Le forgeage en conditions quasi-isothermes

Forgeage en conditions quasi-isothermes.

Forgeage en conditions quasi-isothermes.

La maîtrise des conditions thermiques des outillages de forgeage est l’une des principales causes de dégradation des conditions de mise en forme des pièces. Ces conditions sont considérées comme optimales lorsque la température des outillages reste stable durant toute l’opération de transformation.

Le forgeage en conditions isothermes reste aujourd’hui une piste majeure d’amélioration des productivités ou développements produits innovants pour l’industrie de la forge. Néanmoins, cette technologie est aujourd’hui techniquement et économiquement réservée à des applications sévères.

La commission Forge du Cetim a ainsi lancé un groupe de travail dédié à l’étude de moyens permettant de viser des conditions de forgeage dites « quasi-isothermes » aux coûts bien moindres et aux contraintes de mises en œuvre bien plus aisément abordables. Les travaux réalisés en partenariat avec les industriels de la profession et l’ENSAM de Metz ont été initiés en 2017. Ils ont pu être engrangés grâce une enveloppe totale d’environ 250 k€ allouée au fil des ans par la commission Forge du Cetim, mais aussi grâce à une implication industrielle multisectorielle.

Les premières phases d’étude ont permis de caractériser les moyens de chauffe et d’isolation ainsi que les nuances outillage susceptibles d’être mises en œuvre lors d’application de forgeage en conditions isothermes. L’orientation des travaux s’est ensuite tournée vers la conception d’un démonstrateur, avec pour objectif de valider la capacité de chauffe et de maintien d’un outillage mettant en œuvre les solutions caractérisées lors des phases précédentes.

Définition du besoin de l’outillage de démonstration

Les différents résultats des travaux de caractérisation et d’identification du besoin industriel ont permis d’établir un cahier des charges prenant en compte également les contraintes des moyens d’essais dont nous disposions, soit :

Températures d’utilisation :

  • Régulation en température allant de l’ambiante à 900°C – 1000°C
  • Possibilité de mesurer / réguler les températures en différents points du porte-outil

Machine de forgeage :

  • Montage sur une machine à énergie (presse à vis SPR400 ENSAM) et une presse hydraulique (presse LOIRE ENSAM)

Protection de l’environnement externe (presse / opérateur) :

Figure 1.a - Préconception de l'outillage isotherme.
Figure 1.a – Préconception de l’outillage isotherme.
  • Réduire les risques d’élévation de température au niveau des interfaces presse – outillage
  • Réduire les échanges thermiques par rayonnement entre l’outillage, son environnement et les opérateurs

Pièce à forger :

  • Permettre de réaliser des essais de refoulements et de matriçage de pièces de formes sans modifier la partie chauffante de l’outillage
  • Avoir une guidage porte-outil supérieur / porte-outil inférieur précis pour réduire les risques de déport pièce si nécessaire

Ce cahier des charges a ainsi permis de réaliser une préconception de l’outillage (Figure 1.a et 1.b) pour laquelle nous avons retenu :

Figure 1.b - Outillage isotherme - définition des éléments.
Figure 1.b – Outillage isotherme – définition des éléments.
  • une solution de chauffe de chaque tas par 11 cannes chauffantes d’une puissance de 455 W
  • une nuance des éléments « actifs » de l’outillage (tas de refoulement, matrices) en alliage à base Nickel, c’est-à-dire en Inconel 718 pour une température maximale de 750°C et en N18 pour de température maximale de 1000°C
  • Divers matériaux isolants tels que les aciers et céramiques réfractaires, les matériaux stratifiés type Mica-silicone, les fibres type Superwool ou encore les silicates alcalino-terreux pour la partie isolation thermique

Etude thermique de validation de la conception

L’étude thermique a été lancée avec le code Aster dont dispose le Cetim, et devait répondre à différents objectifs :

  • Valider les capacités de chauffe l’outillage et le choix des matériaux isolants
  • S’assurer de sa bonne tenue mécanique
  • Garantir un environnement de travail acceptable pour les opérateurs et les machines

Les résultats de calcul ont permis de déterminer un besoin en termes de capacité de chauffe, estimé à environ 30% des 5 kW de la puissance totale (11 x 455 W) envisagés pour atteindre la température de 900°C. La cartographie des températures de la figure 2 suivante permet de visualiser la répartition de la température au sein des éléments actifs de l’outillage au terme de la phase de chauffe.

Figure 2.b - Tas plan et gravure - vues iso-températures.
Figure 2.b – Tas plan et gravure – vues iso-températures.
Figure 2 - Vues isothermes de détail des éléments actifs de l'outillage chauffés à 900°C.
Figure 2 – Vues isothermes de détail des éléments actifs de l’outillage chauffés à 900°C.

L’outil de simulation a également permis de valider par simulation le fonctionnement de l’installation en régime transitoire tout comme nous pouvons le voir sur la figure 3.

Figure 3 - Courbe d’évolution de la température à 1 mm sous la peau au niveau de la gravure.
Figure 3 – Courbe d’évolution de la température à 1 mm sous la peau au niveau de la gravure.

Un temps de chauffe d’une heure a par ailleurs pu être déterminé par simulation, ce qui est tout à fait acceptable en l’état d’un point de vue industriel. L’un des objectifs de cette étude fût enfin de valider l’empilement des disques isolants sous l’outillage pour répondre aux conditions de température de la table de la presse. Nous devions ainsi valider que les conditions d’utilisation de chacun des matériaux étaient bien respectées. Les différentes itérations ont permis d’aboutir à un empilement quelque peu différent de celui envisagé initialement, constitué de 3 matériaux que sont l’acier réfractaire AISI 310, le Macor et le Mica tel que nous pouvons voir sur la figure 4 ci-après.

Figure 4 - Vue iso-température de l’empilement des couches isolantes.
Figure 4 – Vue iso-température de l’empilement des couches isolantes.

Définition d’un cas industriel

Figure 5 - Tracé de la pièce de démonstration.
Figure 5 – Tracé de la pièce de démonstration.

Afin de finaliser la conception de l’outillage, le choix d’un cas industriel a été défini en accord avec un besoin exprimé autour des 3 critères : la morphologie, la nuance et la gamme de forgeage en une opération.

Les remarques formulées des industriels membres du groupe de travail ont permis de définir un tracé de pièce (cf. figure 5) et une nuance en titane TA6V, représentatifs de leurs applications.

Afin de confirmer le lancement de ce cas d’application industriel, nous avons mené une étude par simulations portant sur l’analyse des résultats suivants :

  • Iso-températures pièce
  • Efforts de forgeage

Plusieurs itérations de simulation sous Forge® ont par conséquent été lancées aux températures de 250°C, 500°C et 750°C avec un lopin chauffé à 950°C, caractéristiques des essais que nous prévoyons de réaliser.

Iso-températures pièce

A la vitesse de la presse de 30mm/s, les très faibles temps de contact lopin/outillage confirment un impact assez limité de la température outillage, tout comme nous pouvons le voir sur la figure 6 ci-dessous.

Figure 6 - Iso-températures à Vpresse=30mm/s.
Figure 6 – Iso-températures à Vpresse=30mm/s.

Il fût également nécessaire de vérifier que le β-Transus (environ 1000°C pour le TA6V) n’a pas été dépassé par échauffement adiabatique au cours du forgeage. L’extraction des courbes d’évolution des températures minimums et maximums durant le forgeage a ainsi été réalisée pour chacune des configurations dans le but de pouvoir mener cette analyse, tout comme nous pouvons le voir sur la figure 7.

Figure 7 - Suivi des températures min et max à V=30mm/s.
Figure 7 – Suivi des températures min et max à V=30mm/s.

L’analyse des courbes ci-dessus met en avant un léger dépassement du β-Transus de quelques degrés durant un lapse de temps très court uniquement pour une température outillage de 750°C. Le risque de dégradation de la métallurgie a ainsi pu être écarté.

Evolution des efforts

Figure 8 - Evolution des efforts de forgeage.
Figure 8 – Evolution des efforts de forgeage.

La figure 8 ci-après matérialise l’évolution des niveaux d’efforts de forgeage estimés pour chacune des configurations.

Nous constatons que l’effort max oscille de 350 tonnes pour T°out = 250°C à 190 tonnes pour T°out = 750°C, soit un gain d’environ 160 tonnes sur la puissance machine, suffisamment notable pour confirmer un impact de la température outillage sur l’effort de forgeage.

Mise en service de l’outillage et essais de chauffe

La validation de la conception nous a permis de lancer l’approvisionnement des différents éléments outillage puis de procéder à son assemblage et à sa mise en service tout comme illustré sur les photos de la figure 9 ci-après.

Figure 9 - Photos de l’outillage isotherme assemblé.
Figure 9 – Photos de l’outillage isotherme assemblé.

Afin d’avoir une vision thermique de l’ensemble des éléments, l’outillage a été instrumenté suivant le schéma de la figure 10 suivante.

Figure 10 - Schéma d’instrumentation de l’outillage en configuration refoulement.
Figure 10 – Schéma d’instrumentation de l’outillage en configuration refoulement.

La mise en service de l’outillage a été réalisée au travers de différentes étapes de chauffes progressives sur la plage de température du scope de notre démonstrateur, soit de 200°C à 900°C. La figure 11 suivante montre ainsi l’outillage lors d’une phase de chauffe à 900°C.

Figure 11 - Photo de l’outillage chauffé à 900°C.
Figure 11 – Photo de l’outillage chauffé à 900°C.

 Le graphique de la figure 12 suivante détaille quant à lui le suivi global de la température lors de ces essais de chauffe.

Figure 12 - Suivi de l’évolution de la température lors des essais de chauffe à 900°C.
Figure 12 – Suivi de l’évolution de la température lors des essais de chauffe à 900°C.

Avec une consigne de 900°C au niveau des tas plans, nous constatons une température de 880°C en surface des matrices. L’atteinte de 900°C étant permise pour une consigne de 920°C. Cette phase d’essais permet ainsi de qualifier la capacité de chauffe de l’outillage jusqu’à une température de 900°C.

Dans un second temps, nous avons évalué la capacité de l’outillage à maintenir la température lors de cycles de forgeage simulés au travers d’ouvertures/fermetures presse durant des cycles d’une minute chacun. Le graphique de la figure 13 ci-après permet de visualiser le comportement thermique de l’outillage lors de ces cycles.

Figure 13 - Suivi de l’évolution de la température lors des cycles d’ouvertures/fermetures de l’outillage.
Figure 13 – Suivi de l’évolution de la température lors des cycles d’ouvertures/fermetures de l’outillage.

L’enchainement des cycles d’ouvertures/fermetures d’une minute chacun (sans forgeage de pièce) ont eu pour effet une montée de la température globale du système dû à une surpuissance générée par l’armoire au niveau des cartouches pour maintenir la consigne. Si l’on analyse l’évolution de la température au niveau des matrices, nous observons une chute de température de l’ordre de 15°C pour la matrice inférieure et de 20°C pour la matrice supérieure après une ouverture d’une minute. Le maintien en position fermée durant une minute qui suit, permettra d’assurer une remontée de la température de l’outillage de 7 °C en inférieure et de 11-12°C en supérieure. Un temps de rééquilibrage matrices fermées d’environ 12-14 minutes serait ainsi nécessaire pour permettre un rééquilibrage de la température à 900°C au niveau des matrices.

Essais de forgeage

A l’issue d’une première phase d’essais de chauffe qui nous a permis de qualifier l’outillage jusqu’à une température de 900°C, nous avons procédé à des essais de forgeage visant à reproduire des conditions de fabrication en milieu industriel. Ces essais ont été réalisés sur la presse hydraulique de l’ENSAM de Metz à 3 températures soit : 200°C, 500°C et 700°C. La température de 900°C n’a pas été testée en configuration de forgeage du fait de la nuance des matrices non compatible avec cette température. Le graphique de la figure 14 ci-dessous détaille l’évolution des températures durant les essais de matriçage pour lesquels l’outillage était instrumenté suivant le schéma présent sur cette même figure.

Figure 14 - Graphique global de suivi des températures lors du matriçage.
Figure 14 – Graphique global de suivi des températures lors du matriçage.

A 200°C, nous pouvons voir que l’ouverture des matrices n’a pas d’influence significative sur la température de l’outillage. A l’inverse, les calories apportées par la pièce à 950°C entraine une montée ponctuelle de la température des deux matrices. A 500°C également, nous pouvons voir que l’ouverture des matrices n’a pas d’influence significative sur la température de l’outillage. En effet, les calories apportées par le lopin chaud entrainent une augmentation ponctuelle de la température qui suffit à compenser les pertes par convection avec l’air. A 700°C, nous observons que le temps d’ouverture de l’outillage exerce une influence sur la température des matrices. Une chute de la température de l’ordre de 25°C en supérieure, et de 15°C en inférieure est ainsi observée au début du forgeage. Le forgeage du lopin permet de compenser cette perte avec une augmentation de la température d’environ 20-25°C pour la matrice supérieure et 25°C pour la matrice inférieure. En fin de forgeage, c’est-à-dire lorsque l’outillage est au point mort haut, la température des outils est mesurée à 695°C – 705°C. Des difficultés d’extraction de la pièce rencontrées lors des essais ont entrainé une chute de température pouvant atteindre 50°C.

L’augmentation de la température des outils permet de réduire la cote de hauteur de la pièce (H pièce 200°C > H pièce 500°C > H pièce 700°C) et de favoriser le remplissage du fût. La photographie de la figure 15 ci-dessous permet de visualiser l’ensemble des pièces matricées aux différentes températures.

Figure 15 - Photos des pièces matricées
Figure 15 – Photos des pièces matricées

A l’analyse des photos de la figure 15, nous constatons que la pièce n’est pas totalement remplie à 200°C. A 500°C et 700°C, celles-ci sont en revanche totalement remplies, confirmant ainsi l’effet bénéfique de la température outillage. L’état de surface des pièces est en revanche très similaires quelques soit la température outillage ne mettant pas en avant une quelconque influence.

Corrélation avec la simulation

L’étude de simulation thermique décrite précédemment avait permis de valider numériquement la capacité de chauffe de l’outillage jusqu’à une température de 900°C. L’atteinte des 900°C était ainsi obtenue grâce à une puissance de chauffe équivalente à 33% de la puissance totale de l’installation, soit 1600W, et pour un temps d’environ 1h. Malgré une dérive significative sur le temps de chauffe expérimental relevé à un peu plus de 3h lors des essais, l’atteinte des 900°C au niveau des matrice a pu être qualifiée à l’issue de nos essais.

L’environnement de travail faisait partie des critères de choix dans la conception de l’outillage, celui-ci devant assurer des niveaux de température acceptables pour l’opérateur, mais aussi pour la presse. Les températures relevées à l’interface outillage/presse mais aussi outillage/opérateur sont tout à fait en adéquation avec ce que nous avions prédit par simulation, comme nous pouvons le voir sur les courbes de température (cf. figure 2 VS figure 12).

Le dernier critère de validation de la conception de l’outillage fût l’évaluation du comportement de l’outillage lors d’un fonctionnement en régime transitoire. Malgré des écarts constatés lors des essais en raison de données d’entrées de simulation non totalement reproduites expérimentalement telles que la chaleur apportée par la pièce forgée (T= 950°C), nous avons observé une bonne réponse de l’installation pour assurer le rééquilibrage de la température (cf. figure 3 VS figure 13).

Conclusion

Les résultats engrangés depuis le démarrage des travaux en 2017 ont permis de caractériser des solutions et d’évaluer ainsi l’intérêt de la technologie. L’outillage de démonstration développé avec les solutions de chauffes, d’isolation et de nuance outillages les plus probantes a ainsi pu être qualifiée en phase de chauffe et de maintien sur une plage de température oscillant de 200°C à 900°C suivant différentes configurations d’essais. Les résultats ainsi obtenus sont très encourageants en termes de capacité de chauffe et de comportement de l’armoire de régulation qui permet d’atteindre les consignes de température sans pour autant générer de risque de détérioration de l’installation.

Une confrontation des résultats obtenus expérimentalement avec ceux de l’étude de simulation thermique ont permis de qualifier également la conception de l’outillage, notamment en termes d’environnement de travail, mais aussi de respect des préconisations de température d’utilisation des différents matériaux mis en œuvre, tels que le MICA ou encore le MACOR. Dans une configuration industrielle, des optimisations de l’isolation seraient à envisager pour permettre de reproduire les conditions de simulations, plus favorables à un environnement industriel.

Nos différentes investigations ont ainsi permis de répondre aux objectifs de l’étude qui consistait à développer un outillage isotherme et à valider sa capacité de chauffe dans des conditions semi-industriels.

Des pistes de poursuites des investigations restent à explorer ; telles que l’évaluation du bilan énergétique de l’installation et son apport dans la réduction des consommations d’énergie ou encore d’affiner la méthodologie de dimensionnement d’un tel outillage par simulation numérique.

Remerciements : Cet article est paru dans le n° 34 (juin 2023) de la revue Forge et Fonderie, p. 17-14. Les deux auteurs de cet articles sont Stéphane Magron, Ingénieur projet / Expert forge au Cetim et Florian Baratto, Ingénieur étude – ENSAM – AM Valor

3 commentaires

  1. yves jean CLANET dit :

    Merci pour cet article fort intéressant.
    Les process de forge ne font que progresser, le travail reste important mais cette maitrise est primordiale.
    je me dépêche de le transmettre à mon fils qui attaque sa première année de forge et fonderie à l’ESFF.
    bien à vous
    YJ CLANET

    • Le CTIF dit :

      Bonjour Yves Jean et merci de votre intérêt pour notre article de MetalBlog sur le forgeage en conditions quasi-isotherme. Comme vous dites, les process de transformation à chaud, dont la forge, progressent continuellement.
      Et bonne rentrée ESFF à votre fils. Un futur forgeron peut être !

  2. yves jean CLANET dit :

    Merci pour votre retour , je lui ai donné le virus des process à chaud !
    voir de la métallurgie en général
    YJ CLANET

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