
Le trésor en or de Varna - 5000 ans avant notre ère.
La métallurgie de l’or au néolithique a existé en parallèle avec celle du cuivre et du fer que nous avons déjà abordé dans un précédent article de MetalBlog. Les alliages d’or avaient alors des compositions très variables et contenaient de l’argent, du cuivre et diverses impuretés. Cependant, différentes techniques étaient déjà maîtrisées 3 millénaires avant notre ère comme la brasure pour assembler des parties de parure ou de statuettes, l’utilisation de pierre de touche pour évaluer la quantité d’or dans un alliage ou la technique Tumbaga en Amérique du Sud.
Des études archéologiques sur l’or relativement tardives
Jusqu’aux années 90, la recherche autour de la métallurgie de l’or occupait encore une place secondaire par rapport aux études archéologique du fer ou du cuivre. L’or avait jusqu’alors été l’objet d’étude des historiens de l’art qui le considéraient plutôt comme une manifestation des possibilités artistiques de l’être humain. Actuellement les orientations de la recherche universitaire en Europe sont de deux types : les études technologiques et les interprétations d’ordre symbolique.
Des dépôts d’or partout en Europe

Les dépôts enterrés d’objets en métal et en particulier en or constituent un des phénomènes archéologiques caractéristiques de l’âge du bronze en Europe. L’Espagne et l’Irlande sont les deux zones où ce phénomène atteint des proportions importantes. Par exemple, le dépôt de Caldas de Reyes en Espagne (daté de 1900 avant notre ère) contenait à l’origine 27 kg d’or sous forme notamment de lingots annulaires, mais aussi d’objets comme des récipients et même des peignes. On a essayé d’expliquer ces phénomènes de dépôts, repérables dans toute l’Europe durant les périodes protohistoriques, par diverses raisons relevant d’un rituel, religieux ou social ou de stratégies de stockage d’une élite locale.
Le début de la métallurgie de l’or en Europe

L’un des événements archéologiques majeurs fut les fouilles de la nécropole de Varna (Bulgarie) entre 1972 et 1986 où l’on mit au jour un mobilier funéraire d’une richesse exceptionnelle, comprenant environ 3000 objets en or, d’un poids total de 6 kg, répartis dans quelques tombes datées de la seconde moitié du Ve millénaire avant notre ère. Cette découverte venait confirmer ce que l’on soupçonnait déjà, à savoir que la métallurgie dans les Balkans était apparue indépendamment des cultures métallurgiques considérées comme les plus anciennes de la zone du Proche- Orient, ce qui remettait en cause la théorie diffusionniste est-ouest sur lequel reposait l’explication de l’apparition de la métallurgie en Europe.
Des alliages d’or, d’argent et de cuivre

Les principaux éléments d’alliage de la métallurgie de l’or à l’époque néolithique sont le cuivre et l’argent. Ceci pour plusieurs raisons. Tout d’abord, ils abaissent le point de fusion de l’or, ce qui rend l’élaboration plus aisée à une époque où obtenir des hautes températures de fusion s’avérait complexe. Ensuite, ils limitent la quantité d’or nécessaire à la réalisation d’objets. Ils permettent d’obtenir une couleur variable selon les éléments d’alliage ajoutés : du jaune claire (ajout d’argent) au jaune orangée (ajout de cuivre). Ils renforcent les caractéristiques mécaniques de l’or (dureté, résistance mécanique) qui même si elles n’étaient pas appréhendées scientifiquement, n’ont pas pu échapper aux orfèvres de l’époque. Enfin, le minerai d’or est souvent mélangé naturellement avec d’autres nuances (argent), ce qui conduit presque naturellement à réaliser des alliages.
La brasure grâce aux alliages d’or à plus bas point de fusion

Si les premières parures en or ont été façonnées à partir d’une seule pépite, la plupart des objets étaient ensuite constitués d’un assemblage de différentes parties. La technique d’assemblage qui semble la plus courante est la brasure avec l’utilisation d’un métal d’apport à plus faible point de fusion (pour ne pas refondre les parties à assembler). Des alliages d’or fortement alliées au cuivre étaient ainsi usuellement utilisées pour braser les différentes parties d’une pièce d’orfèvrerie. En effet, l’alliage de brasure diffuse dans les deux parties, réalisant ainsi l’assemblage. La brasure a été maitrisée très tôt ainsi que l’atteste le chien-pendeloque de Suse (3300-3100 avant notre ère) conservé au musée du Louvre à Paris. Ce petit objet (1.5 cm de long pour 2.3 g), réalisé en or par la technique de la cire perdue avec une zone creuse (noyau en argile), comporte en effet un anneau sur le dos du chien brasé avec un alliage d’or-cuivre.
L’électrum, base de la métallurgie de l’or
L’électrum est un alliage célèbre de l’antiquité. C’est un mélange d’or et d’argent : 20 % d’or et 80 % d’argent environ. Les proportions d’or (40 % à 90 %) et d’argent retrouvées dans les objets des fouilles archéologiques peuvent être très variables et traduisent des pratiques diverses, un métal à l’état natif de qualité fluctuante et dans certains cas probablement une maitrise moyenne de la composition. De plus, l’Electrum était souvent allié à diverses impuretés elles aussi en proportions très variables.
L’orpaillage en pays Celtes

Comme en témoignent les historiens de l’antiquité, en Gaulle, l’orpaillage était très productif et semble avoir été pratiqué sur tous les réseaux hydrographiques aurifères des Pyrénées, du Massif central, des Alpes, du Massif Armoricain et des Ardennes. Les auteurs anciens citent ainsi le Rhin, le Rhône, l’Ariège ou le Tarn comme chargés de paillettes d’or. L’exploitation de mines d’or ne démarra que vers le 6ème siècle avant notre ère. Dans d’autres cultures, les mines d’or à ciel ouvert ou en galeries furent exploitées plusieurs millénaires avant notre ère. L’exploitation minière de l’or, même à de faibles profondeurs, demande cependant un niveau technique, une organisation et des moyens humains plus importants que l’orpaillage.
Un transport de métal sur de longues distances
Par contre, tout la région du nord de l’Allemagne par exemple, si elle est très riche en objets protohistoriques en or, est par contre géologiquement dépourvue de gisements aurifères (et de métaux d’une manière générale). Tous les métaux devaient être donc importés, ce qui impliquait un réseau de commerce et d’échanges avec les régions voisines ou même à longue distance, et ce depuis les débuts de la métallurgie de l’or.
L’or, la religion et …. les étoiles à neutrons
Dans de très nombreuses civilisations (sans connexion entre elles), l’or était le symbole du divin. Cela peut s’expliquer notamment par deux de ses propriétés : sa quasi-inaltérabilité dans le temps (qui en fait un matériau d’immortalité) et sa couleur jaune éclatante qui rappelle la puissance du soleil. Le soleil fertilise les cultures et est considéré comme source de vie. En effet, alors qu’au paléolithique (chasseur-cueilleur), les grottes sont ornées d’animaux (ours, cheval, …), les cultivateurs du néolithique (Egyptiens, Grecs, Celtes, …) vénèrent des divinités en lien avec le soleil et le représentent dans leurs arts religieux en utilisant l’or. L’or tire d’ailleurs son nom vient du latin aurum, signifiant aussi aurore. Cela explique son utilisation majeure pour les parures (roi, chef religieux, élite et noblesse locale) et statuettes de culte, avant son utilisation monétaire. Mais, alors que tous les éléments chimiques (sauf l’hydrogène) de la table de Mendeleïev sont formés dans les étoiles et se sont répandus dans l’univers lors des explosions de Supernovæ (étoiles en fin de vie), on sait depuis peu de temps que les éléments lourds (or, plomb, uranium) proviennent uniquement des éléments rejetés lors de la fusion de 2 étoiles à neutrons. L’or est ainsi l’un des seuls éléments qui ne provient pas directement d’une étoile, telle que notre soleil, contredisant l’intuition des anciennes civilisations …
La légende du bronze de Corinthe
Selon la légende, le bronze de Corinthe (bronze, or et argent), mythique dans l’antiquité, fut créé par accident, lors de l’incendie de Corinthe en 146 avant notre ère. De grandes quantités d’or, de cuivre et d’argent de la ville y seraient fondues ensemble, formant l’alliage. Pline cependant, pense cette histoire peu crédible car la plupart des créateurs des œuvres en bronze de Corinthe dans la Grèce Antique vécurent bien avant cet évènement. Mais les analyses faites des bronzes antiques par les archéologues ont toujours révélé des alliages où l’étain, le plomb, le zinc entrent en composition avec le cuivre. On n’y découvre pas les métaux précieux, l’or et l’argent, qui, au dire des anciens, étaient la base essentielle de cet alliage. Pour l’instant, le bronze de Corinthe n’a donc pas d’existence avérée dans la métallurgie de l’or.
Les pierres de touche
Une pierre de touche est une pierre de couleur noire sur laquelle l’orfèvre va frotter la nuance à évaluer. On compare ensuite les réactions d’un acide sur ce résultat et sur une marque produite par un métal de référence connue. La plus vieille pierre de touche a été retrouvée dans un habitat de la fin de l’âge du bronze (vers 900 avant notre ère). A l’époque romaine, (IIème siècle avant notre ère), Pline l’Ancien y fait référence explicitement dans « Histoire Naturelle » dont les 2 derniers volumes (IX et X) sont consacrés à l’exploitation minière et la minéralogie. Cela montre que les orfèvres de l’époque étaient capables d’estimer, sans doute avec une assez bonne précision, la quantité d’or inclus dans un alliage.
La couronne en or du roi Hiéron

L’histoire, sans doute romancée, de la découverte de la « poussée d’Archimède » illustre bien les préoccupations de l’époque de pouvoir quantifier la teneur en or dans les objets d’orfèvrerie. Le roi Hiéron II de Syracuse (306-214) aurait demandé à son conseiller scientifique Archimède de vérifier si une couronne d’or, qu’il s’était fait confectionner comme offrande à Zeus, était totalement en or ou si l’artisan y avait mis de l’argent. La vérification ne devait pas détériorer la couronne et la forme de celle-ci était trop complexe pour effectuer un simple calcul du volume de l’ornement. L’histoire raconte que le joaillier avait remplacé une partie d’or par de l’argent. On peut supposer, qu’en l’absence de moyen de mesure fiable de la composition chimique, la tentation était grande de diminuer la quantité d’or dans les objets lors de leur fabrication. De nos jours, on retrouve la contrefaçon avec les lingots d’or fourrés au tungstène (masse volumique de 19.3 g/cm3 identique à celle de l’or) et revêtus d’une couche d’or. De quoi duper Archimède si le tungstène avait été connu dans l’antiquité.
L’alliage Tumbaga

En Amérique du Sud (indiens Péruviens et Quimaya), les artisans orfèvres ont mis au point, il y a 1500 ans, des techniques très spécifiques pour produire des statuettes composées en majeure partie de cuivre tout en leur donnant l’aspect de l’or, permettant d’économiser le métal précieux. Ces métallurgistes partaient ainsi d’un alliage nommé tumbaga, composé d’or, de cuivre et d’argent. Cet alliage, au point de fusion plus bas, autorisait une mise en œuvre aisée. La statuette était chauffée afin que le cuivre en surface s’oxyde au contact de l’oxygène de l’air et forme alors une croute noire (oxyde de cuivre). Cette croute était alors enlevée à l’aide d’un acide léger (jus de plantes, urine) laissant en surface un mélange d’or et d’argent. Une pâte très acide était ensuite appliquée en surface pour oxyder l’argent qui se dissolvait laissant l’or en surface avec une forte porosité et rugosité. La statuette était enfin chauffée pour refusionner les grains et leur appliquer une opération de polissage. La statuette finale était une sorte de composite à gradient de composition (alliage d’or 40 %, de cuivre 50 % et d’argent 10 % à cœur et couche plus riche en argent 30 % et en or 70 % en surface). De nos jours, on préfère le plaqué-or (sur laiton) réalisé par électrolyse, au Tumbaga !
Les torques d’or des Celtes

Une des parures en or, emblématique de la culture Celtique est constituée de ce qui a été nommé les torques, colliers en métal dont le corps présente un aspect de torsade. Le torque connaît son apogée lors du second âge du Fer, à la fois dans la diversité des formes que le torque prend, mais aussi dans sa fonction, qui varie au cours de la période. En l’absence de culture écrite des Celtes, le rôle des torques n’a jamais été complètement élucidé et révèle le caractère complexe de ce bijou : en même temps parure de femme, de guerrier, de divinité, objet de culte et d’offrande ou …. simple réserve de matière première précieuse.
Le rôle des objets précieux au néolithique
Au néolithique, tous ces objets précieux en or servaient probablement au positionnement social des individus par rapport aux autres. On pense qu’ils entraient sans doute rarement dans des transactions marchandes. L’anthropologue Alain Testart parle ainsi de « sociétés à manipulation de biens ostentatoires ». La possession d’objets luxueux (or) et plus globalement d’objets métalliques (fer, cuivre) y marquait vraisemblablement le statut social.
De nos jours, la couleur de l’or sans or
Si la technique du Tumbaga est séduisante, on peut aujourd’hui aller plus loin encore et produire des alliages à base de cuivre qui ont quasiment la couleur de l’or mais sans ajout d’or. De la métallurgie de l’or … sans or. Pour cela, on ajoute des éléments d’alliage, qui en proportion diverses, permettent d’obtenir des nuances avec différents dégradés comme l’a récemment réalisé le CTIF.
Conclusions
On l’aura compris, les fabrications antiques d’objets en or ont des compositions chimiques très variables, traduisant l’absence de référentiel commun (« normalisation »), la difficulté de maitrise de la métallurgie de l’or en éléments d’alliage ou la disponibilité locale de minerai (orpaillage, mines) différente d’une région à un autre. Néanmoins, les orfèvres de l’époque maîtrisaient déjà un certain nombre de technique, allant de l’élaboration métallurgique, en passant par la fonderie cire perdue puis l’assemblage par brasage. Il nous semble également important de souligner que peu d’objets, comme ceux en or, ont conservés au travers les millénaires (du néolithique à nos jours), un statut identique, lié au luxe, même si de nos jours l’or s’est sensiblement démocratisé.