
Applications hautes températures.
Cet article présente les résultats d’une synthèse réalisée sur les matériaux pour applications hautes températures. En effet, certaines pièces des turbines à gaz, des turboréacteurs ou des moteurs pour fusée doivent conserver leur résistance mécanique dans des conditions de plus en plus sévères (température élevée, environnement corrosif). Après plus de huit décennies d’amélioration continue, les limites pratiques d’utilisation des superalliages sont maintenant atteintes, même avec un refroidissement pendant le fonctionnement et l’utilisation de revêtements protecteurs. De plus, les éléments utilisés -nickel, rhénium, ruthénium – ont vu leur prix très fortement augmenter. Les alliages dits « intermétalliques » sont des candidats de choix pour prendre le relais. Du fait de leur structure ordonnée, ces alliages ont de bonnes propriétés mécaniques à hautes températures, mais médiocres à froid, allant selon le cas, d’une usinabilité quasi-nulle à une faible ténacité et une faible ductilité (déformation plastique à rupture).
Le CNES et le CTIF ont collaboré pour identifier, à partir d’une veille documentaire, des solutions matériaux envisageables pour des applications à très hautes températures, solutions qui pourraient être mises en œuvre en fonderie et en particulier, la Fonderie Expérimentale de CETIM-CTIF.
Résultats de la veille
Sans surprise, la veille a révélé une recherche très active dans ce domaine. De nombreuses pistes sont explorées, tant en amélioration des matériaux connus qu’en matériaux et procédés d’élaboration innovants. Ont été exclus de cette synthèse les intermétalliques ayant une masse volumique trop élevée, ou les éléments rares (et chers) comme le rhénium, le ruthénium ou le platine.
Des matériaux connus à améliorer
Malgré son prix très fluctuant et sa densité élevée, le nickel reste intéressant du fait qu’il forme de nombreux intermétalliques. Des alliages Ni – Al 20 % Si 10% et Ni – Al 10% – Si %20 [ 4 ] ont été élaborés par mécanosynthèse (méthode d’élaboration consistant en un broyage d’un mélange de poudres jusqu’à obtention d’un matériau homogène). Toutefois, l’aspect mécanique à température ambiante n’a pas été examiné. La ductilité de l’intermétallique Ni3Al peut être améliorée par une addition de bore [ 1 ]. De même une addition de vanadium permet de faire précipiter l’intermétallique Ni3V, qui améliore à la fois la ductilité à température ambiante et la résistance au fluage [ 26 ]. Le gain à température ambiante peut être amélioré par un traitement thermique à 850°C. Des essais de renforcement mécanique en utilisant des fibres d’alumine Al2O3 ont été réalisés dans les années 1990, pour un matériau supportant la rentrée atmosphérique d’un engin spatial [ 3 ]. Il a été montré qu’une addition de titane était nécessaire pour pouvoir infiltrer la préforme de fibres longues d’alumine.
Apport de l’aluminium pour la tenue à l’oxydation
Utilisé comme un élément d’alliage, l’aluminium est intéressant du fait de sa faible masse volumique et de son apport bénéfique à la tenue à l’oxydation. Sa présence permet de développer une couche superficielle d’alumine protectrice. Associé au fer, l’aluminium forme des alliages intermétalliques FeAl et Fe3Al qui possèdent une bonne résistance mécanique et une tenue à l’oxydation à haute température. Le manque de ductilité constaté à température ambiante est dû à une fragilité intergranulaire en raison d’une taille de grain importante lorsqu’ils sont mis en forme par fonderie et une sensibilité à une fragilisation environnementale, l’aluminium réagissant avec la vapeur d’eau atmosphérique, réaction conduisant à l’absorption d’hydrogène [ 22 ].
Une première piste pour améliorer la ductilité de ces alliages à température ambiante consiste donc en l’affinage du grain. Celui-ci peut être obtenu par inoculation du bain liquide à l’aide de particules réfractaires ou par traitement thermomécanique (recristallisation après déformation plastique) [ 14 ], [ 19 ]. Une autre piste consiste en l’introduction d’éléments d’alliage [ 22 ]. Les candidats potentiels sont nombreux : bore [ 13], chrome [ 22 ], cuivre [ 15 ], [ 22 ], silicium, niobium, titane [ 6 ]…
Candidat particulier, le silicium améliore encore les propriétés de résistance à l’oxydation de l’alliage fer-aluminium. Une composition telle que Fe – Si 20 % – Al 20 % correspond à un à metrre en oeuvre par des moyens traditionnels (fusion par induction, refusion sous laitier) a été mis en forme par mécanosynth-èse. L’examen montre qu’il est constitué de mélanges d’intermétalliques Fe2Al3Si3, Fe3Si, FeSi, FeAl [20]. Autre cas particulier de cette composition ternaire, les alliages magnétiques « Sendust » de composition Fe1−x−ySix Aly, avec la composition x=0.1 et y=0.05 correspondant aux meilleures propriétés magnétiques (pas de magnétostriction). Avec une composition de 73.7% de fer, 15.5% de silicium et 10.8% d’aluminium, ces alliages ont également une résistance mécanique ainsi qu’une dureté élevée [ 5 ].
Le titane et ses alliages pour la tenue à hautes tempérétures
Le titane est chimiquement très proche de l’aluminium et forme comme lui, des alliages intermétalliques avec nombre d’autres métaux. D’ailleurs, l’alliage intermétallique Ti– Al 48%at – Cr 2%at – Nb 2%at est mis en œuvre industriellement avec la fabrication des aubes du turboréacteur GEnx de General Electric. En association avec le silicium, les alliages intermétalliques Ti5Si3 et TiSi2 (dont la température de fusion est de 2130°C et 1480°C respectivement) [ 32 ], [ 34 ] ont pu être élaborés avec succès par le procédé SHS (Self propagating High temperature Synthesis , élaboration du matériau recherché par une réaction chimique « in-situ » ) [ 7 ]. La solution ternaire Ti-Al15-Si15 et Ti-Al35-Si5 possède une bonne résistance à l’oxydation jusqu’à 1000°C [ 13 ]. Il convient également de citer les phases dites « MAX » découvertes dans les années 1960. La composition générique de ces composés intermétalliques ternaires est M(n+1) (Al,Si) X(n), où M est un métal de transition, X étant l’azote ou le carbone. L’indice n peut prendre des valeurs de 1 à 6. Plus particulièrement, la phase MAX « prototype » : la phase M2AlC, avec n=1 et M = Ti, V, Cr, Nb ou Ta possède d’excellentes conductivité thermique, résistance au choc thermique et usinabilité.
Deux nuances MAX sont produites (Maxthal211® et Maxthal312®, respectivement Ti2AlC et Ti3SiC2) par la société Kanthal AB (Suède, Groupe Sandvik) sous forme de poudres et produits finis. Grâce à leur stabilité en température sous air, leur résistance aux chocs mécaniques (cyclage thermique possible), l’usinabilité et leur conductivité électrique, les pièces réalisées peuvent fonctionner jusqu’à 1 400 °C dans l’air, le vide, l’argon et l’hydrogène [ 18 ].
Le chrome pour les hautes températures
Le chrome est un élément intéressant par son apport bénéfique à la tenue à l’oxydation. Les alliages fer-chrome-aluminium (Fecralloy) sont une classe d’alliage généralement déployée dans les applications industrielles où une résistance à l’oxydation à haute température est nécessaire. Une série d’alliages FeCrAl avec une teneur variable en Cr (généralement 5-15 %) et en Al (généralement 3-6%) ont été développés et évalués pour une application nucléaire. Ces alliages sont également utilisés en verrerie (moules ou « assiettes » destinées à réaliser les fibres de verre).
L’alliage intermétallique CrSi2 (température de fusion de 1490°C) présente des propriétés thermoélectriques intéressantes ; son élaboration n’a pas posé de problèmes par fonderie ou frittage [ 12 ]. Fragile à température ambiante, l’alliage possède en revanche une bonne tenue au fluage. Un alliage Cr – Cr2Ta dopé au silicium présente une bonne résistance au fluage à 1200°C et une certaine ductilité à température ambiante [ 23 ]. Un alliage de chrome avec une dispersion de 10% de NiAl a également des propriétés intéressantes à température élevée mais reste fragile à température ambiante.
Le molybdène sous forme MoSi2
Alors que le molybdène pur est très oxydable, il est utilisé depuis longtemps sous forme de di-siliciure (MoSi2) en tant que matériau pour application à haute température, avec une densité modérée (6,24 g / cm3) et une excellente tenue au fluage quasiment jusqu’à sa température de fusion (2030 °C). Sa résistance à l’oxydation est excellente à très haute température, mais il est en revanche très oxydable dans la gamme 500- 800°C (phénomène de « peste »). Extrêmement fragile à température ambiante, son emploi s’est limité à des revêtements protecteurs contre la corrosion à haute température pour les métaux ductiles.
Pour compenser ces inconvénients -oxydabilité, manque de ténacité à température ambiante – et en permettre l’utilisation comme matériau massif, le di-siliciure a été associé avec d’autres éléments. En raison de la température élevée de fusion, le recours à des moyens d’élaboration tels que le frittage, la mécanosynthèse ou le SHS s’est avéré nécessaire [ 16 ], [ 21 ], [ 25 ]. Les matériaux de renfort testés sont le borure de zirconium et le carbure de silicium [ 21 ], des filaments d’alumine monocristalline (procédé Saphikon) [ 28 ] et des fils de niobium. L’addition d’aluminium ou de nitrure de silicium Si3N4 permet de limiter l’oxydabilité entre 500 et 800°C et améliorer également la ductilité [ 30 ]. Il faut également signaler la synthèse « in-situ » de composites MoSi3/SiC à l’aide de poudres Mo2C et Si [ 24 ].
Mais c’est l’addition de bore en quantité appréciable qui apporte les résultats les plus prometteurs. Elle conduit à l’apparition d’un domaine triphasé (Mo- Mo5SiB2 – Mo3Si) qui permet de gagner en tenue à l’oxydation et la présence d’une matrice de molybdène autorise une certaine ductilité à température ambiante [ 33 ]. Des alliages Mo5SiB2 et des composites MoSi2 – Mo5Si3 ont également été obtenus par SHS, avec de « bonnes propriétés mécaniques », en se basant sur le module d’élasticité [ 27 ].
Une pièce pour turboréacteur a pu être réalisée en alliage Mo-Si-B (alliage eutectique Mo – Mo5SiB2) élaboré par fusion au four à arc conventionnel [ 10 ]. Signalons pour terminer ce chapitre, que l’amélioration de la ductilité à basse température peut également être obtenue en remplaçant une partie du molybdène par d’autres éléments de transition, comme le chrome, le vanadium, le niobium, le tantale. Des structures biphasées lamellaires favorables ont été obtenues avec le niobium et le tantale [ 9 ].
Des matériaux innovants pour les hautes températures
L’addition de tantale et de vanadium a permis dès 1981 une amélioration sensible des propriétés des superalliages à base de nickel, par précipitation d’intermétalliques Ni3Al – Ni3(Ta,V). Des additions plus importantes permettent d’obtenir des alliages intermétalliques biphasé ayant de bonnes propriétés mécaniques et de résistance à l’oxydation à température élevée. Les alliages ayant des compositions telles que Ni 37%at V 35%at Ta 28%at ou Ni 34%at V 33%at Ta 33%at ou Ni 44%at V 36%at Ta 30%at sont de structure monophasée [ 8 ].
Quelques alliages “High Entropy Alloys” (HEAs) ont également fait l’objet de recherches et de publications :

- L’alliage quaternaire Cr 31.3% Mo 23.6% V 26.4% W 18.7% qui présente une structure monophasée jusqu’à sa fusion (à une température non précisée) ; sa masse volumique est toutefois élevée [ 11 ].
- Deux alliages Ta Mo Cr Ti Al et Nb Mo Cr Ti Al, qui présentent des propriétés signalées comme intéressantes entre 700 et 1500 °C [ 17 ].
- Un alliage de composition CrFeNi2Al dont la microstructure est biphasée, mélange d’une phase de structure cubique à face centrée et d’une phase de structure cubique centrée ordonnée. La résistance à la traction est de 1360 MPa à température ambiante pour un allongement de plus de 6% [ 31 ].
Enfin, quelques alliages intermétalliques ont pu être identifiés dans les diagrammes de phases binaires intégrant le silicium et l’aluminium et n’ont à priori pas fait l’objet d’études en vue d’applications. Ces alliages (Tableau 1) ont des points de fusion élevés (supérieurs à 1500°C).
Remerciement au CNES et à David MIOT, co-auteur de cet article, publié dans le n° 34 (Juin 2023) de la revue Forge et Fonderie
Bibliographie
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[ 34 ] Zha et al., Journal of Material Chemical Physics, 10.1016, 2008
Merci M Regheere pour cet article intéressant, merci surtout de documenter les sources ce qui est primordial, et permet surtout d’avoir les dates de ces sources. On sait que les progrès peuvent aller très vite, surtout quand le budget est là…
Ravi d’avoir appris des choses sur la composition de ces matériaux destinés aux hautes températures, et des nouvelles options qui sont testées.
On a du mal à s’imaginer à quel point les matériaux peuvent être mis à l’épreuve, dans un environnement spatial, avec des écarts de température probablement énormes, une vitesse élevée et les multiples débris pouvant mettre à mal ces pièces mécaniques.
Bonjour Benoit et merci d’avoir apprécié notre article de MetalBlog sur les nouveaux matériaux pour applications hautes températures. Comme vous dites, certains environnements (spatial, …) sollicitent très fortement les matériaux utilisés. Mais certains applications industrielles sont également critiques avec de forts enjeux de sécurité.