Selon Gérard Nissim Amzallag, Yahweh, le dieu de la Bible aurait été en lien avec une divinité des forgerons de la tribu des Qénites qui pratiquaient un culte de la métallurgie du cuivre. C’est du moins l’hypothèse développée par l’auteur du livre « La forge de Dieu ». Cet article, qui mélange métallurgie ancienne et étude des textes bibliques est clairement un peu en marge de la ligne éditoriale classique de ce blog. Il nous est paru cependant intéressant de parler du livre de Gérard Nissim Amzallag car il permet de prendre conscience de l’importance de la métallurgie du cuivre dans les temps anciens.
Gérard Nissim Amzallag
Gérard Nissim Amzallag est un biologiste français qui a traité de sujets d’études très variés allant de la biologie végétale à l’histoire des sciences en passant par l’évolution ou l’épistémologie. Il est également docteur en études bibliques et chercheur à l’université Ben-Gourion du Néguev en Israël.
Il a publié en 2020 « La forge de Dieu » dans lequel il détaille les arguments archéologiques ou liés à l’étude des textes de l’Ancien Testament qui expliqueraient selon lui les origines métallurgiques du dieu de la Bible.
Le site de Timna
Timna, dans le sud de l’Israël était un important lieu de production de cuivre avec plus de 1000 sites découverts. Dans la période 1969-1971, des fouilles mirent à jour plus de 11 000 pièces sur une aire de seulement quelques mètres carrés avec des objets remontant au VIIe siècle avant notre ère ou encore des cartouches des pharaons Sete I ou Ramsès II. Sur la base des nombreuses céramiques, inscriptions ou amulettes découvertes, les chercheurs en conclurent qu’il existait jadis une chapelle consacrée à Hathor la déesse égyptienne des Mines, dont une douzaine de temples sont connus. Deux fourneaux à l’entrée du sanctuaire révélèrent que des rites liés à la métallurgie y étaient pratiqués. On sait en effet que dans l’antiquité, la technique de l’affinage du métal était intimement mêlée au sacré. Enfin, la chapelle d’Hathor fut détruite et remplacée par une tente servant apparemment de sanctuaire avec la disparition des signes Egyptiens.
L’exode et la sortie d’Egypte
La présence divine qui accompagne les juifs fuyant l’Egypte (livre de l’Exode) est relaté ainsi : « YHWH marchait devant eux, le jour dans une colonne de nuée pour leur indiquer la route, et la nuit dans une colonne de feu pour les éclairer, afin qu’ils puissent marcher de jour et de nuit. La colonne de nuée ne se retirait pas le jour devant le peuple, ni la colonne de feu la nuit » (Ex 13, 21-22). Selon Gérard Nissim Amzallag, la « colonne de nuée » peut être interprétée comme la fumée qui se dégage des fourneaux de fusion de cuivre le jour alors que la nuit, le rayonnement thermique serait la « colonne de feu ».
De plus, la tente sanctuaire, dont les restes ont été retrouvés à Timna, rappelle la tente de rendez-vous (citée dans l’ancien Testament) dite Tabernacle (du latin tabernaculum : tente, hutte) utilisée lors des pérégrinations dans le désert du peuple d’Israël et qui était utilisée pour communier avec Dieu.
Les Qénites, forgerons adorateurs de YHWE
Les forgerons de cuivre, adorateur de YHWE, appartenaient, selon les hypothèses développées par l’auteur, à la tribu Qénite, descendants de Caïn. La genèse rapporte en outre que Caïn était à l’origine agriculteur mais qu’il fut contraint par YHWH, après le meurtre de son frère, d’abandonner cette activité pour une vie d’errance. Or le tabou de l’agriculture, attachée aux Qénites est mentionné au chapitre 35 du livre de Jérémie. Si l’on en croit ce lien, les Qénites se seraient alors spécialisés dans le travail des métaux. Tubal-Caïn, descendant de Caïn fut « l’ancêtre de tous les forgerons de cuivre et de fer » (ch. 4, v. 22, livre de la Genèse). Enfin, les Qénites auraient portés un tatouage sur le front (caché par un bandeau), le fameux « signe de Caïn », qui fut perçu comme le signe des prophètes de YHWH dans certains textes anciens.
Une hypothèse Qénites du Yahwisme
C’est en 1869, avec l’allemand Friedrich Ghillany, qu’émergea pour la première fois l’idée que le Yahwisme (culte de YHWH) pourrait avoir eu une origine Qénite. En 1872, le hollandais Cornalis Tiele exposa un argumentaire détaillé de ce que l’on nomma bientôt la théorie de l’origine Qenite du Yahwisme (dit encore théorie Qénite). L’auteur Gérard Nissim Amzallag est donc dans la continuité de cette tradition.
Le fourneau céleste
Dans le livre d’Ezéchiel, le prophète y raconte sa vision de l’univers divin : « Je regardais, et voici, il vint du Septentrion un vent impétueux, un gros nuage [de fumée], et un feu jaillissant d’une lumière éclatante, dans lequel brillait quelque chose comme un hasmal émanant du feu ». Cela rappelle, d’après l’auteur du livre, l’activité d’un fourneau métallurgique d’autant plus que le terme hasmal, très similaire en Egyptien, désigne soit de l’ambre, soit un alliage métallique de couleur jaune pale ou orangé. L’idée d’un fourneau céleste, positionné au-dessus de la voute céleste n’est pas aussi extraordinaire à cette époque qu’elle le parait de nos jours. En effet, le soleil était jadis perçu comme une boule de métal en fusion diffusant la lumière, la vie et la chaleur sur la terre.
YHWE, le dieu souffleur
Dans les textes bibliques apparaissent à de très nombreuses reprises la notion de « souffle de Dieu » ou de « narines de Dieu ». Gérard Nissim Amzallag pense que cette terminologie est en rapport étroit avec les pratiques métallurgiques utilisées dans les fourneaux des artisans Qénites de cette époque. Les « narines » seraient les longues tuyères utilisées pour amener l’air au plus près de la zone à refondre. L’allongement des tuyères (le nez) fait baisser la pression d’air et limite la température de métal. Selon l’auteur, un des oracles du livre d’Isae prend alors tout son sens :
A l’égard de mon nom, j’allongerai mon nez,
et ma grandeur, je briderai pour toi
Afin de ne pas t’exterminer [IS 48, 9]
Vois, je t’ai affiné,
Mais pas comme on fait pour l’argent,
Je t’ai purifié au faible fourneau [Is 48, 10]
Dans cette « métaphore métallurgique », Dieu augmente la longueur de ses tuyères (le nez) pour limiter la température (et ne pas fondre son peuple) en restant à des basses températures permettant de rester à l’état solide.
La production de cuivre comme création miraculeuse
Le fourneau en activité est dans l’antiquité bien davantage qu’une simple opération d’artisans métallurgiques et ceci pour plusieurs raisons. Tout d’abord, dans la région du sud-Levant, le cuivre natif n’existe pas, et n’est donc pas un élément naturel. Ensuite, le minerai utilisé est de couleur verte ou bleue (malachite ou turquoise). La transformation du minerai en un métal jaune est donc vécue comme un prodige. A contrario de la poterie, du tissage, de l’élevage ou de l’agriculture qui mettent en œuvre des phénomènes de transformation soient simples, soient naturels, la métallurgie apparait comme un pur acte de création en soit (du minerai stérile au cuivre aux propriétés hors normes).
Ensuite, le processus de fusion met en exergue la puissance de l’air (par les soufflets), élément naturel qui semblait bien connu des hommes mais qui semble avoir des pouvoirs très inattendus (permettre la fusion) et inexpliqués à l’époque. Enfin, la capacité de pouvoir recycler (par refusion) des objets corrodés ou abimés apparait comme un processus de revitalisation qui rappelle la réapparition quotidienne du soleil qui vient réveiller le vivant.
Les défunts en Egypte
Déjà, en Egypte, les défunts d’importance au IVe millénaire avant notre ère, avant la momification, étaient inhumés sur un lit de charbon avec une application de malachite – Cu2Co3(OH)2 – sur le corps. Le tombeau était ainsi sans doute assimilé à un fourneau dans lequel le corps du défunt était renouvelé et permettait la vie outre-tombe.
La métallurgie au cœur du processus de création
C’est le processus de création presque ex-nihilo – du minerai en cuivre – qui semble conférer à la métallurgie sa position centrale de l’univers religieux de l’époque. Si le fourneau est le site unique et exclusif de création de matière noble (le cuivre), alors le dieu YHWH est lui aussi détenteur exclusif des forces démiurgiques. Ainsi YHWH est-il hissé au rang de créateur de l’univers probablement depuis sa « découverte » par les métallurgistes Qénites. Ce statut découle probablement de la façon dont la métallurgie était appréhendée longtemps avant l’émergence d’Israël.
La lecture de la Forge de Dieu
L’auteur, Nissim Amzallag, ne s’appuie pas sur une preuve unique pour dérouler sa théorie (YHWH était le dieu des forgerons Qénites avant de devenir le Dieu du peuple d’Israël), mais sur un faisceau d’indices. Il faut remarquer cependant que les indices matériels en provenance de l’archéologie sont plutôt mineurs et que les principaux indices résultent presque exclusivement de l’étude des textes bibliques (La Genèse, l’Exode, …). Si certains textes de l’Ancien Testament étayent de manière convaincante la théorie, d’autres paraissent quelquefois surinterprétés.
Au final, il nous semble que l’argumentation s’appuie beaucoup trop sur l’unique interprétation des textes bibliques et qu’aucune preuve scientifique (archéologique) solide n’est réellement apportée. L’hypothèse de l’origine Qénite du Yahwisme et issu d’un « culte de fondeurs et forgerons de cuivre » paraît avoir du sens mais reste encore à prouver.
Super article .
Merci pour ce partage .
Bonjour Roger et merci pour votre avis sur cet article – un peu atypique de MetalBlog – sur la forge de dieu.
Merci de votre article.
La théorie de Nissim Amzallag m’intéresse. Parmi les esprits du vodou haïtien, il existe Ogou, l’esprit du feu et du fer. Redoutable guerrier, l’épée ou le sabre ou la machette à la main, il préside le Sud, d’où il est venu selon la tradition. À chaque cérémonie dans le temple vodou, il faut allumer la forge (le Ferraille d’Ogou) qui doit brûler jusqu’à la fin. C’est un esprit protecteur, respectant les règlements, fidèle à ses serviteurs, infatigable travailleur, aimant les courageux, sage, bon père et bon vivant. Il a les traits de l’Éternel des Armées dont parle l’Ancien Testament.
Bonjour Evains et merci de votre témoignage très intéressant. De nombreuses mythologies et religions, de part le monde, mettent en exergue le feu, le fer et le cuivre. Sans doute parce que l’élaboration métallurgique de ces métaux, à partir de roches, paraissait quasiment miraculeuse.