Réaumur, physicien et naturaliste français du 18ème siècle développa en particulier les bases de la sidérurgie scientifique. Il vulgarisa la possibilité de transformer la fonte en acier en décrivant les techniques, matériels en vigueur à cette époque et en y apportant son éclairage. Au-delà de la métallurgie, il s’intéressa également à titre personnel à de nombreux domaines (botanique, insectes, …).
La vie de Réaumur
René-Antoine Ferchault de Réaumur (appelé Réaumur) est né en 1683 dans une famille de petite noblesse à La Rochelle. Jeune scientifique admis à l’Académie des sciences en 1708 grâce à un mémoire de géométrie, il s’intéresse très tôt aux développements des technologies. Aussi, l’Académie le charge de diriger l’édition de la Description générale des Arts et Métiers. Il fut nommé directeur de l’Académie à de nombreuses reprises. Célibataire, sa fortune personnelle lui permettra de se consacrer entièrement à ses recherches, pour son compte personnel ou pour celui de l’Académie des Sciences. Réaumur sera l’objet, une bonne partie de sa vie, des attaques et provocations répétées de Buffon, protégé du Roi. Buffon cherchait en effet à être le « Newton du monde organique » et raillera de façon dogmatique, dans des pamphlets, le travail, la méthode et les observations de Réaumur. Réaumur décédera en 1757 d’une chute de cheval.
Les multiples domaines d’intérêt de Réaumur
Au-delà de son étude des différents métiers, Réaumur s’intéressa aussi à de très nombreux domaines de la physique et de l’histoire naturelle. En plus de la métallurgie, il se pencha ainsi sur la fabrication de la faïence, sur les ancres et les câbles de marine, sur la mise au point d’un thermomètre à alcool, sur l’étude des sucs gastriques des animaux, sur l’inventaire des rivières aurifères de France, sur la génétique (hybridation par isolement d’un caractère), sur l’étude des végétaux (fleurs et graines) avec le développement d’une première méthode botanique, sur l’étude des invertébrés aquatiques et insectes et invertébrés aériens, sur l’étude des poissons, …, des oiseaux. Il constituera au fil du temps un cabinet de curiosités voué à ses collections naturalistes, l’un des plus riches d’Europe. A sa mort, Buffon récupérera ses collections pour le Cabinet du roi (situé dans le Jardin des Plantes à Paris). Un siècle plus tard environ, en génétique, le modèle des expériences de Réaumur (sur des poules) sera repris par Gregor Mendel avec des pois pour établir les bases de la génétique moderne.
Une importation croissante d’acier du royaume de France
Réaumur est chargé par l’Académie des sciences de faire paraître une Description des arts et métiers de l’époque. C’est dans ce contexte qu’il s’intéressera à la métallurgie, de plus en plus utilisé à l’époque, mais dont la dépendance de la France aux importations allait croissante. Cette recherche fut activement soutenue par Philippe d’Orléans (régent du Royaume pendant la minorité de Louis XV). Réaumur présentera ainsi à l’Académie des sciences dix mémoires sur la métallurgie entre 1720 et 1722 et rassemblera ses constats en deux ouvrages intitulés « L’Art de convertir le fer forgé en acier » et « L’Art d’adoucir le fer fondu ou l’art de faire des ouvrages de fer fondu aussi finis que de fer forgé ». Dans son Art de convertir le fer forgé, Réaumur exprime avec force les principes qui vont désormais guider les Académiciens et selon lesquels il s’agit de faire progresser les connaissances et de contribuer au développement de la communauté scientifique internationale. En 1721, le Régent le récompense pour ses recherches en lui attribuant 12 000 livres de rente annuelle, dont il fera cadeau à l’Académie.
La métallurgie des non ferreux non étudiée
Si la métallurgie des alliages ferreux bénéficia d’un important travail d’uniformisation des termes techniques et du recueil des savoir-faire des artisans, la métallurgie des non-ferreux (cuivreux, …) quant-à-elle ne profita pas de cet effort de remise en forme, et de ce fait, évolua « naturellement », c’est-à-dire lentement, en adoptant progressivement les termes issus de la métallurgie «scientifique» au gré de l’évolution technique. Cette transformation volontariste, impulsée par l’Académie des sciences, s’est donc portée essentiellement sur les alliages ferreux, et non sur l’ensemble de la métallurgie, car les alliages ferreux avaient sans doute le plus fort potentiel d’innovation en termes d’accroissement des richesses et d’importance stratégique liée à l’armement avec une production en hausse constante.
Le fer est la forme la plus pure du métal
Réaumur s’intéresse à la fabrication de l’acier et tente d’améliorer la médiocre qualité de la production française de l’époque. Le premier, il démontre que l’acier n’est pas du fer épuré, comme on le pensait jusqu’alors et qu’il est possible de transformer la fonte en acier, par addition de fer métallique ou d’oxyde. Il est ainsi le premier à remettre en cause l’opinion d’Aristote selon laquelle l’acier est une forme plus pure de fer. Il comprend que c’est le fer la forme la plus pure et que c’est la présence en quantités variables de ce qu’il nomme les « sels et le soufre » qui caractérise la fonte et l’acier. Il étudie également les traitements thermiques de l’acier : cémentation et trempe en utilisant le premier un microscope pour l’étude de la constitution des métaux, créant la métallographie.
Réaumur, inventeur du terme métallurgiste
Le terme « métallurgiste » est attesté pour la première fois chez Réaumur et désigne d’abord un « auteur ayant traité des métaux ». Il est employé par la suite pour la première fois dans le Dictionnaire de Trévoux en 1752, pour désigner aussi un fondeur ou un forgeron « qui travaille les métaux ».
La méconnaissance des alliages fer-carbone par Réaumur
Personne à l’époque ne connaissait les raisons métallographiques de la différence entre fonte, fer et acier, pas même Réaumur. Réaumur ignorait en effet l’existence du carbone dans les alliages ferreux. Ce que Réaumur a compris, et en quoi, il a provoqué une rupture épistémique, qui a débouché plus tard sur la découverte du carbone dans les alliages ferreux, c’est la place de l’acier dans la succession fer/fonte/acier. Avant lui, c’est l’acier qui était considéré comme le métal « le plus pur », le métal définitif en somme, alors que la fonte de fer et le fer étaient considérés comme des métaux impurs, composites. Réaumur a remis le fer à sa place, et démontré que fonte et acier étaient des « ferreux » composites (il n’était pas question d’alliages alors). En quoi d’ailleurs, il n’a pas été suivi immédiatement, car cela semblait peu crédible à ses contemporains de considérer que le fer était un métal plus « pur » que l’acier. Pour découvrir le « carbone » et comprendre qu’acier et fonte étaient des alliages fer/carbone, il a fallu les travaux de Lavoisier et de son équipe de jeunes savants (Vandermonde, Berthollet, Monge) dans les années 1780 (soit 60 ans plus tard que les publications de Réaumur) qui ont expliqué le rôle du carbone dans la fonte et l’acier.
L’étude des métaux par des essais mécaniques
Réaumur reprend les hypothèses des physiciens mécanistes qui l’ont précédé qu’il combine avec ses observations remarquablement précises de la structure du métal révélée par la cassure. Il élabore une explication du mécanisme de durcissement de l’acier mettant en jeu des transformations produites par la chaleur, qui servira de guide à toutes les expériences ultérieures et qui ne sera améliorée qu’à la fin du XIXe siècle. Seul, à cette époque, Réaumur utilise des « essais mécaniques » dans un esprit scientifique d’étude du métal. Il indique « les manières de connaître les défauts et les bonnes qualités de l’acier et plusieurs vues pour parvenir à comparer les aciers de différents degrés de perfection ». Il étudie le « grain » sur des cassures d’éprouvettes entaillées et trempées d’un seul côté. Il recherche la dureté en essayant de rayer le métal par des corps constituant une échelle : verre, cristal de roche, silex, agate, … Il crée l’essai de pliage et même un pseudo « essai de traction » sur un fil pour comparer, notamment l’état non trempé et trempé de ce fil.
Les interprétations erronées sur la trempe liées à la théorie de la phlogistique
Les conclusions théoriques de Réaumur, concernant la nature de la trempe et de la cémentation contenaient à côté d’une certaine part de vérité, de graves erreurs, inévitables conséquences des théories chimiques largement acceptées au début du XVIIIème siècle et en particulier la théorie chimique de la phlogistique. Cette dernière expliquait en effet la combustion en postulant l’existence d’un « élément-flamme », fluide nommé φλογιστόν (phlogistón) (du grec φλόξ phlóx, flamme), présent au sein des corps combustibles. D’après les conceptions de cette époque, le charbon n’apportait pas seulement de la chaleur, mais aussi de la phlogistique au fer fondu.
Vers une métallurgie moderne
Scientifique s’intéressant à de multiples domaines industriels ou naturalistes, et pourvu d’une fortune personnelle lui permettant de se consacrer entièrement à sa passion, Réaumur travailla sur ordre de l’Académie des sciences mais aussi pour satisfaire sa propre curiosité intellectuelle. En particulier, après les publications de Réaumur, l’Académie des sciences mit sur pied un enseignement dédié à la métallurgie, dès la fin des années 1740, suivie d’une veille technique internationale avec l’envoi d’ingénieurs mandatés pour observer, décrire et transcrire les techniques en usage en Europe. Il est clair que Réaumur fit des interprétations erronées des phénomènes en suivant les concepts chimiques de l’époque. Ses travaux précurseurs (avant même la révolution industrielle) permirent cependant à d’autres scientifiques, après lui, de prendre le relai pour enseigner, transmettre ou étudier de manière plus quantitative les phénomènes métallurgiques qui donneront corps peu à peu à une métallurgie moderne, toujours en évolution de nos jours.