
Laminage des barres de zirconium par Framatome.
Le zirconium est un matériau peu connu dans le monde de la métallurgie. Il est pourtant essentiel dans l’industrie du nucléaire qui constitue sa principale utilisation. Ses dérivés comme le zircon sont utilisés dans le domaine du luxe pour réaliser des bijoux ou dans la fonderie pour réaliser des moules. On constate que la bonne qualité des gaines (utilisées dans le gainage des combustibles nucléaires) est un enjeu majeur dans le nucléaire. Cet article présente les procédés de transformation du zirconium pour l’industrie nucléaire en partant de la mine (extraction) et en explicitant les process de transformation successifs et sa mise en forme pour réaliser des gaines avec la métallurgie associée.
Le zirconium pour le nucléaire

Le zirconium est utilisé dans le gainage des combustibles nucléaires dans les réacteurs à eau comme les REP (Réacteur à Eau Pressurisée) et les REB. En effet, le matériau associe à la fois de bonnes propriétés mécaniques et une section d’absorption des neutrons parmi les plus faibles. Cette absorption neutronique est indispensable au maintien de la réaction de fission. Contrairement au zirconium, le bore et le hafnium utilisés dans les barres de contrôle ont une section d’absorption très importante. Ils sont donc des éléments à éviter dans les gaines. Bien qu’ayant une grande résistance à l’oxydation grâce à la formation de l’oxyde stable : le zircon, le zirconium rejette du H2 en cas de corrosion à haute température avec l’eau (Zr + H2O = ZrO2 + H2
). C’est ce qui causa l’explosion de Fukushima et libéra les éléments radioactifs dans l’air.
Le minerai de zirconium
Le zirconium recouvre 0,030% de la croute terrestre ce qui est peu par rapport à d’autres métaux abondant comme le fer (5,0 %) mais bien plus que des métaux plus rare comme le molybdène (0,00012 %) et le cuivre (0,006 %). Ce métal est présent dans la nature sous forme de minerais dont les plus concentrés en zirconium sont la baddeleyite (ZrO2), la calzirtite (CaZr2TiO9
), et le Zircon (ZrSiO4
). L’extraction consiste à transformer les minéraux en zirconium d’une très grande pureté. Le zirconium utilisé dans le nucléaire est obtenu principalement à partir du zircon, un minéral composé à 67 % de ZrO2
, 32 % de
SiO2 et 1 % de Hf20
. Le hafnium (Hf) est un matériau avec une section de capture neutronique (d’environ 100 Barn) suffisante pour dégrader la réaction de fission même en petite quantité. Cela souligne l’importance d’avoir du Zr pur en dissociant en particulier le Hf et le Zr. La purification se déroule en 3 grandes étapes : la carbochloration, la purification et la séparation.
La carbochloration
Le but de cette étape est de passer d’un oxyde à un chlorure de zirconium dont l’équation chimique est la suivante :
ZrSi02 + 4C + 4Cl2 –> ZrCl4 + SiCl4 + 4CO + HFCl4
. Elle se fait à 1100-1200°C dans un four à induction. On obtient du ZrCl4
débarrassé du silicium et de l’oxygène mais du hafnium et différents éléments métallique sont toujours présents.
La purification
Cette étape de purification va permettre de supprimer tous les éléments métalliques résiduels en ajoutant -dans un four fonctionnant à 500°C- du fer et de l’hydrogène. Voici deux exemples de réactions chimiques de purification permettant d’enlever le phosphore et le souffre : 2PCl5(g)+9Fe(s) = 5FeCl2(s)+2Fe2P(s) et S2Cl2(g) + 2Fe +H2(g) = 2FeS(s) + 2HCl(g). Une décantation de produits solides va se faire avec un ZrCl4 purifié.
La séparation
Au vu du point de sublimation très proche entre le ZrCl4 et le HFCl4 , seul le procédé de séparation peut fonctionner. Il permet de séparer le hafnium et le zirconium grâce à un échange liquide-gaz en bain de sels fondus. Grâce à une colonne de distillation longue et complexe de plusieurs étages, le HFCl4 étant plus volatil que le
ZrCl4 se trouve préférentiellement en haut de la colonne.
Après une autre étape appelé procédé Kroll , le Zr est débarrassé de son chlore. Le principe consiste à ajouter du magnésium liquide qui va réagir au chlore du zirconium sublimé : ZrCl4+ 2Mg →
MgCl2+ [Zr+Mg]. A la fin du processus, la matière obtenue est une matrice de magnésium avec des nodules blanc de zirconium. Le magnésium ayant une température d’ébullition plus faible que le zirconium, son élimination est effectuée via une distillation sous vide à environ 1000°C. À la fin, une éponge de zirconium est obtenue avec une structure très poreuse.
La fabrication du lingot

Le zirconium réagissant très facilement avec l’oxygène pour former du zircon, il est indispensable de le faire fondre sous vide ou sous gaz neutre. Le four à arc à électrode consommable (VAR pour Vacuum Arc Remelting) fonctionnant sous vide est la meilleure solution pour faire fondre le zirconium en évitant toute contamination. En effet, un arc entre l’électrode en zirconium et le creuset va se former et passer par l’éponge en zirconium qui va alors fondre et former un lingot. C’est la composition de l’électrode composée d’éléments d’alliage qui va déterminer la composition finale de la nuance de zirconium. Une ségrégation des différents éléments d’alliage inhérente à la solidification est présente sur le lingot. Comme avec l’acier, 3 structures de solidification sont présentes dans le lingot: une structure équiaxe de peau très fine, une structure colonnaire composé de dendrites et enfin une structure équiaxe à cœur.
La solidification conduit à une contraction du volume du lingot avec quelques fois une retassure au niveau du puits liquide. Les éléments d’alliage comme le fer ou le niobium vont être plus concentrés au centre du lingot et au niveau du puit liquide. Selon les critères d’acceptabilité, plusieurs fusions peuvent être effectuées afin d’homogénéiser le métal.
La structure métallurgique du lingot de zirconium
Le zirconium possède, comme l’acier, deux phases : une phase α (hexagonale compacte) et une phase β (cubique centrée). La transformation allotropique entre ces deux phases se fait aux alentours de 865°C. Un domaine biphasé peut apparaitre grâce à l’ajout d’un élément d’alliage dont la nature du composé intermétallique va dépendre de la composition de l’alliage. Voici quelques exemples d’alliage couramment utilisés dans le nucléaire et leurs précipités : Zircaloy 2 → Zr(Cr,Fe)2 et Zr2(Ni,Fe)
et Zircaloy 4 → Zr(Cr,Fe)2.
La structure brute de coulée est très grossière avec des gros grains β composés d’aiguilles α. Aux joints des aiguilles ont précipités les éléments d’alliage: du chrome et du fer dans le cas des alliages destinés au nucléaire.
Le forgeage du zirconium

Une presse hydraulique permet de mettre en forme par déformation plastique à chaud le lingot pour obtenir les dimensions désirées. Le forgeage se décompose en deux grandes étapes: d’abord le dégrossissage (900-1050°C) puis la finition (700-800°C). Le dégrossissage déforme principalement le cœur de la pièce avec des avances et enfoncements importants. La finition, quant-à-elle, déforme uniquement au niveau de la peau de pièce avec des avances et des enfoncements peu importants. Réalisées à des températures proches de la transformation allotropique (865°C) du zirconium, ces étapes peuvent d’une part entrainer une contamination par de l’hydrogène et de l’oxygène et d’autre part engendrer un accroissement des grains. La première précaution pour éviter ces phénomènes est de réaliser un corroyage élevé pour obtenir une structure à grains fins. La deuxième précaution est de limiter la température et le temps de chauffage tout en gardant le lingot suffisamment chaud (>600°C) durant son forgeage pour éviter la formation de défauts, comme le déchirement de matière. En effet, le forgeage d’une pièce, nécessitant plusieurs passes pour atteindre sa forme finale (un cylindre dans le cas du nucléaire), peut la refroidir au contact des outils et par convection avec l’air.
Evolution de la microstructure lors du forgeage

Le lingot avant forgeage possède une microstructure composée d’aiguilles α se formant aux joints de grains β. Lors de chacune des passes de forgeage, ces aiguilles sont écrasées et divisées. L’énergie apportée par la déformation combinée à celle de la température permet une recristallisation avec des grains α quasi équiaxes. Une fois les étapes de forgeage finies, une trempe β → α est réalisée pour obtenir de bonnes propriétés en corrosion. La microstructure obtenue est formée d’aiguilles α plus fines et enchevêtrées avec des précipités aux joints. En jouant sur la durée de chauffage et la vitesse de refroidissement, on peut définir une taille de grains β et une taille d’aiguille α. Les aiguilles peuvent prendre différentes formes : sous forme de platelets parallèles ou d’aiguilles enchevêtrées (vanneries) dans le cas d’éléments présents comme le chrome. La structure après trempe dépend principalement de l’étape de trempe et très peu du procédé de forgeage.
Le filage

Après avoir usiné et grenaillé le produit trempé, un filage est effectué. Ce filage consiste à créer un tube en réduisant le diamètre extérieur et en affinant la microstructure. Ce procédé utilise deux paramètres: la vitesse de filage et la température. La température permet de faciliter le filage mais celle-ci peut augmenter localement sous l’effet de la déformation et former de la phase β. Il faut donc appliquer les paramètres optimaux pour avoir un compromis entre le temps de filage et l’effort de presse. La microstructure présente un fibrage dans le sens long constitué de grains allongés due aux déformations du filage et des grains équiaxes (recristallisés). La proportion de grains équiaxes va dépendre de la structure après trempe et des paramètres de filage. Plus la structure présente d’aiguilles vanneries avant filage plus la proportion de grains équiaxes sera importante. De même, les zones les plus déformées présenteront plus de grains équiaxes. A la fin du procédé de filage, un tube est obtenu.
Le laminage

Le laminage consiste à déformer le demi-produit pour lui donner sa forme définitive. Le procédé utilisé dans l’industrie nucléaire est le laminage à pas de pèlerin. Dans ce procédé, trois outillages sont utilisés: 2 matrices et un mandrin. Les matrices vont se positionner sur le diamètre extérieur du tube et le mandrin, de forme conique, à l’intérieur de celui-ci afin de réduire à la fois le diamètre et l’épaisseur du tube. Les dimensions finales du tube ne s’obtiennent pas en une seule passe de laminage car les déformations et les contraintes engendrées seraient trop grandes. Trois passes de laminage sont en effet nécessaires avec des outils différents pour chaque passe et des traitements thermiques entre chacune d’elles pour réduire progressivement les dimensions du tube.
Influence sur la microstructure

La texture (orientation cristalline) obtenue après chaque passe dépend du rapport ou ratio « réduction de l’épaisseur / réduction du diamètre ». Plus ce rapport est élevé et plus le nombre de grains orientés dans la direction radiale du tube est élevé. Après écrouissage, les grains sont majoritairement orientés et déformés vers la direction de laminage et un traitement thermique de recristallisation est réalisé afin de retrouver une ductilité nécessaire pour effectuer une nouvelle passe de laminage. Ce traitement thermique se déroule généralement sous argon pour empêcher toute contamination (O2, H)) et doit être maitrisé pour éviter une croissance trop importante de grains et de précipités. La nature et la taille des précipités influencent grandement la résistance à la corrosion. Par exemple, dans les alliages de zircalloy, une bonne résistance est acquise grâce à des précipités de l’ordre de 200 nm pour une utilisation dans les REP et des précipités d’environ 75 nm pour les REB.
Enfin, une fois les 3 passes effectuées, un traitement final va donner les propriétés définitives de la gaine. Pour les alliages couramment utilisés (Zircaloy 2 et 4) deux traitements sont utilisés : une détente et une recristallisation. La détente (< 500°C) permet au niveau microstructural un réarrangement des dislocations, sans germination de nouveaux grains ou mouvement des anciens joints de grains. La recristallisation (> 550°C) : plus l’écrouissage est important, plus la recristallisation est rapide. Le temps de recristallisation dépend également de la température du recuit.
Conclusions
On l’aura compris, le process de transformation du zirconium pour arriver à une gaine est relativement complexe. De sa maitrise vont dépendre les performances et les qualités intrinsèques de la gaine.
Merci pour cet éclairage sur un matériau peu connu, mais néanmoins indispensable.
Bonjour Paul et Merci de votre intérêt pour notre article de MetalBlog sur le zirconium pour les applications nucléaires.
Bonjour
Merci des explications sur la filière d’élaboration des alliages de zirconium pour gaines. Avec, en particulier des points que je ne connaissais pas sur :
– les etapes spécifiques de purification avant le procédé Kroll
– le développement différentes orientations de texture lors des 3 procédés de déformation
L’illustration du four de refusion ressemble a un four ESR plus qu’à un four VAR : il n’y a pas de couvercle et le laitier est mentionné (slag). Ou bien s’agit t’il d’une refusion sous vide partiel ET avec un laitier ?
Bonjour Christophe. Nous sommes ravi de votre intérêt pour cet article de MetalBlog sur le zirconium, métal peu connu. Merci de nous avoir signalé l’erreur sur l’illustration du four VAR. En effet, l’illustration initiale était bien celle d’un ESR très ressemblant à celui du VAR. Les deux procédés ont pour but d’améliorer la propreté inclusionnaire ainsi que l’homogénéité du métal. Le procédé VAR produit la fusion via un arc électrique entre l’électrode consommable et le métal alors que l’ESR produit la fusion via l’effet joule dans le laitier. Maintenant, l’illustration est la bonne.
Bonjour,
Merci pour cet article qui nous éclaire sur l’élaboration de cet alliage. En terme d’utilisation il semble exclusivement dédié au nucléaire. Existe il d’autres applications ? Si oui dans quel(s) domaine(s) ?
Bonjour Fernandez et merci de votre avis très positif sur notre article de MetalBlog sur le zirconium. Oui, effectivement, l’utilisation majeure du zirconium sous forme métallique est le nucléaire. A ne pas confondre avec le zircon (Zr02) qui lui fait l’objet d’une large utilisation dans les réfractaires de fours (métal, verre, …) et produits de moulage en particulier.
Bonjour,
Je tiens à vous remercier pour l’ensemble des articles très intéressants et élaborés que vous postez sur ce blog, sur un sujet passionnant qu’est la chimie des métaux.
Bonjour Danilo. Merci de votre intérêt marqué pour les articles des experts de CTIF qui sont au service des industriels et interviennent aussi bien dans le cadre de projets collaboratifs que pour des prestations de service.
Bonjour, je recherche des valeurs de conductivité thermique du Zy-2 afin de choisir un procédé de découpe. Merci d’avance, cdt.
Bonjour Morey et merci de votre question. La conductivité du Zy-2 est d’environ 21,1 W/mK. Cette valeur est cependant dépendante de la température et varie entre 12 et 30 W/mK. On peut également utiliser des logiciels comme Thermo-Calc, avec la base ad-hoc, pour calculer la conductivité thermique en prenant en compte la composition chimique exacte pour une température donnée.
il ne faut pas confondre le zircon (ZrSiO4 et la zircone (ZrO2).
Bonjour Serge et merci de ce rappel.