La dégradation des réfractaires peut avoir plusieurs conséquences néfastes : la modification du garnissage par dégradation thermique, la baisse du rendement thermique et électrique du four (due à l’infiltration du métal dans le réfractaire), la dégradation physique du réfractaire (pouvant entraîner la formation de points durs et à l’extrême, le corindonnage du four et sa destruction) et enfin la dégradation mécanique par les outils, entraînant la formation d’inclusions. Le réfractaire doit donc être l’objet de l’attention du fondeur, qui doit intervenir dès les premiers signes de dégradation, voire avant celle-ci en nettoyant régulièrement la surface du réfractaire.
Dégradation thermique d’ouvreaux de brûleurs
La dégradation thermique peut être illustrée par l’exemple d’ouvreaux de brûleur réalisés avec un réfractaire silico-alumineux. Initialement, le prix du matériau augmentant avec la teneur en alumine, les ouvreaux ont été réalisés avec une teneur de 68 % en alumine. Après quelques heures de fonctionnement, on a observé une détérioration marquée des ouvreaux. Lors du remplacement du matériau, le choix s’est porté sur une teneur en alumine de 90 %. La tenue des ouvreaux s’est nettement améliorée mais avec un surcoût.
Or la simple prise en considération de la température locale (1600-1700°C) et l’examen du diagramme d’équilibre Al2O3-SiO2 auraient permis de limiter le surcoût dès la réalisation du premier garnissage. En effet, en dessous de 72 % en alumine, une phase liquide apparaît dès 1587°C. La teneur de 68 % ne pouvait donc pas convenir. Au-dessus de 75 % en alumine, la phase liquide n’apparaît qu’à partir de 1828°C. Une teneur en alumine supérieure à 75 % était donc impérative. C’est pourquoi, la solution optimum est une teneur en alumine de 80 % pour une zone qui n’est pas en contact avec le métal liquide.
Dégradation thermomécanique
Toute variation brusque de la température d’un matériau y induit des contraintes de traction pure (lors d’un abaissement de température) puis de compression (lors d’une élévation de température).
Sous certaines conditions, ces contraintes sont calculables (équation ci-dessus) où E est le module d’Young, α est le coefficient de dilatation thermique, ΔT est la variation de température et ν est le coefficient de Poisson. Ces contraintes peuvent à leur tour induire des fissures qui vont se propager dans le réfractaire, entraîner sa dégradation physique et favoriser la corrosion. Pour limiter la sensibilité aux chocs thermiques, il faut donc jouer sur les différentes variables intervenant dans l’équation : le module d’Young baisse avec la porosité mais reste toujours élevé pour un réfractaire, le coefficient de Poisson est quasi identique pour tous les réfractaires et la variation de température doit être la plus faible possible.
Les cyclages thermiques sont donc à proscrire dans la mesure du possible. Ils expliquent en partie la durée de vie limitée des creusets. Pour un réfractaire, la résistance en traction étant nettement inférieure à sa résistance en compression, les chocs thermiques les plus dangereux sont ceux dus à un refroidissement rapide. Le coefficient de dilatation thermique est le seul paramètre sur lequel on puisse réellement jouer.
Matériaux de réfractaire
Le carbure et le nitrure de silicium sont à cet égard les meilleurs réfractaires. La mullite et l’alumine sont parmi les plus mauvais. La silice vitreuse ayant un coefficient de dilatation quasiment nul mais une réactivité élevée, elle ne peut être utilisée que pour des temps de contact courts et des chocs thermiques violents (accessoires de coulée).
Un faible coefficient de dilatation et une conductivité thermique élevée
Un choc thermique est une variation théoriquement instantanée de la température. En pratique, cette variation prend un certain temps, d’autant plus long que la conductibilité thermique est élevée. Les réfractaires bons conducteurs thermiques (graphite, carbure de silicium) sont donc moins sensibles aux chocs thermiques. En revanche, ils sont difficilement utilisables dans le garnissage d’un four (perte de rendement thermique). Pour limiter les contraintes, il faut avoir un faible coefficient de dilatation et une conductivité thermique élevée.
Limiter la propagation de fissures
On peut également jouer sur la propagation de fissure en augmentant le taux de porosité (qui augmente le rayon de courbure en pointe de fissure et abaisse donc le facteur de concentration de contrainte), en augmentant la finesse du granulat (qui augmente le nombre de joints de grain et favorise la ramification de la fissure), en introduisant des grains allongés (fibres) qui font barrage aux fissures ou enfin en micro-fissurant le matériau à l’aide d’une autre phase (zircone) afin que la fissure disperse son énergie dans les micro-fissures. Ces solutions sont à envisager lorsque le choix du matériau (alumine / mullite) est imposé par d’autres contraintes (« inertie chimique »).
Réaction avec la silice
La corrosion des réfractaires est le mode de dégradation le plus courant. En effet, la très forte affinité de l’aluminium pour l’oxygène conduit à une réaction avec la plupart des oxydes contenus dans le réfractaire (diagramme d’Ellingham). Le mécanisme de corrosion dépend de nombreux paramètres : la nature chimique du réfractaire, la nature du liant, la porosité ouverte, les joints, la cuisson du réfractaire, les additifs présents dans le réfractaire, la réactivité des alliages, la température du métal, les flux utilisés, la capacité, la puissance des fours de fusion ou encore l’entretien des fours.
Les mécanismes d’attaques
Pour les réfractaires alumino-siliceux, la réaction peut se résumer à la formule 4 Al + 3 SiO2 (réfractaire) → 2 A12O3 + 3 Si (en solution). Cette réaction libère beaucoup d’énergie et elle est irréversible. Pour la silice libre (SiO2), cette réaction est non seulement favorable thermodynamiquement mais encore cinétiquement alors que pour la mullite (3 A12O3, 2 SiO2) la réduction par l’aluminium est moins rapide. Elle se poursuit cependant jusqu’à ce qu’il n’y ait plus d’aluminium ou de silice. Considérons le système spinelle (MgAl2O4) / aluminium. Le diagramme d’Ellingham pour les oxydes simples indique que la magnésie MgO est plus stable que l’alumine et ne sera pas réduite par l’aluminium. Il est donc vraisemblable que le spinelle soit stable, puisque composé d’alumine et de magnésie. La réaction de réduction du spinelle par l’aluminium s’écrit MgAl2O4 (réfr.) + Al (liq) = 4 A12O3 (réfr.) + Mg (gaz). Un calcul thermodynamique simple montre que la variation d’énergie libre, à 1000°C, de cette réaction est ΔG = 203 kJ. A priori, la réaction est donc impossible et le spinelle ne doit pas être corrodé.
En fait, cette approche est trop simplificatrice et le spinelle est corrodé tant que la teneur en magnésium du bain est inférieure à 0.38 % massique. Le magnésium étant volatil, il va y avoir compétition entre l’apport de magnésium par la réaction de réduction et son évanouissement. A contrario, il a été montré que le nitrure de silicium, bien que thermodynamiquement corrodable par l’aluminium, se « passive ». Par conséquent l’approche thermodynamique, bien que nécessaire, ne suffit pas à prédire le comportement d’un réfractaire, et des essais sont généralement utiles. Un autre mode de dégradation des réfractaires est la simple oxydation de l’aluminium : 4 Alliq + 3 O2 air = 2 A12O3. Cette réaction peut apparaître dans le cas de réfractaires présentant une forte porosité ouverte. Le métal s’infiltre en effet plus ou moins profondément dans la porosité du réfractaire. Ensuite, au contact avec l’air, il réagit suivant le mécanisme ci-dessus. Le volume du corindon (Al2O3) étant supérieur de 25 % au volume de métal infiltré, il s’ensuit une fissuration du réfractaire qui permet l’infiltration du métal, et donc la propagation de la corrosion, et introduit des morceaux de réfractaire dans le bain (points durs).
Attaque de la silice – manifestation de la réaction
La réaction d’attaque du réfractaire peut se manifester de différentes façons. On peut tout d’abord observer une lente imprégnation du réfractaire, associée à la réaction.
L’ensemble du réfractaire se transforme alors en une masse noire, extrêmement dure, agrégat de corindon et d’aluminium. Cette masse est conductrice de la chaleur et de l’électricité, ce qui, dans le cas d’un four électrique, peut avoir de graves inconvénients. Par ailleurs, sa résistance mécanique est telle que la réfection du four devient extrêmement difficile. Lorsque la teneur en alumine du réfractaire est basse, la dégradation s’accompagne d’un changement de volume. Bien que l’alumine formée lors de la réaction occupe un volume plus faible que la silice initiale, on observe globalement un gonflement et des fissurations. Il est probable que ce phénomène soit dû à l’oxydation du métal qui a pu s’infiltrer dans les vides occasionnés par la réaction entre l’alliage et le réfractaire.
Dans d’autres cas, la réaction peut être uniquement superficielle et se limiter à l’attaque de particules de réfractaire, qui se détachent et forment des inclusions dures. Même lorsque la réaction ne progresse pas en profondeur dans le réfractaire, ce dernier peut servir de catalyseur à l’oxydation de l’alliage par l’air. On voit alors se former des « champignons » d’oxyde sur les parois du four juste au-dessous du niveau du bain. Ces champignons peuvent croître jusqu’à obstruer l’accès du four. La zone superficielle de réaction a en quelque sorte servie de « mèche » pour véhiculer l’aluminium liquide et faciliter son oxydation.
Influence de l’alliage
Les tests de réactivité montrent que la nature de l’alliage influe considérablement sur la corrosion des réfractaires. En particulier, des essais ont été réalisés en posant des pastilles d’Al Si9Cu3 sur un pisé ou un béton alumineux. L’ensemble est porté à 800°C pendant 48 heures. Dans ce test, la réaction est dite « très forte » si tout l’échantillon a été pratiquement absorbé par le réfractaire, « forte » si l’échantillon n’a que partiellement réagi, « moyenne » si l’échantillon attache au support sans que sa masse soit beaucoup affectée, et enfin « nulle » si l’échantillon n’attache pas et que le réfractaire ne présente pas de trace de réaction.
Malgré une dispersion marquée des résultats, Michel Drouzy et Michel Richard du CTIF ont mis en évidence des tendances nettes, schématisées dans la figure ci-contre. La teneur en zinc et en magnésium de l’alliage influent très fortement. En particulier, les alliages purs (A5 et A7) sont très corrosifs. Dès les faibles teneurs (< 0.1 %), le zinc a une influence néfaste. Pour des teneurs moyennes (< 0.4 %), le magnésium a une influence bénéfique et permet de contrecarrer l’effet négatif du zinc. Un rapport Mg/Zn supérieur à 1 conduit ainsi à une corrosion faible. Pour des valeurs inférieures à 0.25 ou 0.3, la réaction devient très intense. Au-delà de 0.4 %, le magnésium favorise la corrosion. Le minimum de réactivité des alliages Al-Mg sans zinc est noté pour une teneur de 0,03 à 0,05 % de magnésium.
Effet de mèche
Certains alliages montrent des amorces de « champignons » à la périphérie de la zone de réaction. Cet effet, appelé « effet de mèche », conduit dans la pratique aux formations vues sur les pastilles avec une réaction « très forte ». Il est possible que ce phénomène soit lié à la mouillabilité du réfractaire par l’aluminium. Plus la température est élevée, plus le réfractaire est mouillable. Ainsi, dans des fours à flamme, on a pu voir du métal monter le long des parois vers les zones chaudes.
Facteurs de réactivité du réfractaire
Il existe de nombreux facteurs de réactivité du réfractaire. Des facteurs intrinsèques au réfractaire lui-même (façonné ou non façonné, granulat utilisé, liant des briques utilisé, pisé, porosité du réfractaire, …) ou extrinsèques (température de l’alliage, type de flux utilisé).
Produits façonnés et non façonnés
Lors de la cuisson, le réfractaire subit des transformations microstructurales. Pour les produits façonnés, la cuisson s’effectuant chez le fabricant de réfractaires, le matériau n’évolue ensuite que très peu dans le four. A l’inverse, les produits non-façonnés évoluent lors de la cuisson dans le four. En particulier, la porosité va considérablement évoluer, puisque la taille moyenne peut être multipliée par 3. Les produits façonnés apparaissent donc comme la meilleure solution de ce point de vue. Néanmoins, les produits non façonnés présentent un grand nombre d’atouts : réfections locales possibles à chaud et à froid, absence de joint (point de corrosion préférentiel), porosité ouverte plus faible. Par conséquent, les produits façonnés et non façonnés trouvent tous deux leur place dans la réalisation d’un garnissage.
Granulats
Il peut arriver que des alumines à 99 % réagissent, alors que des produits argileux présentent une très bonne résistance. Cependant, on a intérêt à rechercher des teneurs en alumine élevées. En dessous de 72 % d’alumine, le réfractaire est constitué de silice et de mullite (Al2O3, 1 à 2 SiO2) qui réagissent avec l’aluminium : ce type de réfractaire est donc à éviter. Au-dessus de 75 % d’alumine, le réfractaire est constitué de corindon (inerte mais cher) et de mullite (peu cher mais corrodable). Il y a donc incompatibilité entre coût et résistance à la corrosion. Le plus souvent, on utilise des teneurs en alumine égales ou supérieures à 85 %. Les conséquences de la réaction sont alors moins graves. Le gonflement et les risques de fissuration diminuent. Les crasses accrochent moins aux parois du four et le nettoyage en est plus aisé. Néanmoins, il reste environ 15 % de silice. Encore faut-il vérifier que cette silice est sous forme liée (mullite) moins corrodable, et non pas sous forme libre et très corrodable. Dans ce dernier cas, le réfractaire risquerait de se dégrader rapidement malgré sa haute teneur en alumine. Seule une analyse cristallographique permet de répondre à cette question.
Le liant des briques et du pisé
Le choix du liant est essentiel. La plupart des liants contiennent de la silice et souvent du sodium, ce qui n’est pas favorable. En revanche, les liants phosphatiques, et en particulier le monophosphate d’aluminium, ont un comportement assez bon en présence d’aluminium. Les briques et pisés qui sont liés avec des phosphates constituent de ce fait des matériaux intéressants pour la construction des fours.
Les additifs anti-corrosion
Certains additifs ralentissent la corrosion (fluorures, sulfate de baryum) sans qu’on en connaisse bien le mécanisme. On suppose que ces inhibiteurs de corrosion abaissent la mouillabilité du réfractaire, et donc sa réactivité.
Porosité du réfractaire
Il est probable que la porosité accélère la réaction. Une porosité ouverte agit de trois façons. Tout d’abord, elle permet l’amenée d’oxygène au contact du métal, ce qui favorise la corrosion par oxydation simple. Ensuite, elle permet l’amenée de métal neuf au contact du réfractaire, et donc favorise la propagation de la réaction. Enfin, elle augmente la surface de contact entre le métal et le réfractaire, et donc accroît la vitesse de réaction. Néanmoins, certains produits denses, tels que les matières vitrifiées, réagissent fortement de par leur nature chimique. Pour limiter l’impact de cette porosité, une solution consiste à « glacer » la surface du réfractaire en développant une mince couche fondue.
Température de cuisson du réfractaire
Pour certains produits, on constate que lorsque la température de cuisson est supérieure à 1 000°C, la résistance à l’action de l’aluminium diminue fortement. Cela correspondrait à la transformation du métakaolin en mullite et silice. Malheureusement, il faut atteindre cette température pour que le produit acquière une bonne cohésion. Il peut donc y avoir incompatibilité entre résistance mécanique et résistance à l’attaque par l’aluminium.
Température du four
L’oxydation et la réaction avec les réfractaires dépendent de la température qui, dans ce cas, joue un rôle assez complexe. Les vitesses d’oxydation et de réduction de la silice des réfractaires sont fortement augmentées avec la température. Les essais menés dans un four expérimental permettent de préciser qu’en dessous de 750°C, les crasses se forment sur le réfractaire, surtout dans les angles et près du brûleur, mais qu’elles ne progressent que très lentement. On peut attendre plusieurs semaines avant de constater leur progression et leur durcissement, indice de la transformation γ → α. Dès que la température dépasse 800°C, la réaction progresse très vite. Les « champignons » croissent rapidement sur le bain et sur les réfractaires.
Influence des flux utilisés
L’utilisation de flux de couverture ou de flux de désoxydation contrarie la formation de concrétions et facilite le nettoyage des parois des fours. Mais certains flux contenant du fluor et du sodium sont eux-mêmes agressifs vis-à-vis des réfractaires (dissolution de la silice et de l’alumine par le fluor, baisse de réfractairité due au sodium). Il convient donc de limiter les quantités de flux au strict nécessaire en suivant les prescriptions des fournisseurs propres à chaque utilisation.
Effet de l’atmosphère du four
L’effet de l’atmosphère sur la dégradation des réfractaires a été étudié à l’aide du test de la pastille posée. Les essais montrent une forte influence de l’atmosphère sur la dégradation du réfractaire, qui pourrait s’expliquer par la formation d’une phase gazeuse à l’interface réfractaire / métal. Les atmosphères neutre (azote) et réductrice (azote + vapeur d’eau, azote + CO, combustion avec défaut d’air) sont les plus favorables. Malheureusement, la vapeur d’eau favorise le gazage, le CO est soumis à réglementation et la combustion en défaut d’air coûte cher. Industriellement, seuls les fours inertés à l’azote sont proposés. Ils présentent le triple avantage de réduire l’oxydation, la corrosion des réfractaires et le gazage du bain.
Bonjour Monsieur
Merci pour cet article très détaillé
Je m’interroge sur l’essai de réactivité.
Si je comprends bien, le réfractaire et la pastille d’alliage sont enfournés à froid puis le cycle thermique est lancé.
Quelle est l’impact de l’oxydation de la surface de la pastille sur la réaction avec le réfractaire ?
Il me semble qu’en fonction du taux de Mg contenu dans l’aluminium, il se formera de l’Al2O3, du spinel ou du MgO ?
Ne pensez vous pas que d’autres essais tel que l’auto creuset est plus approprié ?
Enfin, vous évoquez la porosité qui influe la corrosion. Mais qu’en est il de l’impact de la distribution de la taille des pores ?