soient les rituels, nous n’abordons ici que la technique développée par les forgerons japonais pour obtenir leurs lames. L’acier issu du tatara (tama-hagane) titre rarement la teneur en carbone nécessaire tant au shingane qu’au kawagane. De plus, il contient des impuretés qu’il faut éliminer au mieux.
Mise au titre
Afin d’obtenir le kawagane, le forgeron doit généralement recarburer le tama-hagane. Au contraire, l’obtention du shingane nécessite la décarburation du tama-hagane. Ces deux opérations mettent en œuvre l’équilibre classique carbone –oxygène du sidérurgiste en utilisant charbon de bois et soufflet. L’acier obtenu par décarburation ou recarburation, l’oroshigane, contient des impuretés qui doivent être éliminées avant forgeage.
Purification de l’oroshigane
La purification s’effectue par chauffage et battage. Après fragmentation, le forgeron dispose de petites plaques de 2 à 3 cm de côté et de 6 mm d’épaisseur environ. La qualité de l’acier est évaluée par l’aspect de leur cassure. Ces plaques sont disposées en plusieurs tas sur une spatule en oroshigane emmanché d’un manche en acier. La longueur de cet empilement peut atteindre 12 cm et peser 3,5 kg. L’ensemble est solidarisé par une feuille en papier de riz pour le transport vers le foyer de la forge. Après plusieurs cycles de martelage à 1300°C (température estimée par le forgeron d’après la couleur de l’alliage), on obtient un lingot propre au « feuilletage ».
Feuilletage du kawagane et du shingane
La succession des cycles de chauffages-pliages nécessaires au feuilletage entraine la décarburation de l’acier en particulier du kawagane. Pour limiter cette décarburation, le lingot est enrobé avec une barbotine d’argile et de la cendre de paille (similaire aux couches utilisées en cire perdue). L’opération de feuilletage s’accompagne d’une perte au feu supérieure à 50%.
Fabrication du sandwich
A l’issue de l’opération précédente, le forgeron dispose d’un lingot de 35 cm de long. Le kawagane est le plus souvent formé en U (procédé kobuse). Le shingane est travaillé pour adapter sa forme à celle du kawagane. Il est ensuite inséré dans ce dernier, légèrement en retrait. L’ensemble est chauffé à 1300°C afin de souder les deux nuances. Le sandwich ainsi obtenu est le tsukurikomi.
Forgeage de la lame
La première étape du forgeage consiste à étirer le tsukurikomi jusqu’à 90% de la longueur finale avec une épaisseur supérieure à l’épaisseur finale. Cette ébauche – appelée sunobe – est ensuite façonnée en hauteur et profil, pour obtenir la lame (hizukuri). La préforme est d’abord étirée longitudinalement. Pour cela, le sunobe est chauffé à 1100°C (jaune) et forgé rapidement jusqu’à ce que la température atteigne 700°C (rouge). La lame est ensuite réchauffée par tronçon pour la travailler sur sa hauteur. Le forgeron commence par la pointe et remonte vers la garde. Afin d’obtenir une lame plate, le forgeron travaille alternativement les deux faces. A ce stade le tranchant n’est qu’ébauché et présente une épaisseur de 2,5 mm. La lame subi alors les premières étapes de finition (shiage). Les irrégularités superficielles sont éliminées à l’aide d’un outil à deux mains, le sen. Le tranchant et le dos sont amincis à la lime et l’ensemble de la lame est polie grossièrement. La lame présente alors toutes les lignes et détails de son esthétique finale que la trempe va révéler.
La trempe
Pour la trempe (yaki-ire), l’ensemble de la lame est enduite d’une barbotine d’argile (isolant), de charbon de bois (régulateur thermique) et de grès pulvérulent, omura (pour la tenue mécanique). La rugosité obtenue après le polissage grossier permet l’adhérence de cette barbotine sur l’acier. C’est en jouant sur les épaisseurs de cette couche et la trempe que le forgeron va obtenir la dureté du tranchant, la souplesse et la courbure de la lame et enfin les figures décoratives. Très fine sur le tranchant, l’épaisseur atteint 6 mm en partie supérieure de la la lame et sur le dos. Le forgeron va appliquer des stries de barbotine sur le tranchant perpendiculairement au fil. Ces stries permettent d’obtenir, après la trempe, des fine zones de perlite qui garantissent l’intégrité du tranchant du sabre au combat. La trempe est traditionnellement réalisée de nuit. En effet, l’obscurité permet une meilleure estimation de la température par le forgeron.
Le dos de la lame est posé sur un lit de menu charbon de bois. Le forgeron active le feu à l’aide du soufflet tout en déplaçant la lame dans le sens de sa longueur. Lorsque la température atteint 700°C, le forgeron retourne la lame, tranchant coté feu, et continue les mouvements de va et vient pour conserver homogénéité de température sur la longueur. Ce n’est que lorsque le tranchant prend une couleur orangée que le forgeron réalise la trempe en plongeant la lame dans un bac d’eau, le tranchant vers le bas.
La finition du sabre
Le forgeron va ensuite affiner la courbure (sorinahoshi) de la lame en la forgeant sur un bloc de cuivre chauffé au rouge. Il effectue un polissage grossier qui encadre le travail ultérieur du polisseur. L’esthétique est la création du forgeron. Parfois, il incise des gorges dans la partie supérieure de la lame pour l’alléger et la décorer et accessoirement favoriser l’écoulement du sang. Après avoir finalisé la soie (nagako) et percé l’œillet de fixation de la poignée (mekugi-ana), le forgeron signe sa lame (mei). La finition est le travail du polisseur (togishi). Sous forme de pierre et/ou de poudre, une dizaine de finesses de produit sont utilisées pour permettre au polisseur de révéler l’âme du sabre créée par le forgeron. Partie de 4 kg, après plus d’un mois d’effort, la lame pèse alors moins de 2 kg.
Une maîtrise sans instruments de mesure
Ce survol de la fabrication des sabres katanas illustre la maîtrise du travail du fer de ces forgerons qui n’utilisent aucun instrument moderne (spectromètre, thermocouple…). Sans connaissance métallurgique « théorique », les forgerons du passé, japonais en particulier, ont su développer des nuances d’aciers différentes et surtout les reproduire et en transmettre le savoir-faire. Ils ont aussi inventé les multimatériaux/inserts qu’on redécouvrent depuis quelques années. Enfin, le travail se faisant à même le sol – dans des positions a priori inconfortables – les forgerons et surtout les polisseurs ont développé des attitudes de travail les préservant des troubles musculo-squelettiques, bien avant que les « TMS » soient identifiés dans l’industrie !
Ils étaient loin d’être bête ? !
Bonjour Damien. Oui, la transmission des savoir-faire pointus sans connaissances theoriques est toujours bluffante.
Tout un art, magnifique à regarder faire. J’ai pu assister (il y a longtemps) à une démonstration de trempe à Montréal organisée par le forgeron Pierre Nadeau http://soulsmithing.com/fr/2006/12/event-demo-quench-hardening-of-a-japanese-sword/
Pour ma part, j’ai assisté à un nombre incalculable de séances de forge et de trempe avec le forgeron Van Uuyis (aka mon papa) http://www.vanuuyis.com
Il a passé des années à s’approprier ces techniques de forge japonaises. Et dernièrement, il s’est tourné justement vers le wootz (ou acier de Damas) évoqué plus haut dans l’article. Résultat: des pièces absolument magnifiques à apprécier sur son site.
Bonjour Hugo et merci pour votre lien qui permet de prolonger notre article et se rendre compte que des artisans hexagonaux maitrisent aussi ces technologies de forge traditionnelle.
Bonjour Jean-François. Oui, un art et une technique et en meme temps un art de vivre, ce qui en fait quelque chose d’unique (comme la cérémonie du thé, …). Merci pour votre lien.
Effectivement. souvenirs-souvenirs.
ULFBERHT : voir l’étude d’A. WILLIAMS dans GLADIUS t. XXI. (http://gladius.revistas.csic.es/index.php/gladius/article/viewFile/218/222) – Certaines étaient issues de lingot d’acier « au creuset ».
Bonjour Antoine et merci pour votre lien vers l’article sur les épées Viking. On comprend mieux comment ils ont terrorisé le reste de l’Europe avec leur Drakkar et leurs armements…
Article très intéressant qui m’a beaucoup appris. Je possède un sabre japonais de la forge de Artkatana. Je sais que il ne provient pas du japon car il est très difficile voir impossible de sortir un sabre tranchant neuf du japon.
Mon sabre est une forge Kobuse et l’explication est parfaite. Je pense que c’est une des meilleurs structures qui existent.
Merci encore pour l’explication très clair
Bonjour Mika et merci pour avoir apprécié notre article de MetalBlog sur les sabres japonais.
Excellent article!
Bonjour François et merci d’avoir apprécié notre article de MetalBlog sur la métallurgie des sabres japonais.
il existe un grand spécialiste français du sabre japonnais :François Payen de la Garanderie.Il en fabrique de A à Z et le résultat est spectaculaire.
Bonjour Jean-Claude et merci pour cette information.
Il était chirurgien dentiste au Havre mais je ne sais pas ce qu’il est devenu aprés sa retraite…
Peut etre est il parti au Japon dont il pratiquait la langue !
Bonjour Jean-Claude et merci de cette information. On lui souhaite donc une bonne retraite.
Un article fascinant sur la merveille métallurgique du sabre japonais ! Merci à l’auteur pour cette plongée captivante dans l’art de la forge. Si vous souhaitez en savoir plus sur les différents types d’acier d’une lame japonaise, je vous recommande de consulter cet article informatif sur les katanas https://www.katanas-samurai.com/Les-differents-types-d-acier-d-une-lame-japonaise-ccnaaaaaa.asp .Les aciers traditionnels japonais sont le cœur même de l’art millénaire de la forge des lames. Réputés pour leur qualité exceptionnelle, ces aciers résultent d’une fusion délicate entre tradition et savoir-faire artisanal. Chaque alliage, méticuleusement élaboré, confère aux lames une combinaison unique de résistance, de tranchant aiguisé et de flexibilité. Découvrir les secrets de ces aciers, symboles de la perfection artisanale japonaise, offre un voyage fascinant au cœur de la tradition et de l’excellence !
Merci encore pour tes précisions
Bonjour Michael et merci de vos commentaires éclairés sur l’acier des sabres japonais et l’article en lien. Nous sommes bien d’accord avec vous : les technologies développées pour la fabrication des lames katanas sont fascinantes car totalement maitrisées et en même temps ancrées dans la tradition et le savoir-faire artisanale.