
Comparatif microstructure verre métallique avec fabrication additive et métal injecté traditionnel.
Depuis leur sortie des laboratoires, les alliages métalliques amorphes (AMA) étaient jusqu’à présent principalement transformés sous forme de fines bandelettes de métal. Aujourd’hui, si leur maîtrise reste encore pointue et leur coût important, ils permettent de réaliser de petites pièces aux performances mécaniques exceptionnelles (Rm de l’ordre de 3000 MPa) pour des applications à haute valeur ajoutée (luxe, bijouterie).
Qu’est-ce qu’un alliage métallique amorphe ?

Structure des alliages cristallins comparée à celles des alliages métalliques amorphes (vue de droite).
Un alliage métallique amorphe, appelé aussi « verre métallique » (de l’anglais : Bulk Metallic Glasses – BMG) , est un alliage intermétallique solide doté d’une structure amorphe (désordonnée) plutôt que cristalline. Ces matériaux peuvent être obtenus par refroidissement très rapide depuis l’état fondu de l’alliage, ou par d’autres méthodes. La combinaison d’un état métallique et d’une structure amorphe, confère à ce type de matériau une association unique de propriétés mécaniques, électriques, magnétiques et de résistance à la corrosion avec une possibilité de mise en forme directe depuis l’état liquide. Ces alliages sont en général de type 80 % de métaux et 20 % de métalloïdes ou 50 % de métaux « ordinaires » et 50 % de métaux nobles.
Historique des alliages métalliques amorphes : une vitesse de trempe très rapide en 1960

Machine de melt spinning pour la transformation des verres métalliques en fine bandelettes.
Les alliages métalliques amorphes fabriqués à partir de l’état fondu par trempe très rapide (105 – 106 K/s.) sous forme de rubans ont été découverts en 1960 par Pol Duwez du Caltech (California Institute of Technology). L’exploitation des potentialités de ces matériaux est longtemps restée limitée par le fait que les compositions chimiques identifiées ne pouvaient être élaborées qu’avec de très hautes vitesses de refroidissement conduisant à des pièces d’épaisseur très fine : seuls des rubans d’une épaisseur maximale d’environ 0,1 mm ont donc tout d’abord pu être élaborés (Melt Spining). Ainsi, les applications possibles étaient des tôles magnétiques de transformateurs ou des fibres de renforcement de bétons sophistiqués. Plus récemment (en 1984), il a été découvert que certains alliages amorphes pouvaient être élaborés avec des vitesses critiques inférieures (10 K/s à 100 K/s), dans les systèmes Pd-Ni-P et Pd-Cu-Si pour lesquels des diamètres critiques de 0,3 et 3 mm, respectivement, par trempe à eau ont pu être obtenus. On était alors encore loin d’applications industrielles, étant donné le coût des alliages mis au point.
Des alliages « amorphisables » sous forme massive à partir de 1988

Alliages métalliques amorphes et évolution de la vitesse de solidification fonction de l’alliage.
À partir de l’année 1988, un nombre croissant de systèmes «amorphisables » sous forme massive moins onéreux a été découvert. Tout d’abord dans les systèmes base magnésium puis base zirconium, base fer, base cobalt, … Ces travaux, le plus souvent japonais et californiens, et plus récemment français, pouvaient désormais ouvrir la porte aux applications, certes de pointes, mais néanmoins industrielles. Par exemple, pour les systèmes base zirconium, l’épaisseur maximale désormais vitrifiable est comprise entre 25 et 30 mm selon leur composition. Les vitesses critiques de trempe sont alors de l’ordre de 0,1 K/s. Les premiers alliages commercialisables sont apparus en 1992 au sein de ces systèmes base zirconium. Des travaux français du CNRS ont ensuite (en 1998) conforté ces travaux étrangers.
Puis, la découverte de nouvelles compositions vitrifiées par trempe à partir de métal liquide, à des vitesses aussi faibles a conduit à de nouvelles applications comme, par exemple, des têtes de club de golf ayant une grande capacité à emmagasiner l’énergie élastique (du fait de propriétés mécaniques exceptionnelles). A noter que désormais de grands congrès internationaux se tiennent régulièrement sur le thème des alliages métalliques amorphes. Le 12ème congrès International sur ce thème (BMG XII) se tenait ainsi à Séoul (Corée) en mai 2018.
Les conditions de fabrication d’un alliage métallique amorphe

Alliages métalliques amorphes et structures cristallines.
La composition chimique d’un alliage métallique amorphe est très spécifique. En effet, la capacité d’un système à former un amorphe massif est extrêmement sensible à la composition. Par exemple, dans un système ZrTiAlHfCuNi, une variation de composition de seulement 2% en aluminium peut empêcher la formation de l’amorphe. Les diagrammes de phase binaires et ternaires des éléments constitutifs doivent présenter en particulier des eutectiques profonds ce qui indique des mouvements atomiques plus lents dans l’alliage.
De plus, comme dans le cas du verre de silice, l’alliage fondu, refroidi jusqu’à l’état solide ne sera amorphe que si la température de fusion est passée suffisamment vite pour que les atomes constitutifs de l’alliage n’aient pas le temps de s’organiser selon une structure cristalline. Ainsi, il faut refroidir le liquide à une vitesse supérieure à une vitesse critique dite Rc. Pour assurer une trempe suffisante, les coulées ont lieu dans des moules métalliques (acier, cuivre) fortement refroidies, dont les dimensions et les formes fixent celles des pièces obtenues après solidification.
Les règles de formation d’un alliage métallique amorphe
Trois règles empiriques conditionnent l’apparition d’une structure amorphe métallique. Tout d’abord, l’alliage doit être composé d’un minimum de trois éléments d’alliage. L’augmentation du nombre d’éléments d’alliage provoque en effet ce qui est appelée le « principe de confusion » qui implique qu’un grand nombre d’éléments d’alliage déstabilise la compétition entre phases cristallines qui se forment au refroidissement. Ensuite, il doit exister une différence significative de taille atomique avec un ratio de 12 % entre les 3 principaux constituants atomiques. Enfin, il doit exister des chaleurs négatives de mélange parmi les trois principaux éléments constitutifs. Les alliages qui respectent ces trois règles empiriques ont des configurations atomiques à l’état liquide significativement différentes de celles des phases cristallines correspondantes.
Des caractéristiques mécaniques exceptionnelles

Caractéristiques mécaniques comparées des alliages métalliques amorphes et des structures cristallines.
Les alliages métalliques amorphes possèdent des propriétés assez exceptionnelles. Tout d’abord, les spécificités propres à la transition vitreuse font que les inconvénients classiques liés à la solidification conventionnelle – retassure ou ségrégation chimique – n’existent plus. Par ailleurs, la microstructure résultant de cette solidification amorphe entraîne bien évident l’absence de tout défaut du type dislocation, joints de grains ou hétérogénéités de microstructure.
L’absence de structure cristalline et donc l’absence de défaut susceptible d’accommoder les déformations sont responsables du caractère macroscopiquement fragile (absence de ductilité). La ductilité peut être toutefois améliorée par dévitrification partielle du matériau.

Caractéristiques comparées des alliages métalliques amorphes par rapport aux autre matériaux conventionnels.
Mais l’une des principales caractéristiques de ces matériaux est leur limite d’élasticité tout à fait exceptionnelle qui dépasse de loin celle de tous les autres matériaux conventionnels (aluminium, acier, titane). À température ambiante, les alliages métalliques amorphes présentent donc certes des limites d’élasticité exceptionnelles, mais aussi des contraintes à rupture très élevées (2 GPa pour les bases Zr, 3,2 GPa pour les bases Ni et jusqu’à 4,2 GPa pour les bases Fe) associées à des déformations élastiques particulièrement importantes (2 à 3 %), ce qui les démarquent très avantageusement des autres familles de matériaux. On dit souvent ainsi que ces matériaux présentent le meilleur rapport (σLE)²/E (avec σLE : la limite d’élasticité et E : le module d’Young).
Autres propriétés des alliages métalliques amorphes

Choc élastique quasi-parfait dans les alliages métalliques amorphes par rapport aux matériaux conventionnels.
Ces matériaux possèdent également une très faible absorption de l’énergie de choc. En revanche, les AMA sont en général peu ductiles ; ils sont quasiment aussi cassants que les verres minéraux. La propriété que possèdent les alliages métalliques amorphes d’être facilement magnétisés par de faibles courants électriques est idéale pour les noyaux de transformateurs. L’orientation des moments magnétiques peut être contrôlée par traitement thermique. Les alliages métalliques amorphes massifs présentent généralement une excellente résistance à la corrosion et à l’usure ainsi qu’une bonne biocompatibilité. Enfin, il faut préciser également que les structures désordonnées de ces alliages conduisent assez mal la chaleur.
Les défauts spécifiques des alliages métalliques amorphes
La teneur en oxygène des matériaux de départ, de l’atmosphère environnant la trempe ou même du creuset utilisé, sont des raisons de la présence de phases cristallisées oxydes dans la matrice vitreuse. Si, en très faibles quantités ces défauts n’ont pas une réelle influence sur les propriétés mécaniques (élasticité, contrainte à rupture, dureté), au contraire la valeur de la ténacité et le comportement à la pré-fissuration par fatigue sont radicalement changés par la présence de ces défauts. Ainsi, industriellement, les alliages métalliques amorphes doivent-ils être transformés sous vide pour éviter la présence de ces défauts.
Des développements en fonderie
La fonderie a fini par s’accaparer ces « nouveaux » matériaux. Ainsi, la société américaine Liquidmetal Technologies Inc (LQMT). a été la première à breveter un procédé de fonderie de précision permettant d’élaborer des pièces massives en alliage amorphe. Elle a également breveté des compositions d’alliage Zr-Ti permettant la coulée de pièces massives à coût modéré car le procédé ne nécessiterait pas, contrairement à l’état de l’art antérieur, de matériaux particulièrement pur et de refroidissement ultra-rapide. Des chercheurs américains de Caltech auraient développé une technologie permettant d’élaborer sous forme massive (jusqu’à 25 mm d’épaisseur) un alliage amorphe Be-Cu-Ni-Ti-Zr. L’avantage de cet alliage consisterait dans la possibilité d’obtenir par moulage de grandes séries de pièces de précision sans usinage. Le revers de la médaille serait son coût actuel (environ 30 euros/kg).
La société japonaise Alps Electric Co Ltd a breveté la fabrication par voie de fonderie d’alliages magnétiques amorphes. La technologie autoriserait des vitesses de refroidissement relativement lentes et d’assez fortes épaisseurs (impossibles à atteindre avec les méthodes habituelles de trempe). Enfin, en 2017, portée par les travaux brevetés du CNRS et l’Université de Grenoble, la startup française Vulkam est née, proposant une prestation complète (alliages base Zr-Cu-Ti personnalisés) de production industrielle de pièces de micromécanique. L’originalité de son brevet repose sur l’injection, sous vide, de l’alliage métallique amorphe refondu à partir d’une matière première en granulés (obtenue par coulée semi-continue) et d’une solidification en moule des pièces, accélérée par un refroidissement à l’azote liquide.
Les nouveaux procédés de transformation des alliages métalliques amorphes
Les pièces industrielles en alliage métallique amorphe sont actuellement réalisées par injection sur des machines spécifiques mais dérivées des presses d’injection sous pression.
Il existe ainsi plusieurs constructeurs de presse d’injection dédiées aux alliages métalliques amorphes dont la technologie diffère par leur technologie de fusion intégrée : la société autrichienne ENGEL avec une technologie dite « à creuset-froid » et la société EONTEC (basée à Hong Kong) avec une technologie « à creuset chaud ». La société VULKAM, semble assurer elle-même la conception et la transformation sur ses propres machines d’injection.
Les différentes familles de matériaux amorphes
Il existe de nombreuses familles d’alliages métalliques amorphes. On trouve ainsi les alliages Cuivre – Zirconium (Cu64Zr36, Cu46Zr42Al7Y5, Cu46Zr54, Cu50Zr45Ti5), les alliages de Zirconium divers (Zr2NixCu(1-x), Zr41Ti14Cu13Ni10Be22, Zr55Cu30Al10Ni5, Zr57Nb5Al10Cu15,4Ni12,6 ou Zr61Ti4Nb4Cu14Ni9Al9) les alliages de Titane – Cuivre – Nickel (Ti34Cu47Ni8 Zr11, Ti50Cu28Ni15Sn7), les alliages d’Aluminium – Yttrium – Fer (Al85Y10Fe5, Al88Y9Fe5, Al88Y5Fe7 ) ou enfin les alliages de Magnésium – Cuivre (Mg53Cu37Nd10, Mg65Cu25Tb10).
Les applications des alliages métalliques amorphes
Des applications industrielles sont de plus en plus évoquées : boîtiers extra-fins de téléphone cellulaire, scalpels, boîtiers de montres, faces de frappe de club de golf, raquettes de tennis, batte de baseball … Des raquettes de tennis « haut de gamme » intègrent aujourd’hui des parties réalisées en alliage amorphe massif réalisé selon la technologie Liquidmetal. Hitachi Metals a développé, en 2005, un alliage amorphe capable de réduire de 30% les pertes d’énergie dans le noyau des transformateurs utilisés pour recevoir et distribuer de l’électricité chez les particuliers et dans les usines. Pour résumer, on peut dire que, depuis quelques années, les alliages métalliques amorphes commencent à trouver des applications, mais ces matériaux étant toutefois encore assez chers, ils ciblent essentiellement des secteurs à haute valeur ajoutée (médical, militaire, micromécanique, connectique, …), ou de luxe (sport, bijouterie).
Perspectives des alliages métalliques amorphes
Ces alliages métalliques amorphes constituent à ce jour une niche technologique limitée à des pièces de petites tailles à haute valeur ajoutée. D’autres applications pourraient voir le jour : des matériaux architecturées amorphes type mousses, des composites avec une matrice conventionnelle et des particules amorphes ou des films minces PVD (ou CVD) en matériaux métalliques amorphes pour doper la surface d’une pièce de plus grande taille. Enfin, la fabrication additive d’alliages métalliques amorphes commence à apparaitre (EOS).
De nouvelles opportunités s’ouvrent avec la combinaison (3D Source laser ou E-beam) et alliages à haute entropie (AHE) ! Des applications (barrière thermique, électronique, biologie ) peuvent être envisagées pour différents secteurs …
Bonjour Mohamed et merci de votre commentaire qui nous éclaire sur la combinaison inédite de nouveau matériau et nouveau process. La métallurgie, ça bouge bien !
Une des premières application industrielle des BMG provient de l’horlogerie. Une montre relativement grosse qui a été un challenge pour la fabrication. Bravo à PANERAI pour cette BMG-Tech.
http://www.paneraibmgtech.com/fr/
Bonjour Stéphane et merci de votre commentaire très interessant. Nous confirmons : l’horlogerie haut de gamme est tres innovante en termes de nouveaux materiaux en particulier.