Les mystères de la fusion par faisceau d’électrons (EBM)

Fusion par fusion d'électrons (EBM)

La technologie EBM est une madeleine de Proust : elle utilise une technologie ancienne pour booster l'industrie de pointe !

Toutes les personnes qui s’intéressent à la fabrication additive métallique ont entendu parler de l’EBM (Electron Beam Melting) quand bien même cela reste une technologie spécifique que seule la société Arcam commercialise. Pour mémoire, nous vous donnons le principe général de fonctionnement de l’EBM (la vidéo ci-dessous) et les principales différences entre l’EBM et le SLM (fusion sélective par laser sur lit de poudre).

Mais au-delà de ces considérations générales, que dire de plus de l’EBM ? À force de poser des questions autour de moi, je me suis rendu compte que ce procédé est bien moins compris que le SLM et qu’il garde un côté mystérieux. Je vous propose de lever une toute petite partie du « mystère » avec cet article.

EBM et SLM - avantages et inconvénients

Comparatif des technologies de fabrication additive métalliques EBM et SLM.

L’EBM, c’est l’histoire d’un tube cathodique qui a changé de métier…

Mes enfants ne connaissent pas le tube cathodique. Ils n’en sont pas plus malheureux… Mais toute personne née avant 1990 se souvient de l’énorme poste de télévision qui trônait dans le salon et qui avait une drôle d’allure sur les photos lorsqu’il était allumé : il y avait toujours des traits horizontaux bizarres sur l’écran. Une histoire de balayage d’électrons, il parait…

Un process de fabrication sous faible pression d’hélium

Principe du canon à électrons

Principe général du canon à électrons – les valeurs de tension ne sont pas représentatives de ce qui est appliqué dans le cas de l’EBM (crédit photo : Ludwig Maximilians Universität – Munich).

L’EBM est basé sur la même technologie que ces téléviseurs : celle du canon à électrons. Lorsqu’un filament est chauffé par effet Joule, il libère des électrons dans son environnement proche. On parle alors d’émission thermoïonique, c’est-à-dire la libération d’électrons provoquée par l’agitation thermique des atomes lorsque ceux-ci parviennent à surmonter les forces électrostatiques. Dans le cas précis de l’EBM, les électrons sont émis par un filament de tungstène (Arcam S12, A1, A2, A2X, A2XX) ou par une cathode d’hexaborure de lanthane LaB6 (Arcam Q10, Q20). Un nuage d’électrons se met alors en place autour de la cathode chaude. Ils sont ensuite captés et accélérés jusqu’à 60 keV par une différence de potentiel entre la cathode chaude et l’anode (pouvant monter à 60 000 V). Ils sont ensuite focalisés par une première bobine puis déviés par une deuxième. Le courant électrique induit par le faisceau d’électrons a une intensité comprise entre 1 et 50 mA, ce qui correspond à une puissance maximale de faisceau de l’ordre de 3 kW.

L’utilisation d’un canon à électrons impose un vide poussé pour éviter les interactions entre les molécules du gaz environnant et les électrons. Une pression inférieure à 5·10−5 mbar dans l’enceinte de fabrication est nécessaire avant de mettre sous tension le canon à électrons. Durant toute l’utilisation du canon à électrons, de l’hélium est injecté en continu dans l’enceinte à une pression faible et constante de 4·10−3 mbar (controlled vacuum) pour éviter l’accumulation de charges électrostatiques dans le lit de poudre et les phénomènes d’enfumage (smoke events). Ceux-ci apparaissent lorsque des particules du lit de poudre se chargent électriquement. Celles-ci s’excitent et entraînent avec elles les particules de poudre libres du lit qui se répandent dans la cuve d’impression, ce qui crée un court-circuit qui arrête prématurément le process d’impression. Ce phénomène a d’autant plus de chances de se produire que la fraction de particules très fine est élevée.

Les électrons traversent ensuite la cuve et viennent impacter le lit de poudre, ce qui crée un échauffement local par effet Joule (le lit de poudre freinant brutalement les électrons et créant ainsi une résistance électrique équivalente très importante). Les électrons retournent ensuite à la cathode chaude après avoir transités par la surface du lit de poudre puis par les parois de l’enceinte de la cuve qui sont reliées au même potentiel que l’anode.

Que se passe-t-il quand on utilise un canon à électrons ?

Principe de la déviation du faisceau d'électrons en EBM

La déviation du faisceau d’électrons se faisant via un dispositif fixe, ceci induit une géométrie de cuve à symétrie cylindrique (crédit photo : Arcam).

L’utilisation d’un canon à électrons a certaines incidences sur le procédé de fabrication additive EBM. La première est que la forme naturelle d’une cuve EBM est un cylindre du fait que la source d’électrons est fixe et l’angle de déviation du faisceau est limité. Chez Arcam, 3 machines sont actuellement commercialisées (A2X, Q10 et Q20) et 4 autres modèles, désormais retirés de la vente, sont toujours largement utilisés (S12, A1, A2 et A2XX).

Lorsque le volume de fabrication est petit, il est parallélépipédique mais lorsqu’il est plus important et atteint les limites de déviation du faisceau, il est alors cylindrique :

  • Les modèles présentant les dimensions les plus faibles (S12, A1 et Q10) ont un volume de fabrication maximal de 200 x 200 x 190 mm,
  • Les modèles permettant la réalisation de pièces de même section plus hautes (A2, A2X) embarquent un volume de 200 x 200 x 350 mm,
  • Les modèles permettant l’impression de pièces de plus grande taille ont un volume de fabrication cylindrique de 380 mm de diamètre et de 350 mm de haut (A2XX et Q20).

Le frittage de la poudre avant sa fusion

On l’a vu plus haut, l’emploi d’un flux d’électrons charge électriquement le lit de poudre. Pour éviter les projections dues à la répulsion électrostatique de particules de poudre adjacentes, le lit de poudre doit être consolidé et rendu le plus conducteur possible (un courant électrique se déplaçant toujours à la surface d’une masse conductrice et non pas à cœur). C’est pourquoi l’étape de fusion est toujours précédée d’une étape de préchauffage pour fritter légèrement la couche superficielle du lit. Deux effets bénéfiques en découlent : la couche superficielle de poudre est solidarisée avec les couches inférieures et sa conductivité est améliorée. Cette consolidation permet aussi de limiter la quantité de supports nécessaires à la tenue de la pièce dans la cuve. En revanche, elle rend plus complexe l’opération de dépoudrage.

En complément de cette phase de frittage, le procédé EBM met en œuvre des poudres dont la granulométrie est comprise entre 40 et 120 µm (avec une valeur moyenne de 70 µm) contre une granulométrie en SLM comprise entre 10 et 40 µm. Cette taille de particules permet bien sûr de limiter la réactivité de la poudre et donc de la manipuler à moindre risque en particulier lors de la phase de dépoudrage qui peut être dangereuse avec des poudres plus fines. Mais le principal avantage réside dans le fait que les particules de poudre sont suffisamment lourdes pour ne pas être trop sensibles aux phénomènes électrostatiques. En contrepartie, l’utilisation de poudre dont la granulométrie est supérieure à la plupart des autres procédés additifs métalliques induit une qualité moindre des surfaces réalisées (rugosité, maîtrise dimensionnelle…).

Les électrons, c’est rapide… très rapide

Mode Multibeam EBM

Le mode Multibeam permet d’avoir plusieurs zones de fusion simultanées, ce qui augmente la productivité du process (crédit photo : Sirris).

L’utilisation d’un canon à électrons permet de faire varier la puissance et le diamètre du faisceau d’électrons, ce qui assure tant le contrôle de l’énergie thermique apportée au lit de poudre que celui de la sélectivité du faisceau. De plus, le pilotage du faisceau étant réalisé par des bobines et non par des éléments mécaniques comme pour le SLM (galvano-scanner), la vitesse de déplacement peut être très élevée (jusqu’à 8 000 m.s−1). Quand bien même la vitesse du faisceau n’atteint jamais des valeurs aussi élevées, elle permet d’avoir plusieurs zones de fusion simultanément grâce à l’inertie thermique de la poudre (en bombardant de manière séquentielle et à grande vitesse plusieurs zones). Dans le cas où plusieurs zones sont fusionnées simultanément (mode Multibeam), le faisceau peut être amené à gérer jusqu’à 100 bains de fusion simultanément. Ceci permet une plus grande vitesse de réalisation des pièces ainsi que des fluctuations de température plus faibles entre couches qu’en SLM.

Le faisceau généré par un filament de tungstène a un diamètre nominal de l’ordre de 250 µm mais celui-ci augmente sensiblement lorsque la puissance dépasse 1 kW pour atteindre 1 mm à puissance maximale. Dans le cas d’une cathode de LaB6, le faisceau généré peut être beaucoup plus concentré (diamètre nominal de 100 µm) et son diamètre reste presque constant jusqu’à 2 kW et ne dépasse pas 400 µm à 3 kW. En contrepartie, ce type de cathode est très sensible à l’enfumage (smoke event) et n’est appliqué aujourd’hui qu’à l’impression de titane. Grâce aux possibilités de contrôle du faisceau d’électrons en puissance, en focalisation et en vitesse de déplacement, il est possible de mener l’étape de préchauffage avec celui-ci. Pour cela, le faisceau est défocalisé pour diminuer fortement sa densité d’énergie. Il balaie le lit de poudre plusieurs fois à une vitesse de 10 m.s−1 et à une puissance qui peut atteindre 3 kW. La température à laquelle est portée le lit de poudre dépend fortement de l’alliage utilisé : 300 °C pour du cuivre pur, 750 °C pour un alliage de titane et jusqu’à 1 100 °C pour des intermétalliques TiAl ou certaines bases nickel. L’étape de fusion se déroule ensuite à une vitesse de déplacement plus faible (typiquement de l’ordre de 4 m.s−1).

Dans la cuve, c’est « ambiance sauna »

Comme dans le cas du SLM, le procédé EBM est sensible à la thermique au sein des couches imprimées. Les gradients thermiques influent sur la microstructure, l’intégrité du matériau et la présence éventuelle de porosités et de déformations. Pour minimiser les fluctuations spatiales et temporelles de température, plusieurs dispositions sont prises.

Tout d’abord, la préchauffe du lit de poudre permet de réduire le gradient thermique dans le volume de fabrication entre les zones fusionnées et les zones frittées. Ensuite le vide secondaire dans la cuve permet bien sûr de limiter la dégradation de la poudre lorsqu’elle a une forte réactivité aux gaz tels que l’oxygène ou l’azote (alliages de titane par exemple). Il limite aussi les pertes par convection au sein de la cuve. Puis, les pertes par rayonnement sont minimisées par la présence d’un bouclier thermique autour de la zone de fabrication. De plus, la conduction thermique est très différente entre la poudre frittée et le matériau imprimé, à cause de la différence de densité. La dissipation d’énergie au niveau de la zone fondue, et donc de la chaleur, est principalement réalisée par conduction à travers les volumes déjà fondus dans les couches précédentes (pièces imprimées et supports). Enfin, la rapidité de réalisation de chaque couche permet de limiter la différence de température entre la couche en cours de fusion et la couche sous-jacente.

15 commentaires

  1. Pierre PAYS dit :

    Merci Paul-Henri pour cette explication très intéressante, complète et pédagogique.

    • Paul-Henri Renard dit :

      Merci Pierre pour votre message. Il y aurait beaucoup plus à dire sur l’EBM mais je n’ai pas souhaité rédiger un article trop indigeste !

  2. Gabriel Huffner dit :

    Dans quels secteurs d’activité ce processus est-il répandu, ou utilisé ? Pouvez-vous nous citer quelques exemples d’applications s’il vous plaît ?

    • Paul-Henri Renard dit :

      Bonjour Gabriel,
      Les machines Arcam sont optimisées pour le titane et ses alliages (titane grade 2, Ti6Al4V et Ti6Al4V ELI). L’utilisation d’autres poudres est possible : par exemple, l’EBM A2X est prévue pour imprimer aussi de l’Inconel® 718. Mais Arcam a fait le choix de centrer son offre sur cette métallurgie et de maîtriser l’intégralité de la chaîne avec une filiale spécialisée dans l’atomisation de poudre de titane (AP&C – Advanced Powders and Coatings).
      Arcam a poussé encore plus loin la spécificité de ses produits : ses machines sont spécialisées soit en produits orthopédiques (Q10plus), soit en produits aéronautiques (Q20plus et A2X). Les applications en production restent limitées en nombre, la technologie EBM étant encore confidentielle. Mais ceci pourrait évoluer assez vite, Arcam ayant été rachetée par GE Additive. Et les premiers brevets d’Arcam vont bientôt tomber dans le domaine public. A suivre…

  3. MASSOL dit :

    Excellent article. Très clair et pédagogique. Félicitations.

    • Le CTIF dit :

      Bonjour Jérome. Merci d’avoir apprécié notre article sur l’EBM qui n’a donc plus de « mystères » pour vous a présent. Et restez fidèle lecteur de notre blog.

  4. MASSOL dit :

    Bonjour,

    Dans le cas de la techno EBM, 3Dnatives indique « Le fait de préchauffer la poudre avant de la faire fondre limite les déformations et réduit ainsi le besoin de renforts et de supports lors de la fabrication » (voir https://www.3dnatives.com/impression-3d-faisceau-electrons/).

    Qu’en pensez-vous ? Est-ce vraiment sensible ? Dans l’affirmative quelle est le pourcentage de réduction des supports ?

    En vous remerciant par avance.

    Cdlt.
    Jérôme.

    • Paul-Henri Renard dit :

      Bonjour Jérôme.
      Le fait de préchauffer la poudre permet de « souder » les particules entre elles, ce qui permet de mieux soutenir les zones de porte-à-faux de la pièce en cours d’impression. Lorsque 3DNatives parle de limitation des déformations, il est question des déformations liées à l’effondrement de la pièce dans le lit de poudre qui se comporte par défaut comme des sables mouvants. Arcam a trouvé la solution de fritter le lit de poudre pour solidariser les particules. D’autres fabricants (en SLM) tassent le lit de poudre avec un rouleau (par exemple AddUp).
      Le problème est plus complexe que ce que décrit 3DNatives car les supports ne servent pas qu’au soutien mécanique des porte-à-faux de la pièce mais aussi à la dissipation thermique de l’énergie apportée par le faisceau d’électrons (sans cette dissipation, toute la poudre dans la cuve finirait par fondre). Les déformations induites par des gradients de température au sein du lit de poudre peuvent être minimisées par une optimisation de la dissipation thermique par ces supports et par le lit de poudre s’il est fritté (ou « soudé). L’optimisation produit-process en fabrication additive (SLM ou EBM) doit prendre en compte ces leviers pour éviter les problèmes de déformation, de délamination ou de contraintes résiduelles inhérentes au process.

  5. MASSOL dit :

    Bonjour,

    Un grand merci pour tous ces éclaircissements.

    Cdlt.
    Jérôme.

  6. Fauvet Patrick dit :

    Merci pour ce partage.

    • Le CTIF dit :

      Bonjour Patrick. N’hesitez pas, vous aussi, à partager les liens des articles de MetalBlog avec vos relations professionnelles que cela peut intéresser. En esperant que l’EBM n’aura plus de mystère pour vous.

  7. Thibault CENA dit :

    Bonjour Paul Henri,
    Merci beaucoup pour cet article très intéressant et digérable ! Cela permet de mieux comprendre l’utilisation de ce procédé

  8. T.aussedat dit :

    Bonjour un article très intéressant. Je me demande si il était passible de réutiliser une installation EBW pour la transformer en EBM? Si oui quels sont les adaptations à prévoir selon vous? Savez vous si des sociétés pratique cela? Merci

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