L’atomisation de poudres d’alliages de titane constitue une technologie spécifique qui permet de produire la matière première utilisée dans différents procédés de transformation (fabrication additive, MIM, compaction isostatique à chaud). Dans cet article, qui concerne la fabrication de poudres d’alliages de titane pour la fabrication additive, nous détaillerons le procédé d’atomisation EIGA, les paramètres d’atomisation majeurs, la caractérisation des poudres et l’aspect sécurité.
Une demande mondiale en titane en forte augmentation
Le titane est un matériau à fort potentiel pour des applications industrielles stratégiques comme l’aéronautique, la défense…, le médical. En effet, sa faible densité, ses propriétés mécaniques et thermiques, ou encore sa biocompatibilité, en font un matériau idéal pour ces applications. La demande mondiale de titane était de 140 000 tonnes environ en 2017, principalement pour les secteurs de l’aéronautique et des applications industrielles (chimie, énergie…). La demande en titane destinée à l’aéronautique commerciale a augmenté de 30 % en 4 ans. Cependant, le titane et ses alliages restent des matériaux chers.
On distingue actuellement quatre familles de procédés qui utilisent de la poudre d’alliages de titane. Tout d’abord, les techniques de fabrication additive sur lit de poudre : l’apport d’énergie par faisceau Laser (Laser Beam Melting, LBM) ou par faisceau d’électrons (Electron Beam Melting, EBM) sur un lit de poudre permet une fusion localisée pour construire des pièces complètes avec des géométries relativement complexes. Ensuite le rechargement laser où la poudre est apportée et fusionnée localement par un faisceau laser (Direct Metal Deposition, DMD). Puis le MIM (Metal Injection Molding) dans lequel la poudre, mélangée à un liant, est injectée, puis déliantée et frittée. Et enfin la compaction isostatique à chaud (CIC) où la poudre est placée dans un conteneur de géométrie proche de celle de la pièce puis densifiée sous l’action d’une pression et d’une température élevées.
La fabrication additive, un marché en plein essor
Le marché de la fabrication additive est en plein essor car cette technologie offre une alternative à la métallurgie traditionnelle (fonderie, forgeage…) en permettant la fabrication de pièces « proches des cotes » et donc la diminution des pertes de matière liées à l’usinage.
L’émergence et le fort développement des procédés de fabrication additive ont ouvert de nouvelles perspectives en termes de volumes pour les alliages de titane. En effet, ce marché se développe très rapidement et des pièces commencent à être installées sur les avions. Certaines techniques de fabrication utilisent comme matière première des fils, d’autres des poudres métalliques.
Les caractéristiques des poudres
En fonction du procédé de mise en forme et de l’application visée, la poudre doit respecter un certain nombre de caractéristiques. Comme pour des pièces fabriquées par les voies “traditionnelles”, ces critères sont essentiels pour assurer les propriétés métallurgiques de la pièce finie. Certains d’entre eux sont en particulier imposés pour faciliter la mise en œuvre de la poudre dans les machines de fabrication additive. Les principaux critères sur les poudres sont la granulométrie (taille), la morphologie, notamment la sphéricité et la présence de “satellites” (c’est-à-dire de fines particules accrochées à la surface d’une particule plus grosse qui diminuent la coulabilité et la densité apparente) et enfin la composition chimique, en particulier le taux d’oxygène.
Concernant les granulométries, les besoins dépendent de la technique de fusion. Par exemple, la fraction 14-45 µm est adaptée pour la LBM et celle 45-105 µm pour l’EBM. Les propriétés de coulabilité des poudres sont également importantes pour assurer un bon comportement dans les circuits des machines de fabrication additive et un lit de poudre homogène.
Les alliages de titane sont dits « réactifs », en raison de leur forte interaction avec l’oxygène et l’azote, ce qui rend leur fusion et leur mise en forme parfois délicates pour atteindre les qualités demandées. Il est donc nécessaire de limiter voire de supprimer toute contamination lors de la fabrication.
Le procédé d’atomisation EIGA
Aujourd’hui, différents procédés industriels de transformation d’alliages de titane en poudre existent. Chaque procédé présente des avantages et inconvénients en termes de propriétés des poudres, et aussi de coûts d’investissement et d’exploitation. Les principales techniques se décomposent en deux familles : les technologies plasma et l’atomisation par gaz (tableau ci-dessus). L’atomisation à l’eau, comme pour certains aciers, n’est pas possible pour le titane à cause de la réactivité du métal.
Le système d’atomisation par gaz qui permet de limiter le plus l’introduction d’impuretés pendant la fusion est le procédé EIGA (Electrode Induction Melting Gas Atomisation). La fusion se fait sans contact : une électrode est insérée dans une bobine conique en cuivre et chauffée par induction. Le métal liquide s’écoule en jet libre dans la buse d’atomisation (free-fall), et entre en contact avec le gaz (argon) sous haute pression. Le jet est ainsi désintégré sous forme de gouttelettes de métal liquide qui refroidissent dans la tour d’atomisation. Ce procédé permet de produire des poudres entre 0 et 300 µm environ. La taille standard d’électrode atomisée est de 50 mm de diamètre pour 500 mm de longueur, soit la production de 10 kg de poudre.
La tour EIGA installée à MetaFensch permet d’atomiser des électrodes de longueur 1000 mm et de trois diamètres : 70, 100 et 150 mm, correspondant respectivement à 15, 30 et 75 kg de poudre par atomisation (pour l’alliage de titane TA6V – Ti6Al4Vn). Pour balayer les paramètres de fonctionnement de la tour d’atomisation et les possibilités en termes de qualité de poudre, des essais sur l’alliage de titane TA6V ont été réalisés.
Influence des paramètres d’atomisation
Il y a trois grandes familles de paramètres qui pilotent l’atomisation : la matière première, la fusion et l’atomisation. La qualité initiale de l’électrode (chimie, porosité, défauts métallurgiques…) est tout d’abord primordiale. Comme la fusion est réalisée de manière locale sur toute la longueur de l’électrode, il n’y a pas de possibilité de la modifier au cours de l’atomisation. En effet, on peut supposer que le métal fondu à un instant t se retrouve en poudre avec la même composition à l’instant t+1. Ensuite, les autres paramètres sont en lien avec la fusion. Les propriétés du filet métallique (température, vitesse, diamètre, stabilité…) sont modifiables via les paramètres d’induction et la forme de la bobine. Enfin, l’atomisation sera pilotée en jouant notamment sur les paramètres de gaz (pression, vitesse, débit, …) et la forme de la buse. Tous ces paramètres influencent la taille et la morphologie des poudres produites.
Une formule empirique, appelée formule de Lubanska, permet de relier la taille des particules aux paramètres du procédé d’atomisation. La taille de poudre est exprimée via le d50, diamètre médian du lot de poudre (50 % des particules produites ont un diamètre inférieur ou égal au d50). L’équation de Lubanska simplifiée montre que, à caractéristiques de buse et de matériaux fixées, la taille de poudre ne dépend que du débit de métal (M) et du débit de gaz (G).
La formule de Lubanska peut être vérifiée en faisant varier de manière indépendante le débit de gaz puis le débit de métal. A débit de métal M constant, l’augmentation du débit de gaz permet de diminuer la taille de poudre produite. Le débit de gaz est principalement relié à la pression de gaz (argon) injecté. La gamme de pression se situe entre 25 et 50 bars. Des atomisations ont été réalisées en faisant varier la pression de gaz à paramètres métal constants. Les résultats suivent bien la formule de Lubanska : la taille moyenne des particules diminue à plus fortes pressions. La figure ci-dessus donne l’influence de la pression de gaz d’atomisation sur la taille de poudre pour les électrodes de diamètre 100 mm. La diminution est de plus de 30 % grâce à l’augmentation de pression. Cependant, à pression plus haute, le jet de métal est déstabilisé par les flux de gaz et engendre des difficultés de pilotage du procédé. Un compromis est donc à trouver entre d50 faible et stabilité de l’atomisation.
La deuxième possibilité est de jouer sur le débit de métal. Il est relié aux paramètres de fusion, notamment la puissance, la vitesse d’avance de l’électrode et la taille de l’électrode. La puissance et la vitesse sont réglées pour avoir un filet de métal stable. Concernant la taille d’électrode, l’augmentation de son diamètre permet d’augmenter la productivité, mais engendre également un débit de métal plus important. Entre le diamètre 70 mm et le diamètre 150 mm, le débit de métal est presque triplé (figure ci-dessous).
Les atomisations à débit de gaz constant et à diamètre d’électrode croissant ont montré une diminution du rendement des poudres les plus fines avec le diamètre 150 mm. Le rendement de la tranche granulométrique 14-45 µm, destinée à la technique de fusion laser sur lit de poudre, est divisé par deux entre le diamètre 70 mm et le diamètre 100 mm, et par trois avec le diamètre 150 mm. En revanche, la production de poudre est multipliée par cinq (figure ci-dessous).
Il existe donc un compromis à trouver entre productivité du procédé EIGA et rendement des poudres. Ces premiers résultats permettent de confirmer, avec une installation EIGA pilote, les grandes tendances des procédés d’atomisation qui reposent sur le ratio entre débit de gaz et débit de métal. D’autres paramètres sont à explorer pour comprendre au mieux le procédé. La fiabilisation des résultats est un enjeu important dans l’upscaling du procédé EIGA (passage du diamètre 50 au diamètre 150 mm) et l’optimisation des propriétés des poudres produites à cette échelle.
Caractérisation des poudres
Outre la taille de poudre qui peut être modifiée par les débits de gaz et de métal, d’autres propriétés sont mesurées. Après atomisation, on réalise un certain nombre d’analyses des poudres :
La granulométrie ;
- La mesure de la morphologie, par observation de la forme des particules et de la présence de satellites. MetaFensch est équipé d’un morpho-granulomètre optique qui calcule après analyses d’images des facteurs de forme comme la sphéricité, le rapport longueur sur largeur, la rondeur, en plus de la taille de poudre ;
La porosité interne des particules ;
- La mesure de la teneur en azote, en oxygène et en hydrogène en fonction de la granulométrie ;
- La mesure de coulabilité statique avec un cône de Hall (figure ci-contre). Le test consiste à mesurer le temps nécessaire à l’écoulement d’une petite quantité de poudre (50 g en général) à travers un entonnoir donc l’angle, le diamètre de l’orifice et l’aspect de surface sont calibrés selon des normes.
Pour illustrer les poudres produites à MetaFensch, une image au MEB de poudre atomisée sur la tour EIGA est donnée en figure ci-dessous. Cette poudre a été tamisée pour séparer la fraction granulométrique 14-30 µm après atomisation. Les particules sont assez sphériques et présentent peu de satellites. La sphéricité calculée au morpho-granulomètre est de 90 %. La chimie “globale” n’est pas systématiquement analysée car le procédé EIGA n’induit aucune différence entre l’électrode et la poudre (par exemple lié à la volatilisation d’éléments légers). Cependant, les poudres les plus fines (14-45 µm) ont un taux d’oxygène plus important, qui reste dans les spécifications de la nuance. Cela provient probablement de leur surface spécifique plus grande par rapport aux poudres supérieures à 45 µm.
Ces mesures classiques sont importantes pour caractériser de manière globale les poudres, mais ne sont pas adaptées à toutes les granulométries. En effet, les poudres les plus fines ont généralement une coulabilité plus faible, expliquée par la diminution des forces de gravité au profit des forces d’interaction comme les forces électrostatiques ou de Van der Walls. Ce comportement cohésif entre les particules limite l’écoulement libre de la poudre.
D’autre part, ces propriétés ne sont pas forcément représentatives des comportements des poudres dans les machines de fabrication additive. Il semble nécessaire de trouver d’autres propriétés et les moyens de caractérisation associés afin de qualifier les poudres produites en fonction de leur utilisation.
Aspects sécurité
Deux considérations importantes dans la poudre de titane sont la santé des travailleurs et la sécurité des installations. La poudre de titane, comme la plupart des poudres métalliques, est combustible sous certaines conditions. Des tests standardisés (liste non-exhaustive) comme l’énergie minimale d’inflammation (EN 13821), la température minimale d’inflammation (EN 50281) ou encore la limite inférieure d’explosibilité (VDI 2263) permettent de caractériser la poudre.
Ce risque ATEX (ATmosphères EXplosives) a pour première conséquence la classification ICPE (Installation Classée pour la Protection de l’Environnement, notamment les rubriques 1450 ou 4430 mais aussi les rubriques sur la fonderie) des sites producteurs de poudre. Il existe plusieurs niveaux allant de la simple déclaration à un classement de type SEVESO. Il est essentiel de consulter la DREAL pour tout projet et d’appliquer les prescriptions des arrêtés.
Au-delà des aspects réglementaires, il y a peu de normes dans le domaine. Ceci dit, différents guides de meilleures pratiques existent et sont inspirés par le standard NFPA 484 (USA). En général, il faut appliquer le « triangle du feu » en évitant la dispersion des poudres (combustible) en présence de l’air (comburant) et d’une source d’énergie.
Pour le cas particulier du procédé décrit ci-dessus, il faut, tout d’abord, que la conception de la tour d’atomisation prenne en compte les aspects ATEX. Ensuite, l’atomisation a lieu sous gaz inerte mais des organes de sécurité (type soupape) sont nécessaires en cas d’incident. Les phases aval du processus – transfert, tamisage, conditionnement, stockage, caractérisation – présentent également des risques. De plus, la poudre doit être stockée sous gaz inerte dans des containers adaptés et chaque opération de transfert doit avoir lieu dans un local propre avec une aspiration adéquate et du personnel équipé. Enfin, la mise à la terre des équipements et même des bidons de stockage est recommandé. Pour la santé des travailleurs, des EPIs adaptés comme les lunettes, les masques FFP3 et les combinaisons type TYVEK sont obligatoires. Un suivi renforcé médical avec prise de sang est souvent recommandé par les médecins de travail.
Conclusions et perspectives
La tour d’atomisation EIGA permet de produire des poudres sphériques d’alliages de titane en limitant les pollutions. La composition initiale de la barre et son homogénéité sont importantes. L’atomisation produit des poudres sur une gamme de taille entre 0 et 300 µm. La valorisation de chacune des fractions granulométriques dans des applications diverses (fabrication additive, frittage…) est donc un enjeu « de taille ». A cela s’ajoute le défi lié au recyclage des poudres hors spécifications ou issues des rebuts de la fabrication additive. Les résultats présentés concernent l’alliage de titane le plus courant (TA6V), mais ce procédé permet l’atomisation de tous les alliages réactifs (TiAl, TiNb, Zr…). La meilleure connaissance de l’atomisation des poudres pour la fabrication additive passe aussi par la formation du personnel.
Nous remercions MetaFensch, partenaire de CTIF sur plusieurs projets de R&D dont un sur l’atomisation de poudres d’acier, pour cet article passionnant.
Petite question, comment se mesure la porosité interne des particules ? (Caractérisation des poudres)
Merci pour l’article ! ?
Bonjour Hugo et merci pour votre intérêt pour cet article tout d’abord. Une façon simple d’analyser la porosité interne est d’observer la poudre enrobée à froid et polie au microscope (optique ou MEB). La préparation de l’échantillon (représentativité des particules prélevées, polissage) est une étape critique mais cette observation permet d’avoir une bonne idée de la porosité interne. Ensuite, une autre possibilité est d’analyser la poudre par micro-tomographie pour une observation 3D et une analyse statistique des grains. Enfin, a technique de pycnométrie permet de mesurer la densité des poudres mais sans prendre en compte les porosités fermées.
Bonjour,
J’ai une problématique où un revêtement Ti a sauté sur une plaque à tubes carbone . Est il possible de faire un rechargement local en Titane du revêtement sur un acier carbone ?
Merci du retour,
Bonjour,
Comment contrôlez-vous le taux d’oxygène dans le produit final (poudre), et comment pouvez-vous le réduire ?
Merci.
Jean-Claude
Bonjour Jean-Claude et merci pour votre question.
Pour limiter la reprise en oxygène lors du procédé, la tour d’atomisation suit un cycle de vide et d’inertage à l’argon, avec mesure de la teneur en O2 afin de s’assurer d’un taux initial très bas. La qualité du gaz d’atomisation est également importante, l’utilisation d’argon extra pur est à privilégier. Enfin, la chaine d’inertage doit être assurée après l’atomisation lors de la manutention, du tamisage et du stockage de la poudre.
Le procédé EIGA, avec la fusion sans contact, permet déjà une pollution faible liée à l’atomisation. Une des pistes pour limiter le taux d’O2 dans la poudre est donc de choisir une matière première (électrode) avec une faible teneur en O2.