La tomographie industrielle – encore appelée CT Scan (Computed Tomography) – dérivée des technologies médicales (scanner, IRM), commence à se répandre dans l’industrie. Cette technologie de contrôle non destructif permet une visualisation en 3D de l’intérieur comme de l’extérieur de pièces d’une grande complexité géométrique. Il faut distinguer les micro-tomographes utilisés en R&D, qui offrent une très bonne résolution (1 à 20 µm) sur des échantillons ou des éprouvettes de faible taille, des tomographes de production qui permettent de scanner des pièces entières (200 x 200 x 500 mm) mais avec un niveau de résolution moindre (100 µm à 200 µm).
Principe de la tomographie
Comme la radiographie (en deux dimensions), la tomographie est basée sur l’absorption différentielle des rayons X en fonction de la densité de matière mais elle exploite un grand nombre de vues réalisées suivant différents angles par rotation de l’objet et suivant plusieurs positions en hauteur. Les différentes vues permettent de déterminer l’absorption de chaque élément de volume appelé « voxels » et ainsi de reconstituer l’objet en trois dimensions. Il est alors possible d’obtenir plusieurs représentations du volume de l’objet, dont la visualisation sous forme de coupes virtuelles. Cette représentation est la plus conventionnelle et la plus pratique pour déterminer des taux de porosités ou mesurer des discontinuités. Pour examiner la totalité du volume, il suffit de faire défiler à l’écran les coupes 2D.
La tomographie en R&D
La micro-tomographie (ou la nano-tomographie) permet l’analyse fine des microstructures de matériaux exotiques (composite à matrice métallique, mousse métallique, alliage semi-solide) ou la détection et la reconstruction de la géométrie de défauts internes à des fins de calcul de structure pour quantifier par exemple l’impact des imperfections sur la tenue mécanique.
La tomographie dans l’automobile et l’aéronautique
La tomographie permet de localiser et de quantifier les défauts internes, mais également de réaliser le contrôle géométrique de pièces prototypes. En particulier, des zones internes noyautées, très complexes géométriquement, peuvent être contrôlées sans examens destructifs. La tomographie est utilisée majoritairement en phase de développement et de qualification dans un contexte automobile sur des pièces en aluminium (culasse, bloc moteur, piston, support de pompe, carter de BV, …) et en aéronautique. De nombreux autres domaines industriels à haute valeur ajoutée s’y intéresse également.
Les applications industrielles
L’analyse santé matière consiste en la recherche de défauts, de retassures, de porosités, de criques ou autres anomalies que peuvent comporter les pièces et produits fabriqués. L’analyse santé matière peut mettre en évidence des réseaux de porosités à l’origine de fuites ou encore des criques placées dans les zones mécaniquement contraintes.
Les données de la tomographie permettent également les contrôles dimensionnels et notamment la mesure de l’épaisseur de paroi, de diamètre, rayon, taille d’anomalie, distance entre deux points ou parois. La tomographie est également un outil de vérification du procédé de fabrication mettant en évidence les déports de noyaux, les toiles « trop » fines ou autres anomalies d’assemblage.
Quantifier des porosités
La santé interne des pièces moulées est aujourd’hui principalement appréciée par radiographie. Celle-ci produit des images du volume projeté sur un plan. Les pièces moulées étant par définition de formes complexes, il est souvent difficile de visualiser les discontinuités parmi les nombreuses variations d’épaisseurs ou les projections de parois et le positionnement dans l’épaisseur n’est pas possible. Cela peut conduire à rebuter une pièce alors que la retassure se situe dans la fibre neutre et n’aura pas d’influence sur sa durée de vie en service.
A l’inverse, de petites indications situées en zone superficielle conformes aux cahiers des charges client, peuvent conduire un abattement de plus de 30 % des résistances à la fatigue. Avec la tomographie, il est possible de savoir si les discontinuités vont partir à l’usinage ou déboucher en surface ou si elles se situent dans une zone désignée dangereuse pour la tenue mécanique de la pièce. Pour faciliter la visualisation de la position des porosités, la matière est rendu transparente, seuls les contours de la pièce et les porosités sont visibles. Avec un code couleur, les porosités qui vont déboucher à l’usinage, celles qui sont éliminées avec les copeaux et enfin celles qui restent internes sont très facilement identifiées.
Contrôle des structures lattices
L’exemple caractéristique de la puissance de la tomographie par rapport à la radiographie est l’examen des structures lattices issues de fonderie ou de fabrication additive. En radiographie traditionnelle, l’image est floue, les porosités se superposent et il est impossible de déterminer la dimension des pores. A l’inverse, les coupes tomographiques donnent des images nettes qui permettent d’accéder à des données précises sur la dimension des pores et leur distribution.
Recherche des causes d’un défaut d’étanchéité sur une pièce industrielle
La tomographie aux rayons X permet, également, le suivi de discontinuités dans le volume. Cette application est très utile pour rechercher la cause d’un défaut d’étanchéité. Les logiciels de traitement d’image en tomographie proposent une application permettant de vérifier si un chemin de fuite existe. Le principe est de placer un germe dans une zone de niveaux de gris plus élevés que le reste de la pièce et de le faire propager tant qu’il reste dans une certaine gamme de niveaux de gris. Si le germe se propage jusqu’à la paroi opposée, la pièce est fuyarde et le chemin de fuite est identifié.
Inspecter des pièces réalisées en fabrication additive
Enfin, pour vérifier la sante interne des pièces obtenues par fabrication additive, la tomographie est la seule technologie possible, à la condition de prendre de très haute résolution (en dessous de 10 µm) car les porosités ont classiquement des tailles comprises entre 10 et 100 µm. Ces porosités sont soient débouchantes, soit situées dans les zones superficielles. On y détecte également des inclusions provenant de la poudre mal filtrée au départ.
Réaliser des contrôles dimensionnels
Outre les applications de santé-matière, la tomographie offre également la possibilité de réaliser des contrôles dimensionnels de différents types. Malgré des résolutions moins importantes que des machines tridimensionnelles classiques (quelques µm), la tomographie permet d’accéder aux faces cachées des pièces complexes, comme les culasses de moteurs. Il est alors possible, à l’aide de logiciels d’analyse adaptés, de comparer la forme interne de la pièce avec la CAO originale, de mesurer les épaisseurs de parois ou encore de vérifier la conformité de certaines cotes par rapport au plan.
Un exemple de comparaison 3D avec la CAO est donné sur une culasse en aluminium. Après superposition du volume scanné avec la CAO de référence, un calcul des écarts dimensionnels entre les 2 volumes est réalisé. Le résultat est donné sous forme de code couleur directement appliquée sur le volume 3D et sur les coupes 2D. L’incertitude de mesure dimensionnelle sur les micro-tomographes est généralement égal à un centième de la longueur (mesurée en millimètre) auquel s’ajoute une erreur systématique de quelques micromètres (typiquement entre 2,5 µm et 10 µm selon les équipements). Bien que ce type d’incertitude ne s’applique pas directement à toutes les analyses dimensionnelles, il permet aujourd’hui de mieux encadrer ces dernières.
Les freins à l’adoption de la tomographie
Plusieurs freins existent cependant pour faire de la tomographie un contrôle aussi normalisé et au même prix que la radiographie. Tout d’abord, le prix d’un tomographe reste plus élevé qu’une cabine équipée des mêmes tubes X (et détecteurs numériques) car il faut y ajouter une mécanique de précision ainsi qu’un module de reconstruction d’images et de corrections des artéfacts. Ensuite, contrairement à la radiographie, il est fortement recommandé d’investir dans un logiciel d’analyse d’image (entre 10 k€ et 50 k€ selon les fonctionnalités proposées) afin de bénéficier de tous les avantages offerts par la reconstruction 3D.
Ces logiciels nécessitent malgré tout quelques compétences en traitement d’image pour être utilisé efficacement. Les temps d’acquisition, de reconstruction et d’analyse – même s’ils sont en diminution constante au fil des années – restent d’une manière générale bien supérieurs à un contrôle radiographique, interprétation comprise des clichés. Enfin, les normes « produits » des pièces de fonderie contrôlées par radiographie n’ont pas encore été transposées en tomographie. Des critères spécifiques à la tomographie restent à établir sans chercher une corrélation entre la classe des porosités, déterminées par une comparaison avec des clichés de référence en radiographie (ASTM), et le taux de porosités que l’on peut calculer numériquement en tomographie.
Une technologie en croissance
Malgré ces contraintes, la production de pièces de série en alliage léger devrait, dans les années à venir, intégrer de plus en plus des tomographes comportant des systèmes automatisés de reconnaissance de défauts. De plus, de très nombreux constructeurs de cabines de radiographie numérique propose une option -qui si elle prise à l’origine- permet rétrospectivement de rétrofiter une installation de radiographie en tomographie si le besoin s’en fait sentir.
Les constructeurs de matériel développent et proposent des tomographes en ligne qui permettraient un contrôle de série (100 % des pièces) de pièces à haute valeur ajoutée.
En revanche, le développement des techniques tomographiques pour la production des pièces en alliages ferreux ou cuivreux nécessite encore d’autres progrès technologiques, aussi bien pour les sources de rayonnement (à micro foyer et à haute énergie) que pour les détecteurs (de dimensions plus faibles et capables de supporter des rayonnements durs).
Bonjour,
Merci pour l’article, le contenu est très intéressant.
Petite question : est ce que ce CND est limité par l’épaisseur de la pièce? Jusqu’à quelle épaisseur peut on utiliser ce moyen de contrôle ?
Merci pour votre réponse.
Bonjour Boubker,
Merci pour votre avis sur le contenu de l’article. C’est vrai que la tomographie intéresse beaucoup les industriels. Pour preuve, les 100 participants à la journée MetalDays que CTIF organisait à Lyon le 13 décembre dernier sur la radiographie et tomographie (exposés techniques, table ronde, ateliers thématiques). Pour répondre à votre question: Oui ce CND a des limitations en termes d’épaisseur de pièces. Comme pour un système de radiographie, plus l’épaisseur traversée et la densité de la pièce sont élevées et plus la source de rayons X doit être puissante. Cela dépend également de la résolution recherchée et de la taille du foyer utilisé. Ainsi, avec un tomographe de 225 kV, on traverse 50 mm d’aluminium et seulement 25 mm d’acier alors qu’un tomographe de 450 kV on peut contrôler 300 mm d’aluminium et 60 mm d’acier.
Cool ??
Bonjour,
Très intéressant.
Auriez-vous une idée du prix que cela peut représenter en comparant par rapport à celui d’une radiographie ? La radiographie permet d’écarter les pièces avec de gros défauts mais la problématique est souvent celle de retrouver des porosités au moment de l’usinage pour des défauts sur la périphérie. Ce serait la solution, mais dans quelle limite économique ?
Bonjour Philippe et merci de votre avis sur cet article sur le contrôle des pièces par tomographie. Pour répondre à votre question, on peut dire qu’aujourd’hui le prix d’un contrôle par tomographie est de plusieurs fois celui d’un contrôle par radiographie car le coût de l’installation est plus important et les temps de scan, de reconstruction et d’interprétation sont beaucoup plus longs. Cependant, comme vous le dites, la tomographie permet de faire plus de chose (quantification et localisation des défauts et mesures dimensionnelles). Les temps de traitement informatiques diminuent avec l’augmentation des puissances des machines, ce qui fera diminuer progressivement le coût de la tomographie. On note que de plus en plus de tomographes arrivent en contrôle de production en aéronautique (aube de turbine) ou en automobile (culasse et bloc moteur) ou pour des pièces à haute valeur ajoutée. Sinon, la tomographie peut être utilisée plus ponctuellement en R&D, en mise au point ou en résolution de problèmes.
merci pour l’article qui est très riche
Bonjour Lynda et merci d’avoir apprécié l’article de notre Expert en contrôle CND.
bonjour,
nous travaillons des matières type Titan, Inconnel, Alacrite, sont elles compatible avec cette technologie, et avec quelle précision pour quel capacité?
merci de votre réponse
Bonjour Benoit. La tomographie permet de contrôler tout type de matériau (titane, Inconel, …) et ceci d’autant plus facilement et avec de fortes épaisseurs traversées que leur masse volumique est faible.
Bonjour, pourriez vous me contacter pour un projet de contrôle sur 7000 moteur
Merci pour ce sujet très complet et extrêmement intéressant. Ingénieur ENISE, j’assure une activité d’enseignement à domicile. Le cours de ST2S m’ amené vers la radiographie et ma curiosité vers les CND. Je découvre, à bientôt 53 ans , la tomographie et je suis épaté…
Bonjour érik et merci pour l’intérêt porté à notre article de MetalBlog sur le contrôle des pièces par tomographie aux rayons X. Les CND, c’est tout un monde que nos experts au CTIF pratiquent au quotidien.
à mon tour de vous remercier pour votre réponse. Ne connaissant pas encore le CTIF, je vais « de ce pas » le découvrir. A une prochaine…
Bonjour,
Merci pour l’article. Ce genre de procédé de contrôle est-il répandu sur des lignes de production pour des pièces à géométrie simple ? Ou est-ce c’est réservé aux pièces complexes de l’aéronautique ?
Merci,
Bonjour Lionel. Pour répondre à votre question, pour les pièces standards ou les enjeux qualité sont conventionnels, la radioscopie est la norme en terme de CND. La tomographie est encore réservée à ce jour à des pièces à haute VA aéronautique mais également automobile (bloc moteur, culasse). Les tomographes industriels se démocratisent cependant avec des upgrades possibles des matériels radio vers la tomographie. Bref, les lignes bougent …
Bonjour,
Spécialisé dans la bijouterie haut de gamme, je cherche à numériser une pièce en or de petites dimensions 10x5x5 mm (millimètre) représentant une tête de dragon (gravure), est-il possible d’obtenir un fichier 3D précis par cette technologie ?
Merci
En raison de la résolution de la tomographie, il est pertinent de se demander si elle permet de détecter de manière fiable les microfissurations dissipatives, qui peuvent s’avérer extrêmement dangereuses au cours des cycles de fatigue. La résolution actuelle de la tomographie est-elle adéquate à cette fin ?
Bonjour Olivier et merci de votre question sur la détection des microfissurations dissipatives. Tout dépend évidement de la taille de ces microfissures et de la résolution du tomographe. Donc délicat de répondre dans l’absolu. D’autres technologies peuvent également être employés pour la détection : ressuage, technique micro-onde en champ proche, ultrasons, …, mesure d’impulsions à haute fréquence (HFIM).