Les alliages HEA, une nouvelle approche en métallurgie

HEA alliage haute entropie - High Entropy Alloy.

HEA alliage haute entropie - High Entropy Alloy.

Les alliages à haute entropie (HEA) constituent une nouvelle famille d’alliages en développement à côté des alliages traditionnels (base fer, aluminium, …). Cet article décrit ces nouvelles familles d’alliages, leurs propriétés, leur développement historique et leurs évolutions.

La limite des alliages traditionnels

Les HEA une nouvelle famille d'alliages.
Les HEA une nouvelle famille d’alliages.

Bien que remarquables et incontournables, les alliages métalliques classiques (base aluminium, fer, cuivre, …) présentent comme principale limite une température maximale d’utilisation insuffisante pour nombre de nouveaux développements (aéronautique, …). Les HEA (Alliage à haute entropie), CCA (Concentrated Complex Alloy) ou les CCRA (Concentrated Complex Refractory Alloy) seraient-ils la pierre philosophale du métallurgiste : un matériau à hautes caractéristiques mécaniques, ductile à chaud et à froid, de mise en forme facile, le tout à un cout raisonnable ?

Les premiers pas des HEA

On peut considérer que l’histoire de ces alliages commence en 1925 avec le développement des superalliages et des aciers inox. En effet, ces alliages ont commencé à remettre en cause le paradigme de la métallurgie « classique » qui était jusqu’alors de considérer qu’un alliage était formé d’un élément unique très majoritaire (Fe pour les aciers et les fontes) et d’éléments d’addition en teneur notablement inférieures. Pour s’en persuader, Il suffit de regarder les compositions d’alliages tels que le 309, l’IN939, le MAR M200, le René 77 ou encore le GTD222, alliages pour lesquels la somme des éléments d’additions atteint la teneur de l’élément principal.

Rappel sur l'entropie et règles de Hume-Rothery.
Rappel sur l’entropie et règles de Hume-Rothery.

La voie était donc tracée, il « suffisait » de pousser ce concept à son paroxysme. C’est ce que vont faire deux équipes en 2004 : celle de Cantor en Angleterre et celle de Yeh à Taiwan. Ces deux équipes ont abordé différemment cette question. L’équipe de Cantor étudie les zones inexplorées des diagrammes d’équilibre. Pour cela, ils élaborent un alliage équimolaire composé de 20 éléments (Mn, Cr, Fe, Co, Ni, Cu, Ag, W, Mo, Nb, Al, Cd, Sn, Pb, Bi, Zn, Ge, Si, Sb, Mg). L’analyse du matériau leur permet de mettre en évidence une phase c.f.c. équimolaire Co20Cr20Fe20Mn20Ni20 désormais connue sous le nom d’alliage de Cantor.

Pour sa part, l’équipe de Yeh part de l’hypothèse que l’entropie à priori élevée d’un alliage équimolaire multiéléments favorise l’apparition de solution solide indispensable à l’obtention d’une structure c.f.c. ductile (cf. encadré ci-dessus). Les termes d’alliages à haute entropie (HEA pour « High Entropy Alloys ») sont nés. Compte tenu de la diversité des éléments présents dans les HEA et de leur concentration élevée, on peut espérer des caractéristiques physiques et mécaniques améliorées par la distorsion du réseau mais aussi une meilleure tenue en température en raison de la diffusion freinée par les liaisons « aléatoires ».

Développement des HEA

Cependant, aujourd’hui, toutes ces hypothèses initiales sont contestées. En effet, bien que les deux études citées précédemment (Cantor et Yeh) aient été « révolutionnaires » à l’époque, on peut aisément s’assurer que les hypothèses de départ sont erronées. En effet, une entropie élevée n’est pas nécessaire à l’obtention d’une solution solide stable puisque les alliages d’aluminium dilués ont une structure monophasée c.f.c.. Ensuite, une entropie élevée ne garantit pas une structure monophasée et encore moins que celle-ci soit c.f.c.

Les recherches se sont alors tournées vers la définition d’un critère inspiré des règles de Hume-Rothery (cf. encadré ci-dessus) établies pour les systèmes métalliques binaires.

Hmix et paramètre de tailler des alliages multi-composants - (lignes vertes et bleues sont les frontières déduites des règles de « Hume-Rothery ».).
Hmix et paramètre de tailler des alliages multi-composants – (lignes vertes et bleues sont les frontières déduites des règles de « Hume-Rothery ».).

Pour les systèmes multi-composants, les paramètres importants pour obtenir un HEA sont l’enthalpie de mélange DHmix ; l’entropie de configuration décrite précédemment, la différence de taille via le paramètre et enfin la concentration en électrons de valence estimée par une simple règle des mélanges. La confrontation des résultats expérimentaux avec les frontières établies à partir des règles de « Hume-Rothery » semble montrer la cohérence de cette approche (Figure ci-contre). Néanmoins, des limites sont vite apparues. En effet, la définition même des paramètres de base est critiquable. Mais la principale incohérence est venue du premier HEA, l’alliage de Cantor. En effet, après recuit, la structure de cet alliage n’est plus monophasée c.f.c. mais présente d’autres phases non c.f.c. L’étude des HEA après recuit, a donc mis en évidence l’inadéquation des règles empiriques.

L’apport des méthodes CALPHAD

Les recherches se sont alors intéressées aux méthodes CALPHAD (Calculation of Phase Diagram). Ces méthodes ont été validées sur un grand nombre de compositions d’alliages équimolaire (>100 000) à chaud et/ou à température ambiante montrant ainsi la pertinence de cette approche pour étudier les HEA. La vitesse de calcul de ces méthodes a donc permis d’investiguer un grand nombre de possibilité d’alliages. CTIF utilise régulièrement une de ces méthodes pour réaliser des développements métallurgiques. Elle a été utilisée en particulier pour cibler des HEA répondant à des critères précis. Le calcul pour 2000 combinaisons a été réalisé en seulement 12h. La principale limite est la qualité des bases de données CALPHAD. Pour les alliages complexes, nouveaux, les bases de données doivent être enrichies soit expérimentalement ou par méthodes Ab Initio.

Les procédés d’élaboration des HEA

Analyse statistiques des caractéristiques mécaniques des HEA - littérature.
Analyse statistiques des caractéristiques mécaniques des HEA – littérature.

A partir des nuances les plus prometteuses déterminées par calcul CALPHAD, les alliages ont été élaborés et caractérisés. L’élaboration des HEA se fait avec les procédés classiques de la métallurgie : four à induction, four à arc et mécanosynthèse.  La composition des HEA impose souvent des procédures d’élaboration utilisées pour les superalliages et les métaux réfractaires (VIM, VAR, …). La mise en forme peut se faire par moulage, corroyage, métallurgie des poudres et probablement de nos jours par fabrication additive. Un traitement de détensionnement et/ou de recuit est quasiment impératif pour les HEA.

Propriétés des HEA

Évolution de la dureté avec la teneur en aluminium pour des HEA à base de métaux de transition bruts de coulée.
Évolution de la dureté avec la teneur en aluminium pour des HEA à base de métaux de transition bruts de coulée.
HEA - valeurs de Rp à hautes températures issues de la littérature.
HEA – valeurs de Rp à hautes températures issues de la littérature.

Les HEA, ACC ou ACCR présentent un large spectre de caractéristiques mécaniques (Tableau ci-dessus). Les valeurs de HV, Rm et Rp sont modestes pour les HEA monophasés c.f.c. (150 à 200 HV), élevées pour les HEA monophasés c.c. (350-550 HV). Les duretés les plus élevées sont le plus souvent observées pour des HEA polyphasés (> 600 HV).

Évolution en fonction de la température de la limite d’élasticité en compression d’alliage HEA réfractaires.
Évolution en fonction de la température de la limite d’élasticité en compression d’alliage HEA réfractaires.

Comme pour les alliages classiques, la composition impacte très fortement la dureté des HEA, tout d’abord par l’augmentation de la dureté de la solution solide, puis par apparition de nouvelles phases (Figure ci-dessus).

Mais, comme nous le verrons plus loin, au contraire des alliages classiques, ils peuvent présenter un allongement élevé en même temps qu’une résistance (dureté) élevée.

Pour la tenue à chaud, les HEA présentant la meilleure tenue sont ceux à base de métaux réfractaires avec des valeurs de Rp pouvant atteindre 1000 MPa à 1000°C (Figure ci-contre).

Comparaison des HEA avec les alliages classiques

Diagramme Rm-A d’alliages classiques et de HEA avec superposition des valeurs issus de la littérature en points noirs.
Diagramme Rm-A d’alliages classiques et de HEA avec superposition des valeurs issus de la littérature en points noirs.

Bien que certains HEA entrent dans l’épure des alliages classiques (Figure ci-dessus), globalement, les HEA en sortent. En effet, ils associent une résistance mécanique élevée avec une bonne ductilité même à densité comparables. Enfin, les propriétés à froid (77 K par exemple) peuvent être excellentes.

Les limites des HEA

Néanmoins, les HEA monophasés c.f.c. présentent une limite d’élasticité modeste et les HEA monophasés cc présentent quant à eux un faible taux d’écrouissage qui est particulièrement critiques pour des utilisations à des températures élevées. Enfin, leur coût d’élaboration reste important en raison du coût des matières premières qui entrent dans leur composition et de leur élaboration plus complexe.

Conclusions

Pour répondre à la question initiale – les HEA sont-ils la pierre philosophale du métallurgiste – malheureusement la réponse est négative en raison du cout des matières premières et de leur élaboration. La deuxième conclusion est que les méthodes numériques, en particulier CALPHAD, sont tout à fait pertinentes pour le développement de nouveaux alliages mêmes aussi exotiques que les HEA. Les résultats obtenus rapidement sur les HEA en sont une preuve irréfutable. On peut noter en outre que comme souvent en recherche, les hypothèses initiales ont été contredites par l’expérience. En effet, l’augmentation du nombre d’éléments des alliages équimolaires n’augmente pas systématiquement ni le Rm ni le Rp. Enfin, bien qu’il n’y ait pas encore d’application industrielle majeure, leurs propriétés prédisposent les HEA pour les turbines de moteurs (aéronautique, aérospatial, …), le blindage (militaire) ou encore les applications cryogéniques. Néanmoins, des études sont encore nécessaires en particulier le développement des bases de données par méthodes ab-initio afin de mieux cibler leur composition.

1 commentaire

  1. Gael Guetard dit :

    Bonjour,
    Merci pour cet article qui résume bien la situation actuelle des HEA.
    Pourriez donner la source du graphe « Évolution en fonction de la température de la limite d’élasticité en compression … »

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