Qui dit déconfinement dit retour des salons, conférences, séminaires et autres rencontres techniques, en présentiel ou dans une version mixte alliant évènements sur place et présentations virtuelles. Dans ce cadre, se déroulaient au siège du CETIM, à Senlis dans l’Oise, Fatigue Design, deux journées de rencontre autour de la thématique de la fatigue des pièces mécaniques, les 17 et 18 novembre 2021. Ce rassemblement biennal international, organisé par le Centre Technique des Industries Mécaniques (CETIM), s’articulait autour d’un programme composé à la fois de nombreuses conférences techniques, mais aussi de moments de dialogue au sein d’un espace dédié aux exposants et invitant à l’échange. Concerné de près par les problématiques de dimensionnement mécanique des pièces métalliques, CTIF était présent afin de s’informer sur les travaux menés par les universitaires, les industriels et les centres techniques dont le CETIM lui-même, qui compte parmi ses rangs certains des meilleurs experts français dans le domaine.
Les conférences Fatigue Design
Les participants, arrivés de loin en voiture ou grâce à la navette affrétée pour l’occasion depuis l’aéroport de Roissy tout proche, ont déposé leur manteau au vestiaire, digéré le café et le croissant qui les attendaient dans le hall ; c’est maintenant l’heure des premières conférences, réparties dans plusieurs salles capables d’accueillir plusieurs dizaines de personnes, dont un amphithéâtre qui sied parfaitement à l’occasion. Comme le nom du colloque Fatigue Design l’indique, il s’agira d’échanger autour des thèmes relatifs à conception de pièces soumises à la fatigue.
Comprendre les phénomènes d’endommagement
Les études en fatigue permettent de prendre en compte les phénomènes d’endommagement structurel et de propagation de fissures, induits par des sollicitations mécaniques répétées parfois sur un très grand nombre de cycles – quelques milliers à plusieurs millions – et qui sont la cause de la ruine de 90% des pièces mécaniques[1]. Cette thématique est donc centrale pour les industriels cherchant à fiabiliser des pièces de plus en plus optimisées, dans des secteurs où les ruptures de pièces en service sont critiques, comme par exemple l’automobile, l’aéronautique ou encore le nucléaire.
La fatigue mécanique et la mécanique de la rupture sont des disciplines relativement récentes à l’échelle de l’histoire des sciences, puisqu’on date au milieu du XIXème siècle les premières investigations sur le sujet. Il s’agit donc d’un champ de recherche encore bouillonnant, suivant une constante évolution qui va de pair avec les avancées des techniques industrielles et des méthodes de contrôle, le développement de nouveaux matériaux et surtout les progrès rapides permis par l’arrivée du numérique.
Les séminaires thématiques de Fatigue Design
Au programme, des séminaires regroupés par thèmes, certains touchant aux problématiques traditionnelles que sont la prise en compte des chargements complexes, de l’endommagement, des spécificités des assemblages et du contact ; on retrouvera aussi de sujets dédiés à de nouveaux matériaux et techniques, tels que la fabrication additive, les composites et élastomères ou encore l’étude de la microstructure des matériaux métalliques ; enfin, d’autres thèmes proposaient aux professionnels présents de tourner leur regard vers le futur : méthodes numériques et expérimentales, big data et intelligence artificielle, approches fiabilistes du dimensionnement en fatigue des structures, … Autant d’occasions de s’informer sur l’impact des nouvelles technologies sur le développement des pièces mécaniques soumises à la fatigue.
La fatigue dans les pièces issues de la fabrication additive
Ainsi, de nombreuses présentations ayant trait à des problématiques liées à la fabrication additive ont attiré un public conséquent – différentes conférences étaient prévues simultanément, permettant de mesurer l’attractivité de sujets tels que celui-ci. En effet, beaucoup des différentes technologies utilisées en fabrication additive métallique directe sont encore étudiées par des chercheurs à travers le monde, notamment en ce qui concerne les propriétés mécaniques des alliages obtenus, à comparer par exemple avec celles observables dans des alliages obtenus par voie de fonderie, ou bien encore l’influence de défauts de fabrication sur le comportement structurel de ces pièces.
C’est tout l’objet des travaux du Dr Haghshenas, professeur à l’Université de Toledo aux États-Unis, qui compare les propriétés mécaniques de trois alliages de titane obtenus par fusion sur lit de poudre et utilisés dans l’industrie aéronautique : le Ti-5553, le Ti-55511 et le Ti-64, un alliage plus courant. Après comparaison, lui et son équipe ont pu observer que le Ti-5553 a une limite élastique plus élevée et une meilleure résistance à la fatigue. Ces caractérisations de matériaux qui parfois sont mis en œuvre spécifiquement pour des applications en fabrication additive sont essentielles – de même, l’étude de pièces dont la géométrie ne peut être obtenue que via ces procédés revêt un intérêt tout particulier pour les professionnels.
Dans ce cadre, Mme Radlof, doctorante à l’Institut de Mécanique des Structures à l’Université de Rostock en Allemagne, a pu exposer ses travaux sur une campagne d’essais menés sur des éprouvettes en titane fabriquées par fusion par faisceau d’électrons, de type flexion et torsion dont le fût est composé de structure lattice, afin d’étudier l’impact de la taille des cavités de la structure sur ses propriétés mécaniques.
Les procédés de fabrication additive étant relativement récents, ils peuvent permettre le recueil d’un certain nombre de données process. Ce grand nombre de paramètres influents (vitesse de laser, épaisseur de couches, orientation dans l’espace, traitements thermiques éventuels) ont un impact certain sur les propriétés mécaniques des pièces issues de ces procédés. Comment alors relier le procédé et les caractéristiques finales des pièces ?
C’est la question que s’est posée M. Kästner, membre de la Chaire des études numériques et expérimentales en mécanique du solide à l’Université de Dresden en Allemagne. Considérant ce très grand nombre de paramètres influents, il s’attache à relier données process, microstructurales et propriétés mécaniques. Pour ce faire, il a entrepris avec son équipe de créer une base de données liant toutes ces observations, alimentée sans cesse par les chercheurs de l’université, ce qui lui a ensuite permis de rechercher grâce à un algorithme les paramètres influant le plus les uns sur les autres. Il a ainsi pu recréer numériquement des microstructures générées aléatoirement, puis des simulations mécaniques pour relever les indicateurs d’endommagement en fatigue sur ces structures. L’utilisation de l’intelligence artificielle, enrichie de ces données, lui a permis d’obtenir, de cette façon, un outil prédictif fiable du comportement à la fatigue d’autres spécimens, en trouvant des corrélations entre différents paramètres comme, par exemple, la position des pores et leur nombre avec la limite d’endurance, ou encore la micro-dureté avec la ductilité.
Big data et IA : des outils au service de la prédictivité de la durée de vie en fatigue
Ce sujet du traitement des données et de l’utilisation de l’intelligence artificielle a été largement discuté au cours des deux journées. Une industrie en particulier souhaiterait pouvoir prévoir de manière plus précise l’utilisation de ses produits et pourrait posséder ainsi une base de données de cas d’usage potentiellement gigantesque : il s’agit de l’automobile. Dans cette optique, M. Kihm de la société Hottinger Bruel Kjaer, située à Rotherham en Angleterre, travaillant avec Valeo sur le sujet, nous a présenté une proposition d’instrumentation de véhicules en utilisation s’appuyant sur le big data. Le principe : équiper une voiture de capteurs en condition de service typiques, suivant plusieurs trajets, puis analyser les réponses afin d’enrichir un modèle de machine learning. La pose de capteurs relevant les contraintes mécaniques directement sur les pièces composant le véhicule pouvant être difficilement réalisable, l’équipe a trouvé un moyen d’observer d’autres données pouvant permettre de remonter à la sollicitation mécanique, via par exemple l’installation de capteurs de pression, de température ou bien encore d’accélération. Grâce à la méthode du comptage Rainflow des cycles de fatigue, permettant de passer de chargements d’amplitude variables dans le temps à des cycles équivalents d’amplitude constante, son équipe est parvenue à obtenir un modèle prédictif de comportement du véhicule. De là à s’interroger sur l’intérêt de la collecte de données physiques dans les véhicules particuliers, il n’y a qu’un pas, que les présentateurs n’excluent pas de franchir à l’avenir.
Le CETIM, organisateur mais aussi acteur
Le CETIM, coordinateur de l’évènement se déroulant dans ses locaux, n’était évidemment pas en reste à l’heure de partager ses amples connaissances : on notera une prise de parole de M. Gautheron, dont les travaux portent sur les effets de différents traitements de surface (trempe à l’huile et cémentation notamment) sur les propriétés en fatigue d’une pièce usinée, travail conjoint du CETIM, de GIMA et de l’UTC (Université Technologique de Compiègne). MM. Abdellaoui et Hauteville, quant à eux, étudient la durée de vie d’un démonstrateur couplant optimisation topologique et fabrication additive. M. Hauteville a aussi réalisé un exposé méthodologique sur l’analyse des résultats de fatigue. M. Hermite et son équipe ont pour leur part travaillé sur une démarche de smart testing, utilisant l’Internet des objets pour la gestion de données de tests de fatigue. Mme Huther et ses collègues, en collaboration avec Nov BLM, ont étudié l’influence d’une surcharge sur une pièce présentant un cordon de soudure. M. Duval travaille sur l’étude des phénomènes non-linéaires dans le cadre de sollicitations modales (assemblages utilisés dans des centrales nucléaires) et leur influence sur le comportement mécanique. Enfin, M. Depale a présenté une démarche méthodologique de détermination de la durée de vie de structures (notamment de type grue) en détaillant les différentes approches et normes existantes.
L’ensemble de ces présentations montrent l’étendue des travaux réalisés par les équipes du CETIM, de la science des matériaux à l’utilisation de la data science en passant par le développement de démonstrateurs.
Fatigue Design, un évènement international
Cet aperçu succinct de quelques conférences sur des sujets de pointe ne doit pas faire oublier le nombre conséquent de prises de parole consacrées à des sujets plus traditionnels en mécanique de la rupture ou en fatigue des structures, qui sont tout aussi déterminants à l’échelle de la discipline. Le travail conjoint d’équipes universitaires, d’acteurs industriels et de spécialistes du sujet, partout dans le monde, permet de faire avancer la connaissance dans un domaine extrêmement technique mais dont l’impact est crucial pour l’étude des pièces mécaniques. L’organisation de l’évènement, avec un pays invité, l’Allemagne, et une langue utilisée par tous, l’anglais, a permis un large partage de connaissance entre spécialistes et curieux du monde entier. On repart donc de Senlis satisfait et avec en tête un aperçu plutôt complet de l’état des travaux menés dans les domaines mis à l’honneur au salon Fatigue Design.