Journée scientifique Matériau – Numérique à la SF2M

SF2M - Maison de la chimie - journée scientifique matériau numérique - 10 mars 2022.

SF2M - Maison de la chimie - journée scientifique matériau numérique - 10 mars 2022.

La journée scientifique Matériau-Numérique était organisée par la SF2M (Société Française de Métallurgie et de Matériaux) le 10 mars 2022 à la Maison de la Chimie (Paris). Cette journée était l’occasion de réunir laboratoires universitaires, industriels du domaine et Centres Techniques autour du thème de l’utilisation de l’IA et des approches Data-Driven au service du développement des matériaux. A cette journée qui a réuni plus de 150 personnes, certaines présentations étaient très scientifiques alors que d’autres étaient plus applicatives. Cette note de veille synthétise la teneur des exposés des conférenciers en faisant un focus sur les points majeurs.

Les changements de paradigme en métallurgie

Journée scientifique matériau numérique SF2M Maison de la chimie - 10 mars 2022
Journée scientifique matériau numérique SF2M Maison de la chimie – 10 mars 2022

Luisa Rocha Da Silva de l’Ecole Centrale de Nantes rappelait en introduction de la journée les 3 grands axes de la communauté numérique de la SF2M : les mathématiques appliquées, l’informatique et la mécanique et métallurgie numérique. Elle illustrait les 4 paradigmes historiques en métallurgie : la science empirique (jusqu’en 1600 environ), la science basée sur les lois de comportement (1950), la science qui s’appuie sur la simulation (2000) et la science basée sur le Data-Driven (2016) qui unifie en quelque sorte les 3 autres approches historiques précédentes et qui sera développée au cours de cette journée. Enfin, l’importance du chainage procédé – microstructure – propriétés et performances était rappelée.

Approche Data-Driven » des passages d’échelle

Algorithme de minimisation de la distance - Kirchdorefer et Ortiz.
Algorithme de minimisation de la distance – Kirchdorefer et Ortiz.

Laurent Stainier, de l’Ecole Centrale de Nantes (laboratoire UMR 6183 / GeM) présentait ensuite l’approche Data-Driven pour le calcul des systèmes mécaniques et des lois de comportement déformation-contrainte en utilisant des algorithmes de minimisation de la distance (Kirchdoerfer et Ortiz). Le grand nombre de points de données matériaux permet de se rapprocher de la loi de comportement type par une méthode incrémentale de proche en proche. Cette approche DDCM (Data-Driven Computational Mechanics) permet de modéliser la mécanique d’un système complexe sans modèle de loi de comportement et en tenant compte si besoin de l’historique du matériau.

Les données d’entrée peuvent être issues de l’expérimental ou de simulation numérique. Cette approche de minimisation de la distance permet de calculer un indicateur d’erreur, ce que ne permet pas l’approche réseau de neurones. Laurent Stainier rappelait que le projet ANR-DFG D3MecA (projet franco-allemand conduit avec le RWTH Aachen) portait sur cette thématique des « Méthodes de calcul direct sur données pour la simulation numérique en mécanique des matériaux à comportement anélastique ».

Réduction de modèle pour la simulation numérique aéronautique

Utilisation de ROM locales pour allier précision et rapidité de calcul.
Utilisation de ROM locales pour allier précision et rapidité de calcul.

Sous le titre « Nonlinear physical reduced order modeling for industrial simulation », Fabien Casenave (Safran) présentait les enjeux et démarche de Safran et en particulier les travaux développés au cours de la thèse « Model order reduction assisted by deep neural networks (ROM-net) » de Thomas Daniel (MINES ParisTech). Ces travaux sont appliqués au calcul de la tenue mécanique à chaud sous sollicitations cycliques d’aube de turbine monocristalline en fonderie cire perdue.

En effet, le calcul conventionnel par éléments finis sur un modèle de 3 millions de mailles est trop chronophage (plusieurs mois). L’approche de réduction de modèle locaux (local ROM pour Reduced-Order Model) permet de booster le temps de calcul (de plusieurs ordres de grandeurs) tout en gardant une bonne précision. Pour découper les ROM locales, des méthodes de clustering ont été utilisées ainsi que de la data-augmentation (nombre de données réduites).

Algorithme de kriging en contexte Small data

Kriging - le Machine Learning pour le Small-Data - kernel Design.
Kriging – le Machine Learning pour le Small-Data – kernel Design.

Rodolphe Le riche de l’Ecole des Mines de Saint-Etienne au LIMOS (Laboratoire d’Informatique, de Modélisation et d’Optimisation des Systèmes, UMR CNRS 6158) présentait sous le titre « a discussion of the current and potential uses of Gaussian Processes in mechanics » l’intérêt du krigeage (kriging), une technique de ML (Machine Learning), très intéressante lorsque la quantité de données est faible (Small-data). Le krigeage, qui garantit le minimum de variance (calcul de covariance entre les données), permet de passer par les points de la base d’apprentissage, ce qui n’est pas le cas des réseaux de neurones traditionnels.

En kriging, appelé aussi « Gaussian processes », on utilise des noyaux (kernel) qui contiennent l’équivalent des poids d’un réseau de neurones et sont donc au cœur de la méthodologie. On peut assembler ces Kernel (Kernel Design) pour par exemple mixer des données continues et discrètes, isotropes et anisotropes, créer des noyaux avec une « inspiration physique » ou encore avoir des noyaux avec des coordonnées polaires si nécessaire (problème axisymétrique). Rodolphe Le Riche illustrait le potentiel du krigeage avec deux exemples (préforme en composite avec défaut d’aspect et Kernel basé sur la loi de Darcy).

Les instituts français pour l’IA, MAIA à Grenoble, le PEPR Diademe

Instituts labellisés IA en France en 2022.
Instituts labellisés IA en France en 2022.

Noel Jakse, de l’INP Grenoble, chaire « Machine Learning for Materials Design & Efficient Sytems » explicitait l’écosystème de l’IA en France, lancé sous l’impulsion du député et mathématicien Cédric Villani. Depuis 2019, quatre instituts sont labelisés IA en France : à Paris, Nice, Toulouse et Grenoble (MAIA). Ainsi, le MAIA (Multidisciplinary Institut of AI) comporte 3 domaines d’applications (la santé, l’énergie/environnement et l’industrie 4.0) avec plus de 100 chercheurs permanents, 150 projets collaboratifs, 2600 personnes formées à l’IA en 2021 et 8 startups créées. Dans le domaine des matériaux, le PEPR Diademe (Dispositifs intégrés pour l’accélération du déploiement de matériaux émergents), copiloté par le CEA et le CNRS (en partenariat avec plusieurs universités) vise, quant à lui, à développer des matériaux innovants, performants, durables et issus de matières premières non critiques et non toxiques avec des financements importants (40 projets à 1 M€).

Le calcul ab-initio est par exemple limité aujourd’hui à la prise en compte d’une centaine d’atomes environ, ce qui est encore trop peu pour reproduire certaines lois de comportement. Du Machine Learning à partir des bases de données de calcul Ab-Initio permettra dans le futur de prédire le comportement de cluster de 104 à 107 atomes et donc de prendre en compte les lois de diffusion. Noel Jakse citait également la chaire MAGNET (Machine Learning For Material Design) du MAIA à Grenoble et les travaux sur les alliages et les MOF (Metal Organic Frameworks) utilisables pour la capture du CO2 et la R&D au LabCom 3Alp sur l’« Alloy Design for Impurity Tolerant Application » visant à pouvoir prendre en compte la recyclabilité future des alliages d’aluminium. Noel Jakse rappelait enfin la création en janvier 2022 du GdR IAMAT (Intelligence Artificielle en sciences des MATériaux) pour fédérer la communauté scientifique autour des thématiques spécifiques à ce domaine.

Le traitement des images par FCN et cumulative layers

Analyse d'images par réseau de neurones avec couches issus de la morphologie mathématique - MorphoLayers.
Analyse d’images par réseau de neurones avec couches issus de la morphologie mathématique – MorphoLayers.

Etienne Decencière, du Centre de Morphologie Mathématique (CMM) à MINES ParisTech présentait ses travaux en apprentissage automatique pour l’analyse d’images en sciences des matériaux. Il comparait tout d’abord les performances de la morphologie mathématiques avec celles du Deep Learning (DL). Le DL est très utile en segmentation d’images mais nécessite un grand nombre de données labellisées, n’offre pas de garantie théorique (effet boîte noire) et manque d’interprétabilité. De l’autre côté, la morphologie mathématique (utilisation d’éléments structurants) a de bonnes performances, est interprétable, mais nécessite souvent un temps de mise au point relativement long.

Or, on a souvent accès à des informations topologiques sur l’image dont on peut se servir pour la traiter par des opérateurs de morphologie mathématique en pre-processing ou en post-processing d’un réseau de neurones convolutif. Pour une application pour L’Oréal en reconnaissance de couches superposées de peau artificielle, un développement récent a permis de rajouter à un réseau FCN (Fully Convolutional Neuron Network) un filtre morphologique AFS (Alternating Sequential Filter) pour l’analyse de la base d’images (300 images de 3000 pixels plus data-augmentation). Cet ajout de filtre morphologique a permis de garantir l’ordre des couches de peau et a offert une meilleure généralisation du modèle. Cependant, ce filtre augmente le temps de calcul (apprentissage plus long) et rend le modèle plus sensible à des artefacts de segmentation. La librairie open-source MorphoLayers, développée par MINES ParisTech, et intégrable dans Keras/TensorFlow permet de produire ce mixte de réseau de neurones et de morphologie mathématique (érosion, dilatation, fermeture, ouverture, …). En pratique, on rajoute des couches de filtres morphologiques au réseau de CNN. L’Active Learning (méthode d’apprentissage itérative pour constituer graduellement une base d’apprentissage) et les réseaux siamois sont également, pour Etienne Décencière, très intéressants en traitement d’images.

Applications industrielles de la data chez ArcelorMittal

ArcelorMitall et le Data Driven.
ArcelorMitall et le Data Driven.

Frédéric Bonnet, ingénieur R&D chez ArcelorMittal, présentait l’utilisation des données dans son groupe. Jusqu’en 2000, l’entreprise utilisait des modèles de comportement, puis à partir de 2010 des modélisations multi-physiques (trop longues cependant pour pouvoir être utilisées en temps réel en applications bord de ligne) et enfin à partir de 2020, ArcelorMittal couple des modèles physiques au Data-Driven. Les données peuvent être issues de 3 sources : de bases de données expérimentales du laboratoire (essais de traction, % de phases, micrographies) ou de production (température, vitesse, émissivité, …) et enfin de bases de données numériques (simulation).

Gabriel Fricout, responsable Data Intelligence France chez ArcelorMittal, exposait les problématiques de collecte, de stockage et de traitement de données issues de 50 sites de production et de différents types (économique, production, maintenance, supply chain) avec une architecture big-data déployée depuis 2 ans et un stockage des données à Dunkerque. Un des enjeux majeurs est de pouvoir croiser ces données pour aller vers un optimum global multi-objectifs (économique, technique, …, environnemental) et non pas vers un optimum local par exemple uniquement centré sur la technique. Les verrous décrits sont la difficulté d’avoir un référentiel commun multisites, la traçabilité d’un produit qui subit de multiples opérations (laminage, TTH, découpe, …) et la notion de « not so big data » liée à des volumes en définitive assez limitées (quelques milliers de tôles de chaque référence) loin des millions de données accessibles aux GAFAM. Trois types d’application sont actuellement déployées avec la data : le reporting permettant aux sites de mesurer leurs indicateurs de performance (KPI), l’analyse de la data off-line (pour la R&D et les études) et enfin le pilotage technique de process bord de ligne temps réel.

Simulation de dispositifs médicaux

Modélisation de la mâchoire et de l'implant osseux.
Modélisation de la mâchoire et de l’implant osseux.

Yannick Tillier, Responsable de l’activité de recherche en Biomécanique au Centre de Mise en Forme des Matériaux (CEMEF) de MINES ParisTech exposait une étude d’optimisation de dispositifs médicaux (prothèses mammaires et implants dentaires). En particulier, pour la modélisation numérique (Abaqus, Ansys, Forge) de l’os mandibulaire appliquée à l’implantologie dentaire et maxillo-faciale avec le CHU de Nice, il était mis en évidence le manque de données biomécaniques sur l’os de la mâchoire et la grande variabilité des données (E = 3000 MPa ± 800) liés à l’âge, au genre du patient ou à la variabilité inter-individus ou intra-individus (os à structure différente d’une zone du corps à l’autre).

Les lois de comportement du vivant sont beaucoup plus complexes que celle des matériaux industriels car les matériaux sont souvent multiples (or cortical ménagé à de l’os spongieux). Les enjeux de la chirurgie personnalisée conduisent à réaliser des plaques de fixation de la mâchoire en titane par SLM adapté au patient avec un travail long et chronophage de reconstruction d’images, domaine où l’IA devrait apporter des gains notables. Le numérique aide de plus à la planification opératoire pour limiter les temps d’intervention chirurgicale.

La table ronde sur le numérique et l’IA

Les différents intervenants de la journée rejoignaient en fin de journée une table ronde animée par Luisa Rocha Da Silva de l’Ecole Centrale de Nantes et qui permettait de faire la synthèse des présentations, de répondre aux questions de l’auditoire et d’aborder d’autres thèmes liés à l’IA. En premier lieu, il était rappelé par tous l’importante de la qualité des données (« Garbage In, Garbage Out ») pour l’apprentissage et les travaux à conduire sur les métadonnées pour taguer la qualité d’une donnée (conditions expérimentales, fiabilité, …), le rapprochement possible avec les travaux allemands sur les formats de données unifiées ou les initiatives d’open-data françaises. Ensuite, les participants de la table ronde et la SF2M soulignaient l’importance de la formation aux sciences de la data en formation initiale (Universités et Ecoles d’ingénieurs) et en formation continue avec la difficulté de combiner formation métallurgiste et data. Enfin, était rappelé l’organisation des 5ème journées « Matériaux et numériques » les 27-28 et 29 septembre 2022 organisées par le CEA Tours au lycée Descartes.

La grande variété des applications du numérique

Cette journée illustrait la grande variété des applications du numérique (médical, aéronautique, métallurgie, mécanique, …), les différents outils et méthodologies utilisées (Kriging, Deep Learning, ROM local, simulation numérique, mixte Deep Learning et morphologie mathématique, …), les verrous possibles (Small-data, temps réel pour application bord de ligne), les synergies entre laboratoires universitaires et industriels, les perspectives de travaux futurs et enfin les développements industriels en conception de produits comme en pilotage de ligne de production.

2 commentaires

  1. Alriclmx dit :

    Bonjour

    Merci pour cet article très intéressant.
    Est-il possible d’accéder à des rediffusions de chacune de ces interventions ?

    • Le CTIF dit :

      Bonjour Alric et merci de votre intérêt marqué pour notre article de MetalBlog sur la journée scientifique Matériau et Numérique organisée par la SF2M. Non, désolé, les contenus ne sont pas accessibles. Mais ne manquez pas les prochaines journées de la SF2M en devenant membre et/ou en vous y inscrivant (ouvert aux non membres également).

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *