Le fer dans l’Europe du XVIIIe siècle est un marqueur de la révolution industrielle. En revanche, son développement fut chaotique, irrégulier, soumis à des contraintes économiques, environnementales et techniques multiples. Ce n’est que vers la toute fin du siècle, en particulier avec les guerres européennes et la demande croissante des armées, que la production a connu un très fort essor.
Le siècle de la révolution industrielle
Le 18ème siècle en Europe fut sans conteste le siècle de la révolution industrielle qui modifia profondément les techniques, mais aussi les équilibres mondiaux (prédominance de l’Europe), la stabilité des anciens régimes (révolution française) ou l’émergence d’une classe ouvrière à côté de la classe paysanne traditionnelle. La révolution technique ne se contenta donc pas de produire une révolution industrielle, elle entraina aussi une transformation brutale de toute la société de l’époque. En France, les historiens considèrent généralement que le 18ème siècle commence en 1715 (mort de Louis XIV) et se termine en 1815 (chute de Napoléon Ier).
Une demande en fer encore très faible au 18ème siècle
Les travaux des historiens montrent que la demande métallurgique est encore très faible au 18ème siècle qui est encore avant toute basé sur le bois. Les moyens de transport terrestre (calèche) ou maritime, les constructions, les instruments sont majoritairement en bois. Les métiers à tisser sont en bois, comme les pompes, …, les pressoirs. Les charrues ont le plus souvent un soc en bois garni d’une mince lame de fer.
On n’utilise réellement le métal que lorsque l’usage du bois est impossible ; pour la frappe des monnaies ou la fabrication des armes. La situation n’évoluera que très lentement, même lorsque les perfectionnements techniques permettront une plus forte production de fer. Les premières machines textiles seront ainsi construites en bois et seules leurs parties mobiles seront en métal, jusqu’au début du 19ème siècle.
Un commerce du fer faible et discontinu
Le fer est alors loin d’avoir l’importance du marché des grains par exemple. Il est surtout discontinu et très lié au besoin d’un seul client. L’état est en effet le principal client et utilise le fer pour l’armement. Le marché du fer est donc très lié aux vicissitudes de la guerre. L’état, gros consommateur en période de guerre pour ses arsenaux, réduit très fortement voir cesse complètement ses commandes dès le retour d’une période de paix, conduisant les forges et les fonderies à l’inaction et à la stagnation. Cependant, inexorablement, les consommations de fer vont s’accélérer au cours du 18ème siècle avec de plus en plus de fer importé (Grande Bretagne, Suède, Russie, …).
Les nombreuses guerres du 18ème siècle
L’influence des grandes guerres, qui divisent alors l’Europe, ont très fortement dopées la demande en métaux ferreux. Les guerres de succession de Pologne et d’Autriche, la guerre de sept ans, la guerre d’Amérique, …, ou la colonisation ont mis en mouvement des masses de combattants très nettement supérieurs en nombre à toutes les guerres précédentes et ont exigées un effort d’armement considérable (canons, boulets en fonte, …). Ces guerres ont poussé à la productivité ainsi qu’à l’amélioration des techniques. Ainsi, les 22 années de conflit continu (de 1793 à 1815) qui ensanglantent l’Europe lié à la Révolution française et aux conquêtes Napoléoniennes vont donner une impulsion considérable à la métallurgie. En effet, l’utilisation des armes à feu et des canons en particulier devient massive et surpasse de loin l’arme blanche (sabre) sur tous les champs de batailles dans tous les camps avec une standardisation des armements. Le canon donne en effet une supériorité indéniable poussant à une surenchère dans le nombre de canons en action sur le champ de bataille.
Le fer remplace le bois progressivement
Il est difficile de savoir si c’est l’amélioration des techniques qui a tiré la demande ou au contraire si c’est la demande pour les efforts de guerre qui a tiré la qualité et la quantité vers le haut. Quoiqu’il en soit, vers la fin de 18ème siècle, le fer va très progressivement remplacer le bois dans les outils et machines agricoles ou industrielles.
La métallurgie du XVIIIe siècle, très liée au milieu naturel
Au 18ème siècle, la métallurgie est encore très liée et dépendante du milieu naturel. Elle est liée évidement au minerai et à la facilité d’exploitation de filons en surface ou en très faible profondeur. Le bois est ensuite le combustible traditionnel de la métallurgie. La consommation en bois est considérable et entraîne, pour les usines, l’obligation de se déplacer vers les grandes zones forestières. L’eau est utilisée, quant-à-elle, pour les soufflets des forges et hauts-fourneaux. Le rythme des ateliers est souvent imposé par l’approvisionnement en bois et par le débit d’eau des rivières et il n’est pas rare que les fonderies et forges ne fonctionnent qu’un mois sur deux (ou sur trois), faute d’un approvisionnement suffisant. Les ressources en bois limitaient bien souvent la production, bien d’avantage que la ressource en minerai.
Le bois n’est de plus pas utilisé tel quel, mais doit être transformé en charbon, ce qui constitue une opération longue et délicate. Toutes les essences de bois ne conviennent pas et des spécialistes sont chargés de choisir les espèces convenables. Les sécheresses, inondations ou gelées réduisaient fortement l’approvisionnement en eau et arrêtaient la production des ateliers. Les ouvriers, de plus, sont souvent contraints de délaisser leurs postes pour les moissons, les vendanges, ou en cas de mauvais temps limitant l’accès aux ateliers (gel, neige, …). Au final, la productivité de ces ateliers métallurgiques était très faible. Mais la recherche de productivité n’était pas une priorité car la demande du marché était encore très réduite.
La toute-puissance des corporations de métiers
Avant la Révolution française, l’ensemble des métiers était organisé en corporations très structurées et rigides (boulangerie, boucherie, …, tapisserie). Quelques corporations dont les forgerons, la sidérurgie et les mines étaient permises à la noblesse, à condition d’être exercées comme maître « en grand et sans tenir boutique ». L’organisation en corps de métiers empêchait la création de grandes entreprises car elle limitait strictement pour chaque maître le nombre de compagnons et d’apprentis possibles comme elle encadrait le nombre de maîtres dans une région en fonction de la population. Seules quelques grandes manufactures royales étaient autorisées.
Cette organisation protégeait les employés, limitait la concurrence et garantissait un haut niveau de salaire et de qualité. Mais, et les cahiers de doléances de 1789 le fustigent, l’exercice du métier était héréditaire, car en pratique, seul le fils d’un maître pouvait devenir maître à son tour. Cela créait des castes de métier dans la société de l’époque et empêchait tout mobilité sociale. Vers la fin du 18ème siècle, des libéraux, reprenant les doctrines d’outre-manche, s’opposèrent aux corporations de métier, leur reprochant d’être un frein à l’innovation et à l’investissement.
Une Europe encore très méfiante envers les innovations
Le 18ème siècle, encore héritier du moyen-âge, profondément chrétien, redoute l’innovation, susceptible de bouleverser l’ordre établi et de conduire à des profits jugés excessifs. La société de l’époque n’est pas forcément propice aux idées nouvelles ou aux investissements dans des moyens de production plus en adéquation avec les besoins de l’économie. L’idéal médiéval, qui se poursuit encore au 18ème siècle, est essentiellement orienté, en matière économique, vers la stabilité et l’équilibre. L’inventeur apparait comme un homme dangereux, susceptible de bouleverser l’harmonie de la société. Les inventions techniques ne sont tolérées que dans la mesure où elles améliorent les produits sans les bouleverser. De plus, toute la société est encore verrouillée par une noblesse qui prend peu d’initiative et se contente de vivre de ses rentes (terres, domaines) avec une classe bourgeoise en progression (négociant, artisan, commerçant) mais qui n’a pas le contrôle économique et doit par-dessus tout « rester à sa place ».
Des ateliers métallurgiques de petites tailles
Les ateliers métallurgiques sont, à cette époque, de petite taille avec une très faible capacité d’investissement. Ils sont souvent dirigés par des anciens ouvriers avec peu d’éducation. La transmission du savoir-faire se fait essentiellement de père en fils. Les méthodes et procédés sont encore transmis oralement et il y a très peu d’ouvrages techniques sur lesquels s’appuyer. Le grand capitalisme financier et industriel n’existe pas encore au 18ème siècle.
Les ateliers métallurgiques emploient souvent bien davantage de personnel (dans un ratio de 10 pour 1 environ) à l’extérieur de l’atelier, pour couper du bois, le transporter, …, voiturer le minerai que pour travailler le fer à proprement dit. Cependant, en 1789, on constate que de plus en plus d’usines utilisent la houille à la place du bois et que les machines à vapeur commencent à apparaître qui remplacent l’énergie des rivières. Ce sont les prémisses de la révolution industrielle en France.
Une accélération de la production de fer vers la fin du 18e siècle
A partir de 1760-1770, en dépit des disparités entre les pays, l’Europe a été entrainé dans un mouvement très rapide d’accroissement de la production de fer. L’Angleterre est devenu, au cours de cette période, la plus grande puissance métallurgique et industrielle en Europe, devançant tous les autres pays. Les importations de fer en Angleterre se sont ainsi accrues de près de 820 % entre le début et la fin du siècle. La production de fonte outre-manche, a ainsi a connu un accroissement spectaculaire en particulier vers la toute fin du 18ème et au tout début de 19ème siècle. Ainsi, la production de fonte en Angleterre, de 68.000 tonnes en 1788 est passé à 125.400 tonnes en 1796, puis à 250.000 tonnes en 1806 et enfin à 678.000 tonnes en 1830. La production en France augmente également fortement, passant de 138.000 tonnes en 1788 à 225.000 tonnes en 1830. Au tout début du 19ème siècle (1830), la production de fonte en France est cependant encore 3 fois plus faible que celle en Angleterre.
L’Angleterre est alors sans conteste, la pays leader en métallurgie, ayant commencé sa révolution industrielle (machine à vapeur, utilisation du coke, organisation du travail, …) quelques dizaines d’années avant tous les autres pays d’Europe. L’Angleterre réalise cette association puissante entre la technicité et un grand capitalisme embryonnaire, créatrice d’usines (avec un personnel important) et exportatrice de produits, là où les autres puissances Européennes exploitaient encore de petits ateliers peu productifs (20 ouvriers en moyenne) avec de très faibles capacités d’investissement et ne produisaient encore que pour leur marché intérieur. Il s’agit alors pour les pays d’Europe continentale de combler ce retard en copiant les techniques d’Outre-Manche.
La Russie fournisseur de fer de l’Europe
Alors que certains pays d’Europe (Angleterre) luttent pour exporter leurs produits finis (quincaillerie, fil de fer, machines) ou satisfaire leur demande intérieure (France, Saxe) d’autres (Russie, Suède) se spécialiseront davantage pour exporter le fer. Une bataille du fer existera longtemps entre la Suède et la Russie qui chercheront toutes deux à dominer le marché européen des exportations de matière première. Si cette bataille commerciale fut gagnée par la Russie, le Suède continuera cependant à exporter ses produits dans le reste de l’Europe. Néanmoins, la Russie devint vers 1740, le premier fournisseur en fer des pays européens. Ce commerce du fer était réalisé par voie terrestre entre pays voisins et par voie maritime sur de plus longues distances (Russie-Angleterre). Les guerres perturberont évidemment ce commerce à de nombreuses reprises.
Les ouvrages techniques du XVIIIe siècle
Des ouvrages de référence sur le fer paraitront au cours du siècle, comme le « De Ferro », du suédois Swedenborg publié en 1735 qui restera longtemps un classique, mais aussi « L’analyse du fer » de Bergmann, la « Chimie métallurgique pratique » de Gellert, « Le traité de la fonte des mines » de Schlutter ou encore « L’art des forges et fourneaux à fer » de Courtivron et Bouchu. Mais au-delà de ces ouvrages, des essais d’innovation et d’enseignement sont apparus à partir de 1750-1760. Ainsi, l’Ecole des Mines de Freidberg en Saxe envoie-t-elle des techniciens dans l’Europe entière. D’autres écoles existèrent ailleurs en Europe qui permirent de diffuser progressivement les techniques.
Plus localement, des regroupements d’artisans, de grands seigneurs propriétaires terriens et de techniciens œuvrèrent ensemble pour perfectionner les techniques et enquêter sur les meilleures pratiques de leur époque. On estime que c’est vers 1740-1750 que l’Europe métallurgiste commença à sortir de sa léthargie pour tester, expérimenter, échanger sur les bonnes pratiques. Certes à petite échelle et sans réelle organisation et souvent sous l’impulsion de quelques-uns en particulier pour tenter de produire un acier digne de ce nom.
Les usines métallurgiques en France en 1789
Dans les années 1789, deux régions françaises regroupent 80 % des usines de production de fonte et de fer, le centre et l’Est de la France. L’Est de la France (Alsace, Lorraine, Champagne, Franche-Comté) concentre cependant la quasi-totalité (en tonnage) de cette production. Cette prédominance de l’Est est assez récente et ne date que d’un siècle ou deux en arrière. En 1789, la métallurgie du Centre de la France est en déclin. Mais alors que durant la première partie du XVIIIe siècle, les artisans métallurgiques s’implantent autour de sources de bois et de minerai, vers la fin du siècle, de nouvelles usines s’implantent près des centres urbains, là où se trouve la main d’œuvre qualifiée ou près des ports pour faciliter l’exportation des produits.
L’état des routes qui s’améliore facilite en effet le transport des matériaux (minerai, bois) sur de plus longues distances. Ainsi, autour de St Etienne, Firminy et Saint Chamont des dizaines d’artisans fabriqueront armes à feu, vis, ferrures et quincaillerie avec du fer qui sera totalement importé (sous forme de fer en bandes) d’autres régions de France ou même de l’étranger.
Conclusions
Alors que le fer au début du XVIIIe siècle était traité en parent pauvre dans toute l’Europe, il prend progressivement une place majeure vers la fin du siècle et au début du suivant. A une production très faible et sporadique succède une production d’envergure croissante avec une circulation de matière première (fer), mais aussi de produits finis. Les guerres qui ont émaillées l’histoire de l’Europe ont clairement tirés la demande en métal. Progressivement, d’autres usages civils du fer sont apparus avec un métal qui a peu à peu et de manière progressive a remplacé le bois qui dominait encore au début du 18ème siècle.
bonjour
j’ai traité une partie de ce thème dans mon roman « Rendez-vous manqué à Sheffield », Kris Petit, aux éditions Dehache.
Bonjour Kris et merci de votre commentaire. Les romans qui sont en lien avec un contexte scientifique (ici, la métallurgie historique Outre-Manche) sont toujours très enrichissant. Le résumé de votre roman (ci-joint le lien vers le site des Editions Dehache) donne envie de se plonger dans l’histoire.
https://www.editionsdehache.fr/livres/9782382310243