Transformation en phase semi-solide – entre forge et fonderie

Rheocasting - système de brassage mécanique de l'alliage d'aluminium pour l'amener en phase semi-solide

Rheocasting - système de brassage mécanique de l'alliage d'aluminium pour l'amener en phase semi-solide.

Entre la forge (transformation à l’état solide) et la fonderie (transformation à l’état liquide), l’« espace technologique » était vide. Jusqu’à ce que, dans les années 1980, une fois mis en évidence le principe et les avantages de la transformation en phase semi-solide, de nombreuses technologies (thixocoulée, rhéocoulée) se développent, dont certaines pour des productions automobiles grande série.

Historique de la transformation en phase semi-solide

Les premiers travaux sur la thixocoulée (appelée également thixocasting) ont été conduits au MIT (Massachusetts Institute of Technology) aux États-Unis dans les années 1970 par l’équipe du professeur Fleming et portaient sur l’effet d’un cisaillement sur le comportement rhéologique d’alliages d’aluminium. Industriellement, la thixocoulée s’est d’abord développée (1985) pour être progressivement remplacée par la rhéocoulée (ou rhéocasting) à partir des années 1995. En effet, la thixocoulée nécessitait l’achat par le fondeur de barres de matière à structure globulaire (obtenues par brassage électromagnétique chez l’affineur) puis leur découpe en billettes, le réchauffage par induction de ces billettes sur un carrousel jusqu’à l’état l’état pâteux -qui finalisait la globularisation de la microstructure- avant injection finale.

Obtention d'une structure globulaire par thixocoulée et rhéocoulée

Obtention d’une structure globulaire par thixocoulée et rhéocoulée. La rhéocoulée permet au fondeur de produire lui-même la matière première et évite le réchauffage par induction (coûteux et complexe).

Cette première technologie a été progressivement remplacée par la rhéocoulée qui présente l’avantage de permettre au fondeur de fabriquer directement sa propre matière globulaire en partant de métal liquide traditionnel (AlSi7Mg0,3 ou AlSi10) et en le portant à l’état semi-solide par brassage mécanique en particulier. Cela s’est traduit par des gains importants sur le coût de la matière première (-20 %) et par la facilité de recycler les rebuts et jets de coulée en interne. Dans tous les cas, l’alliage à l’état semi-solide a besoin d’être accéléré (et donc injecté) pour pouvoir être mis en forme, ce qui privilégie la fonderie sous pression mais également la forge (thixoforge) dans une moindre mesure.

Carrousel de réchauffage par induction

Carrousel de réchauffage par induction des billettes aluminium en thixocoulée.

L’état thixotrope des alliages d’aluminium résulte de leur structure globulaire

Les alliages d’aluminium et plus généralement tous les alliages à intervalle solidus-liquidus de quelques dizaines de degrés au moins -ce qui exclut les alliages eutectiques (ou quasi-eutectiques)- peuvent avoir un comportement thixotrope connu pour d’autres matériaux non métalliques (sables mouvants, dentifrice, …). Ils présentent en effet un comportement dit « rhéofluidifiant » et sont quasi-solides (très forte viscosité) au repos et quasi-liquides (faible viscosité) lorsqu’on leur applique un effort de cisaillement. Physiquement, leur viscosité dynamique diminue lorsque le taux de cisaillement augmente, ce qui est provoqué en fonderie par la vitesse d’injection appliquée à la billette ou à la matière pâteuse.

Structures dendritique (à gauche) et globulaire (à droite) issues de brassage électromagnétique MHD

Billettes avec structures dendritique (à gauche) et globulaire (à droite) issues de brassage électromagnétique MHD.

Pour les alliages d’aluminium, cet effet thixotrope résulte de leur microstructure dite globulaire qui se caractérise par des globules d’aluminium solides entourés de liquide eutectique. Cette microstructure est très particulière car les alliages d’aluminium se solidifient traditionnellement sous la forme de dendrites plus ou moins fines (selon la vitesse de solidification).

Comment obtenir une structure globulaire ?

Structure globulaire AlSi7Mg obtenue par rheocasting

Structure globulaire d’un alliage d’aluminium AlSi7Mg obtenu par rheocasting.

La microstructure globulaire est obtenue par « brassage » du métal en cours de solidification afin de cisailler et casser les dendrites qui sinon se forment naturellement. Ce cisaillement des dendrites peut être obtenu par de très nombreuses méthodes : par brassage MHD (Magnéto-Hydro-Dynamique) pratiqué chez les affineurs (SAG) sur billettes en coulée verticale, par écrasement SIMA (Stress Induced Melt Activated) et création de dislocations qui serviront de sites de nucléation lors du réchauffage, par un mouvement mécanique rotatif (rotor en graphite plongé dans le bain, vis rotative, …), par des bulles insufflées dans le bain liquide (GISS), par brassage mécanique et ajout de fraction solide dans le bain (pour accélérer le refroidissement), par cisaillement par la gravité naturelle le long d’un plan incliné (technologie dite « cooling slope ») avec pilotage de la température (du moule) ou enfin par cisaillement par mouvement tournant extérieur.

Seules les technologies de brassage mécanique (et de bulles insufflées) se sont développées industriellement en rhéocoulée alors que les barres de matières à structure globulaire étaient produites par MHD en thixocoulée. La transformation en rhéocoulée est, quant-à-elle, basée sur l’injection sous pression en chambre froide avec des chantiers traditionnels auxquels on adjoint un périphérique dit « slurry maker » qui permet d’élaborer des lingotins d’aluminium en phase pâteuse qui sont ensuite transférés dans le conteneur machine puis injectés dans un moule métallique.

Les avantages de l’injection en phase pâteuse thixotrope

Par rapport à l’injection traditionnelle en phase liquide, les avantages de l’injection en phase semi-solide sont nombreux . Tout d’abord, on obtient un remplissage quasi-laminaire du moule (et non plus très turbulent comme en fonderie sous pression), permettant d’avoir un front de métal quasiment uniforme et donc une très faible quantité d’air inclus dans la pièce (tableau ci-dessous avec comparatif des taux de porosité). Cela augmente les propriétés mécaniques, permet d’avoir des pièces étanches et autorise les opérations de traitement thermique (T5 ou T6) ou les opérations de soudure postérieures.

Comparatif du taux de porosité entre différents procédés de transformation d'alliages d'aluminium

Comparatif du taux de porosité entre les procédés fonderie sous pression, squeeze casting indirect horizontal et thixocasting (billettes réchauffées par induction).

Ensuite, le plus faible retrait volumique lors de la solidification (car la moitié du retrait dans la phase liquidus-solidus a été déjà réalisé) limite les défauts de type retassures en zones massives. De plus, la quantité de chaleur à évacuer plus limitée (moitié de la chaleur latente) réduit le temps de cycle machine. La durée de vie des outillages est également augmentée car la température de coulée est plus basse. A noter que cet avantage pourrait devenir important pour les alliages à haut point de fusion (acier, cuivreux) qui sollicitent très fortement les moules métalliques et limitent leur durée de vie. Enfin, les caractéristiques mécaniques sont améliorées sur pièces par l’effet très bénéfique de la microstructure globulaire.

Le surcoût industriel et la maîtrise du procédé

La thixocoulée induisait un surcoût supplémentaire lié à l’approvisionnement en matière spécifique, au faible nombre de fournisseurs produisant des barres de matières thixotropes et enfin à l’impossibilité de recycler la matière en interne chez le fondeur. La rhéocoulée, a contrario, permet de conserver l’ensemble des avantages vus précédemment (propriétés mécaniques, productivité, ..) en limitant les coûts puisque le fondeur, avec un périphérique ad hoc – « un slurry maker » – fabrique lui-même sa matière semi-solide à volonté à partir d’alliage liquide conventionnel et peut recycler les jets de coulée.

Pièces en aluminium obtenues par procédé d'injection en phase semi-solide

Pièces en aluminium obtenues par procédé d’injection en phase semi-solide.

Les différents procédés d’injection en phase semi-solide sont cependant relativement pointues et exigent une bonne maîtrise de la métallurgie et des températures de transformation car ces dernières conditionnent directement la viscosité et le comportement à l’écoulement et au remplissage de l’empreinte du moule.

Les pièces concernées

Comparatif économique entre forgeage et thixocasting

Comparatif économique entre forgeage et thixocasting sur une rampe d’injection en aluminium.

De nombreuses productions grande série ont été réalisées par injection semi-solide. On peut citer les rampes d’injection (plusieurs millions par an) en remplacement du forgé, des compresseurs pour système de climatisation, des maîtres-cylindres de frein, des structures de suspension (soudées), des pièces de suspension (triangle, bras, …), des supports moteur, des nœuds de cadre de vélo, des jantes, des pièces hydrauliques (valves, distributeurs).

Berceau Alfa Romeo en AlSi7Mg obtenu par thixocasting

Berceau Alfa Romeo en AlSi7Mg obtenu par thixocasting.

Les défauts spécifiques sur pièces semi-solides

Reprise et ségrégation d'eutectique - phase semi-solide

Défaut de pièce d’aluminium transformée en phase semi-solide – reprise et ségrégation d’ eutectique.

Comme tout process de transformation, des défauts spécifiques ont été mis en évidence dans le cas de l’injection semi-solide : des oxydes et des reprises de coulée résultant de la mauvaise refusion de plusieurs fronts de métal trop froids pour se ressouder correctement et des ségrégations d’eutectiques. Ces défauts sont assez complexes à contrôler en production. En revanche, les pièces semi-solides sont quasiment exemptes des défauts typiques rencontrés en fonderie sous pression (retassures et porosités gazeuses).

Design des pièces

En transformation semi-solide, la difficulté de ressouder plusieurs fronts de métal pâteux ne permet pas de réaliser des pièces à paroi mince (2 mm) comme en fonderie sous pression. Il faut en particulier éviter les épaisseurs de pièces en dessous de 6 mm. La simulation numérique du remplissage et de la solidification est en général utilisée pour mettre au point la géométrie des pièces, la conception du système d’alimentation ou la thermique du moule.

Les technologies de rhéocoulée

Les technologies de rhéocoulée commercialisées sont, entre autres, le New Rheocasting (NRC) par UBE un fournisseur de machine d’injection au Japon, le SLC (Sub Liquidus Casting) par THT Presses (USA), le SEED (Swirled Enthapy Equilibration Device) d’Alcan commercialisé par STAS (Canada), le Rapid-S-Process de Rheometal (Suède), le SSR par Idra et enfin la technologie GISS pour Gaz Gas-Induced Superheated-Slurry par GISSCO (Thailande). La technologie GISS a été développé par le MIT (USA) en 2003 par Dr. Jessada Wannasin, Dr. Martinez et le Professeur Flemings. Les fournisseurs, pour la plupart commercialisent des unités périphériques (« slurry maker ») qui permettent d’alimenter une presse d’injection en matière semi-solide.

Transformation en phase semi-solide par slurry maker

Slurry maker pour transformer de l’aluminium liquide AlSi7Mg0.3 en phase semi-liquide par agitation mécanique.

Ces fournisseurs ont tous développé un périphérique à rajouter à une machine à couler sous pression qui permet de passer du métal liquide à un alliage semi-solide par différents modes de brassage mécanique. Pour le magnésium, le thixomolding (Thixomat et machines JSW et Husky) s’est plus spécifiquement développé. Ce procédé est assez répandu (plusieurs centaines de machines) en Asie.

La transformation semi-solide au-delà de l’aluminium

Si les alliages d’aluminium ont été les plus étudiés et transformés industriellement, d’autres alliages pourraient avantageusement faire l’objet d’une transformation à l’état semi-solide. Tout d’abord les alliages à haut point de fusion (cuivreux et aciers). Ensuite, les alliages qui posent problème à l’état liquide comme le magnésium (thixomolding) qui nécessite des gaz de protection (SF6 + CO2) ou les alliages (titane, …) qui nécessitent une fusion sous vide très coûteuse et ne sont pas mis en forme en moule métallique.

9 commentaires

  1. David Lavastre dit :

    Bientôt le splash forging ! Une louche et un coup de marteau-pilon ! ??

  2. Jean-Pierre Cleirec dit :

    Très bel article de vulgarisation… J’ai eu le privilège de participer à l’aventure des « thixocoulées » de billettes d’alliage d’aluminium, à Venthon, dans un ancien site Pechiney. Découper avec un simple couteau de cuisine ( ou un Opinel, bien sûr, en Savoie !! ) un lopin d’aluminium à l’état semi-solide est une grande expérience qui ne peut pas s’oublier !! j’entends encore la vibration de la lame qui s’enfonce tranquillement dans le métal qui « croustille »……

    • Le CTIF dit :

      Bonjour Jean-Pierre
      Merci pour votre commentaire sur cet article. Oui, nous aussi, sur MetalBlog, nous aimons bien le métal qui « croustille ».

  3. Guy MOTTIER dit :

    Très intéressant article que je vais faire suivre à un de mes amis et clients, qui possède deux fonderies d’aluminium en Suisse. Nous sommes constamment à la recherche de réduction des coûts et d’optimisation.

  4. […] rhéocasting (ou Semi-Solid Casting pour transformation en phase semi-solide) est un procédé très peu répandu qui consiste à […]

  5. François dit :

    Très intéressant ! je découvre les procédés (je ne suis pas du domaine, simple curieux du pays des tôles pliées soudées)
    La conclusion de l’article me démange. Il semble qu’il y ai des applications possible pour d’autres métaux, soit. Mais y a-t-il des recherches en cours ?

    • Le CTIF dit :

      Bonjour François et merci de votre intérêt pour notre article de MetalBlog sur la transformation en phase semi-solide des métaux. A l’heure actuelle, les applications industrielles concernent uniquement les alliages d’aluminium et de magnésium (thixo-molding). Oui, il y a des recherches académiques sur d’autres familles de métaux à plus haut point de fusion.

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