
Disque de frein de poids-lourd en fonte à graphite lamellaire.
La durée de vie des disques de frein de véhicule poids-lourd est limitée par l’apparition de fissures liées à l’effet d’entaille associée aux lamelles de graphite. Sur le marché hautement concurrentiel du disque de frein, de nombreuses solutions matériau sont déjà proposées, telles que les fontes avec des éléments d’alliage (molybdène, titane, vanadium, niobium ou nickel). L’ajout de ces éléments permet d’améliorer la résistance à la fatigue thermique ou la résistance à l’usure, mais leur coût limite leur teneur et donc leur effet. Plusieurs disques de frein ont été collectés dans un centre routier d’entretien afin de caractériser l’endommagement subi en service. L’observation des disques endommagés met en évidence la présence de fissures macroscopiques radiales et d’un réseau de faïençage résultant de la fatigue thermique ainsi qu’une oxydation superficielle.
Améliorer la durée de vie des disques de frein

Essieu de remorque de poids-lourd avec disques de frein (source GIGANT).
Les essieux de remorque de véhicule poids-lourd sont équipés d’un système de frein à disque à chaque extrémité. Il apparaît de manière évidente que le remplacement du disque est délicat car ce dernier est confiné dans le système. La dépose d’un disque nécessite en effet de nombreuses opérations ainsi qu’une immobilisation du véhicule. Actuellement, la durée de vie d’un disque de frein est comprise entre 200 000 et 500 000 kilomètres suivant les conditions d’utilisation en service. Or, la durée de vie moyenne de la majorité des pièces composant l’essieu est d’un million de kilomètres. Il y a donc un enjeu industriel majeur dans le fait d’améliorer la durée de vie des disques de frein.
Utilisation de la fonte grise à graphite lamellaire
Traditionnellement, les disques et tambours de freins des véhicules sont réalisés en fonte grise à graphite lamellaire. Si le coût relativement réduit de ce matériau est un facteur de choix important, d’autres caractéristiques sont également d’une importance de premier ordre pour une telle application. En particulier, la fonte grise lamellaire présente une très bonne tenue à la fatigue thermique (qui est le mode principal de sollicitation des disques de frein) associée à une capacité de friction importante.

Disque de frein poids-lourd fissuré après utilisation en service.
Observation de fissuration et de faïençage en surface
Plusieurs disques de frein de poids-lourd ont été collectés dans un centre routier d’entretien afin de caractériser l’endommagement subi en service. De nombreuses fissures macroscopiques radiales sont observées sur la piste de frottement et certaines affectent les deux tiers de la largeur de la piste. Le faïençage est particulièrement visible par magnétoscopie. Un réseau est présent sur l’ensemble de la piste avec des fissures radiales. On note également que la bande centrale du disque est la zone la plus marquée.

Propagation d’une fissure de la surface vers le cœur du disque et rosettes de graphite à l’état initial (vue de droite).
Une coupe dans le sens du glissement permet d’estimer la profondeur de ces fissures observées en surface du disque. Elles se propagent d’une lamelle de graphite à l’autre dans la profondeur du disque jusqu’à plusieurs millimètres. L’oxygène, se propageant de la surface vers le cœur du disque en suivant l’interface matrice-graphite, conduit de plus à une oxydation interne de la fonte.
Modification de la microstructure après utilisation

Microstructure après utilisation en service (a) et avant utilisation en service (b) d’un disque de frein de poids-lourd.
La microstructure a également subi de fortes transformations après utilisation. On observe l’oxydation des lamelles de graphite décrite ci-après. La cémentite de la perlite (Fe3C) est quant à elle complètement transformée. Elle se trouve sous forme de globules ou d’agrégats et non plus sous forme de lamelles comme observé sur la microstructure initiale. L’examen indique également l’apparition d’îlots de martensite ou de bainite. En effet, lors d’un freinage d’urgence, la surface s’échauffe jusqu’à 800°C sur une profondeur de 0,1 à 0,5 mm. Dans cette zone, on dépasse alors brièvement la température de début de transformation austénitique (variable en fonction de la composition chimique de la fonte) entrainant la formation d’îlots d’austénite. Au refroidissement, ces îlots se transforment en bainite ou martensite en fonction de la vitesse de refroidissement.
Les mécanismes d’endommagement par fatigue thermique
Les fissures apparaissent sous l’effet de la contrainte générée par la différence de dilatation thermique entre la surface et le cœur de la pièce. La résistance à la fatigue thermique est obtenue par l’association d’une bonne conductivité thermique –apportée par le graphite- et d’un produit E x α faible. La résistance à la fissuration est importante pour des valeurs élevés de λ (conductivité thermique du matériau) et de la résistance à la rupture à chaud (σw).
La fissuration liée à des contraintes résiduelles de traction
La fissuration dans le sens radial est expliquée par des contraintes résiduelles de traction dans le sens circonférentiel apparaissant au cours du refroidissement. En effet, dans un premier temps, les pistes de frottement du disque se dilatent sous l’effet de la chaleur générée par le freinage. La structure du disque conduit à un bridage dans le sens circonférentiel et donc à des contraintes de compression dans cette direction. La limite d’élasticité est alors atteinte et des déformations plastiques dans le sens circonférentiel apparaissent en même temps que les contraintes continuent d’augmenter. Puis l’augmentation de la température à cœur conduit à une homogénéisation de la température dans le disque et donc à une réduction des gradients thermiques et donc des contraintes. Au cours du refroidissement, l’ensemble du disque refroidit jusqu’à la température ambiante. Des contraintes résiduelles de traction apparaissent dans le sens circonférentiel.
Transformation des phases en surface et déformation plastique de la matrice perlitique
Par ailleurs, l’apparition de phases transformées en surface, de structure cristalline différente de la perlite initiale, se traduit par l’apparition de contraintes résiduelles de traction dans le sens circonférentiel au niveau des zones les plus chauffées des pistes. Cela conduit à des contraintes dans la couche superficielle du disque, qui participent également à sa fissuration. Plusieurs auteurs ont également observé la déformation plastique locale de la matrice perlitique en subsurface du disque après essais de freinage. L’observation au microscope ionique FIB (Focused Ion Beam) sur coupe d’un disque en fonte GL après essais de freinage met en évidence la déformation plastique de la matrice perlitique sur une profondeur d’environ 5 μm. On souligne la présence d’une fissure à l’extrémité de la lamelle de graphite rejoignant celle observée en surface.
L’oxydation des fontes lamellaires
Par ailleurs, l’exposition des fontes grises à de hautes températures dans l’atmosphère naturelle entraîne un phénomène d’oxydation à chaud. A partir de 500°C, la fonte se couvre d’une calamine possédant une structure en feuillets d’oxydes de fer FeO, comme on a pu l’observer sur les disques de frein utilisés en service. Dans le cas des fontes à graphite lamellaire, l’oxydation se propage de la surface vers le cœur de la pièce le long des interfaces matrice-graphite. La nature de la matrice semble avoir peu d’influence sur l’oxydation à chaud des fontes grises.
Les expertises de disques de frein endommagés en service confirment donc la nature de l’endommagement comme étant la fissuration et le faïençage par fatigue thermique. De plus, l’oxydation le long des lamelles de graphite et les transformations de la microstructure sont bien observées.
De nombreuses solutions innovantes pour augmenter la durée de vie des disques de frein
Pour améliorer la durée de vie des disques de frein de poids lourds, les constructeurs ont proposé de nombreuses solutions au cours des trente dernières années. Une veille, réalisée par CTIF a montré la forte concurrence qui existe dans ce marché et la multiplicité des solutions proposées. Ce constat a été renforcé avec un rapport de l’INPI (Institut National de la Propriété Industrielle) qui recense une cinquantaine de brevets existants concernant les solutions techniques permettant d’augmenter la durée de vie des disques de frein des poids lourds. Ces brevets ont été déposés pour une grande majorité par des constructeurs de poids lourds ou leurs fournisseurs et concerne d’une part, la géométrie de refroidissement du disque et d’autre part, les matériaux. Nous ne retiendrons ici que les solutions basées sur le matériau « fonte ».
Des interactions complexes entre paramètres et un compromis à trouver
De nombreux travaux ont eu pour objet de déterminer les paramètres matériau influant sur la fissuration et de proposer de nouvelles solutions en modifiant ces paramètres. Dans tous les cas, la difficulté première est la prise en compte de la dépendance de ces paramètres avec la température, à laquelle s’ajoutent les interactions entre paramètres. Par exemple, dans le cas des fontes lamellaires, plus les lamelles de graphite sont grandes, plus la conductivité thermique est élevée mais plus la résistance mécanique est faible. Il faut donc trouver un compromis entre la résistance à la rupture et l’évacuation de la chaleur.
Les fontes grises lamellaires à teneur élevée en carbone
Les disques de frein pour poids lourds sont principalement en fonte grise à graphite lamellaire avec une répartition de type A aléatoire ou B en rosettes et à matrice perlitique. Ces fontes se sont développées dans les années 80, principalement pour les applications tambours et disques de frein de poids lourds. Ces fontes à haut carbone présentent de nombreuses qualités pour le freinage : résistance mécanique et à l’usure adéquates, module d’élasticité bas, conductibilité de chaleur à température élevée et coefficient de dilatation réduit.
Les fontes à haute teneur en carbone contiennent 3 à 3,5% de carbone, 1,8 à 2,8% de silicium et sont parfois faiblement alliées avec du chrome, du cuivre, du molybdène ou du nickel. Les lamelles de graphite sont relativement grossières et la matrice est complètement perlitique. Les auteurs affirment que les risques de fissuration et de criques dues à un échauffement violent sont nettement plus faibles ou totalement éliminés. De plus, la tendance à la déformation, au voilage, au striage et au gauchissement ont été sensiblement réduites. Les tensions résiduelles sont plus faibles. Les disques ventilés permettent d’obtenir un meilleur écoulement thermique et une meilleure évacuation de la chaleur par les canaux de refroidissement. La haute conductibilité thermique donne une meilleure répartition de la chaleur. Le coefficient de frottement reste stable malgré la haute teneur en carbone, ceci grâce à la structure perlitique. Ce matériau permet donc, d’après les auteurs, d’augmenter la durée de vie des corps de freins et des garnitures de manière significative.
Les fontes au vanadium
L’influence des éléments d’alliage a été très étudiée. Ainsi, certains auteurs se sont intéressés particulièrement aux fontes grises alliées au vanadium pour l’application poids lourds. Ils étudient la résistance à la traction et la résistance à la fatigue thermique de différentes fontes grises pour différentes teneurs en carbone et vanadium, alliées à du cuivre, du nickel ou du molybdène. Ils concluent que l’addition de vanadium (seul ou en combinaison avec le molybdène) permet d’augmenter la résistance à la traction d’une fonte à haute teneur en carbone en conservant sa résistance à la fatigue thermique. Les effets de l’addition de cuivre ou de nickel en combinaison avec le vanadium sont peu significatifs mais non défavorables. Les travaux envisagés à l’époque concernent le rôle de l’inoculation (traitement du métal liquide afin de favoriser la germination du graphite) afin de facilité l’obtention d’une microstructure plus fine et plus résistante.
Les fontes au nickel et traitées au cérium
L’inoculation a également été utilisée pour développer une fonte alliée au nickel et cérium (inoculant). Ainsi, la proportion de nickel est réduite par l’ajout de cérium qui est moins cher. Une étude sur tribomètre permet d’évaluer la résistance à la fatigue thermique de cette nouvelle nuance et de garantir les mêmes performances qu’avec une fonte alliée traditionnelle à coûts réduits. Les auteurs démontrent que les performances de cette nuance s’expliquent par l’augmentation du nombre de lamelles de graphite et leur finesse, grâce à l’ajout de nickel et de l’inoculation au cérium. En effet, l’inoculation au cérium conduit à la multiplication des lamelles de graphite et donc à la multiplication des fissures conduisant à une diminution de l’énergie disponible pour la propagation.
Les fontes à bas silicium
D’autres recherches allemandes ont conduit au développement d’une fonte à bas silicium avec très peu éléments d’alliages. D’après l’étude menée sur tribomètre (un pion en métal frottant sur un disque recouvert de matériau de friction), les fontes à faible teneur en silicium seraient moins sujettes à la fissuration et à l’usure. En ajustant la teneur en carbone et en silicium, le carbone équivalent et le potentiel de graphitisation sont modifiés ainsi que le diagramme d’équilibre. Les transformations microstructurales et donc les propriétés thermomécaniques de la fonte sont affectées. A sollicitation thermique égale, la zone affectée par la chaleur (épaisseur, structure, caractéristiques mécaniques, oxydation) varie en fonction de la composition chimique de la fonte. La fonte à haut carbone (de l’ordre de 4% en masse) et bas silicium (de l’ordre de 1% en masse) est celle qui présente la meilleure résistance à la fatigue thermique et à l’oxydation.
Les fontes vermiculaires

Fonte à graphite vermiculaire.
La fonte à graphite vermiculaire représente un compromis entre la fonte à graphite lamellaire et la fonte à graphite sphéroïdal. En effet, la forme de vermicule contribue à conserver la bonne conductivité thermique caractéristique de la fonte à graphite lamellaire et la bonne résistance mécanique des fontes à graphite sphéroïdal. Elle apparaît donc très intéressante pour les applications freinage. Dans cet objectif, une étude de faisabilité a été réalisée par un constructeur automobile. Son élaboration se révéla très délicate sur une pièce pourtant simple. La maîtrise du procédé sur des disques ventilés est apparue trop incertaine pour être intéressante.
La fonte à gradient de microstructure
Les références bibliographiques ont montré l’importance d’un graphite fin et dense dans les travaux de recherches sur les fontes pour disques de frein poids lourds. Toutefois, il est nécessaire de conserver une bonne conductivité thermique, assurée par des lamelles de graphite de grandes dimensions. Dans le cadre des moules de verrerie, la fonte à graphite lamellaire subit des chocs thermiques répétés engendrant la fissuration du moule. Il a été montré que l’amélioration de la tenue en service des moules en fonte à graphite lamellaire était observée pour les formes de graphite plus compactes, notamment au niveau de la surface chauffée. Par la suite, des fontes à gradient de microstructure ont fait l’objet de brevets.
L’un d’entre eux présente par exemple une méthode d’obtention d’un gradient fonctionnel par inoculation spécifique lors de la centrifugation. Elle permet d’obtenir, sur un disque plein, une fonte à graphite sphéroïdal dans la zone proche du rayon extérieur et une fonte à graphite lamellaire dans la zone proche du rayon intérieur. Dans la zone intermédiaire, un graphite vermiculaire est formé. Le gradient de microstructure est donc radial par centrifugation et inoculation spécifique. Cette méthode est envisagée dans le cas de pièces dont les parties fonctionnelles se composent de différentes fontes. A partir de cette analyse, une fonte à gradient de microstructure est donc envisagée pour les disques de frein. L’objectif est d’obtenir un graphite fin et dense en surface afin de limiter l’effet d’entaille et un graphite lamellaire classique à coeur pour garantir les propriétés thermiques.
La fonte alliée à l’azote
Une étude, menée à CTIF, a montré que la fonte alliée à l’azote présentait des propriétés intéressantes. La résistance à la traction est améliorée car l’azote réduit la longueur des lamelles de graphite comme le confirme d’autres auteurs. En effet, l’azote perturbe la croissance des lamelles de graphite au cours du refroidissement du métal liquide. Les effets de l’azote sont souvent neutralisés par le titane en formant des nitrures de titane TiN ou par l’aluminium en formant des nitrures d’aluminium AlN. L’azote ainsi combiné n’entrave plus la croissance du graphite. En outre, plus les lamelles de graphite sont longues, moins la résistance à la traction est élevée. Des essais de fatigue thermique sous charge menés à CTIF sur des éprouvettes en fonte ont montré que la fonte enrichie à l’azote offrait une résistance trois fois plus importante qu’une fonte à haut carbone alliée. La fonte alliée à l’azote apparaît donc comme une solution envisageable pouvant répondre à la problématique du freinage des poids lourds.
Remerciement au Laboratoire de Mécanique de Lille (LML, Université de Lille 1) et en particulier l’équipe Freinage Contact Surfaces (thèse CTIF).
Et dire que les fontes ont la réputation d’être « ringardes »… pas du tout!! Qu’en est-il des alliages cuivreux pour ce type d’application? Est-ce possible ?
Bonjour Jean-François. Pour répondre à votre question, les disques de freins sont surtout sollicités en fatigue thermique. La diminution des gradients thermiques entre surface de friction et cœur, grâce à une conductivité thermique élevée, est une voie intéressante pour retarder l’apparition de fissures de fatigue. Des essais concluants ont été menés avec des alliages hypereutectiques Al-Si, ayant de bonnes performances de tenue à l’usure nécessaires pour les disques de freins. Toutefois, la conductivité élevée de l’alliage se traduit par des échauffements excessifs des roulements de roue. Les alliages cuivreux, outre leur prix encore plus élevé que celui des alliages d’aluminium, présenteraient le même inconvénient.
Merci pour la précision. C’est très intéressant comme problématique de devoir gérer la température sans la canaliser vers d’autres pièces plus sensibles. Bien entendu il serait possible d’imaginer des structures multi-matériaux, mais à quel prix.
Les disques en FGL 250 enrichis à l’azote ont ils une chance d’obtenir un débouché commercial pour les véhicules industriels ?
Bonjour Arnault. CTIF a déposé un brevet traitant de l’élaboration et la mise en œuvre de ces fontes enrichis à l’azote qui pourraient effectivement être utilisées pour des applications de freinage après transfert industriel du savoir-faire.