
Couche d' alpha-case blanche en surface de pièce de titane TA6V.
La formation de la couche d’alpha case en surface des pièces en alliage de titane est néfaste et nécessite de réaliser des opérations d’usinage ou d’attaque chimique pour l’éliminer. Il est donc important de bien comprendre les mécanismes d’apparition et de croissance de cette couche d’oxyde, de pouvoir la caractériser et d’identifier les paramètres majeurs en cause. Cet article fait le point sur cette problématique.
Attractivité du titane et ses alliages
Le titane et ses alliages présentent une attractivité croissante dans plusieurs domaines (aéronautique, aérospatial, biomédical, …) grâce à leurs caractéristiques particulièrement intéressantes : une excellente résistance à la corrosion, une résistance mécanique spécifique élevée (rapport de la résistance à la traction sur la masse volumique) et une masse volumique faible (équivalente à environ 60 % de celle de l’acier). Il présente également un faible module d’élasticité de 110 GPa (moitié de celui l’acier inox). Les propriétés mécaniques du produit final sont largement dépendantes de la microstructure qui est principalement pilotée par l’historique thermomécanique durant la mise en forme.
Une forte réactivité avec l’oxygène
Le titane présente cependant une faiblesse non négligeable qui est sa forte réactivité à l’oxygène et par conséquent la formation des alpha cases en surface des pièces. Cette réactivité implique des contraintes au niveau des procédés de fabrication et des limitations au niveau des applications.
Les caractéristiques du titane

Le titane pur est le siège d’une transformation allotropique de type martensitique au voisinage d’une température de transition appelée transus β. En dessous de cette température, la phase α -présentant une structure hexagonale compacte- est stable. Au-dessus du transus, la phase β -présentant une structure cubique centrée- est stable. La température exacte de transformation est largement influencée par les éléments substitutifs et interstitiels et dépend donc fortement de la pureté du métal.
Étant un métal de transition, le titane peut donc former des solutions solides avec un grand nombre d’éléments d’addition. Ces éléments modifient le domaine de stabilité respective des phases β (éléments appelés bétagènes) et α (éléments appelés alphagènes). En fonction de la teneur en éléments d’addition et de la structure d’équilibre obtenue à température ambiante, les alliages de titane sont classés en trois catégories: les alliages α, les alliages α/β et les alliages β.
La réactivité du titane pour l’oxygène et la formation de l’alpha case
La réaction entre le titane et l’oxygène à température ambiante entraîne la formation d’une couche en surface fine et passive TiO2 qui est une couche protectrice contre l’oxydation et la corrosion pour divers environnements corrosifs. Cependant, à température élevée, cette couche TiO2 perd son rôle protecteur. Par conséquent, l’exposition du titane et ses alliages à températures élevées dans un environnement contenant de l’oxygène provoque la formation simultanée d’une couche d’oxyde et un enrichissement d’oxygène dans une couche superficielle en dessous de l’oxyde, appelée α-case. La teneur en oxygène diminue progressivement de l’interface au cœur de la pièce. Ce gradient en oxygène modifie les caractéristiques physiques et mécaniques de l’alliage sur une profondeur dépendant de la durée et la température d’exposition et, dans une moindre mesure, de l’alliage et de sa microstructure.
L’oxygène est un élément qui occupe les sites interstitiels du réseau hexagonal compact du titane α (comme le montre la figure suivante). La présence d’atomes étrangers (l’oxygène dans ce cas) peut engendrer des incidences importantes sur ces propriétés puisque leur présence entraîne des distorsions anisotropiques du réseau cristallin et rend difficile le glissement des plans cristallographiques due à l’ancrage éventuels des dislocations modifiant ainsi le comportement de déformation.

Si cet article traite principalement de l’oxygène, il est important de mentionner que les impuretés, qu’elles soient substitutionnelles ou interstitielles, provoquent des distorsions des réseaux cristallins et par conséquent perturbent localement la périodicité cristalline. Les impuretés interstitielles concernent généralement les atomes de petites dimensions (rayon atomique et rayon de valence) et les distorsions sont importantes dans un réseau compact. L’oxygène et l’azote sont des éléments alphagènes. La diffusivité de l’oxygène est plus importante que l’azote dans le titane mais il a également une grande solubilité dans le titane (jusqu’à 33 at.% à 600 °C).
Des alpha case en forge, en fonderie et en fabrication additive

La problématique des alpha case peut être rencontrée dans les pièces de titane issue des différents procédés de fabrication : en fabrication additive suite aux traitements thermiques ou thermomécaniques post-fabrication, en forge avec le contact pièce-matrice à température élevée et enfin en fonderie avec principalement le procédé cire perdue suite au contact et réactions métal liquide-moule céramique pendant la solidification ainsi que suite aux différents traitements thermiques ou thermomécaniques pendant les procédés de mise en forme. Des exemples d’observations d’alpha case sont donnés par la figure précédente.
L’oxydation du titane dans le diagramme d’Ellingham

L’oxydation d’un métal peut être appréhendée par le diagramme d’Ellingham qui donne une appréciation qualitative de la stabilité thermodynamique d’un oxyde à différentes températures et pressions partielles d’oxygène. Sur le diagramme, on peut constater que le positionnement du titane (dont la droite associée) est en dessous de celle du Si et du Cr. La formation d’oxyde sera thermodynamiquement possible seulement si la pression d’oxygène du milieu est supérieure à la pression de dissociation de l’oxyde en équilibre avec le métal. Les oxydes les plus stables ont les valeurs négatives les plus importantes de la variation d’enthalpie libre standard (ΔG).
L’oxydation du titane engendre la formation d’un dépôt d’oxyde qui couvre la surface et une dissolution de certains éléments /gaz à l’intérieur des pièces. Le diagramme de phase Ti-O met en évidence la possibilité de former plusieurs types d’oxydes comme par exemple Ti2O, TiO, Ti2O3, Ti3O5, TinO2n–1 (4 < n < 38) et l’oxyde TiO2. Il révèle également le caractère alphagène de l’oxygène. En effet, le domaine de stabilité en température de la phase α augmente avec la teneur en oxygène. L’oxyde le plus courant est le TiO2 (concentration supérieure à 33 at.%) et il existe sous trois formes allotropiques. La formation d’une forme plutôt qu’une autre dépend de la température et de la pression lors de la formation de celle-ci. A pression atmosphérique, c’est la forme anatase qui est majoritairement formée à basse température. Pour des températures comprises entre 600 et 850°C, c’est la phase « haute température » sous sa forme cristallographique rutile qui se forme. La phase brookite n’a été que très peu étudiée et se forme sous certaines conditions de pressions. La diffraction aux Rayons X (DRX) peut être utilisée afin de déterminer la nature de l’oxyde formé en surface des pièces de par la signature spécifique à chaque structure cristalline.

La couleur et la morphologie de la couche d’oxyde varient en fonction de son épaisseur (figure suivante). Tant que l’oxyde est mince, d’épaisseur comprise entre quelques Angströms et 20 à 30 nm, il est transparent et l’échantillon de titane garde alors son éclat métallique. Dès que l’oxyde s’épaissit, le film acquiert par contre une couleur due aux effets d’interférence de la lumière.

Les cinétiques d’oxydation
Les études qui ont portées sur la cinétique d’oxydation ont été principalement menées sur le titane CP (commercialement pur). L’influence de la température et de la durée du maintien thermique sur la cinétique de la réaction d’oxydation a été mise en évidence. Pour le titane CP, il a été observé que l’oxydation suit un comportement logarithmique à basse température en dessous de 400 °C, qui devient cubique en dessus de cette température (entre 400 et 600 °C) et suit une croissance selon une loi parabolique pour des températures entre 600 et 700 °C. En revanche, pour les temps de maintien prolongés, il y a modification de la cinétique de croissance qui de parabolique devient linéaire. A température élevée -au-delà de 900°C- l’oxydation suit une loi linéaire avec des taux plus faibles après exposition prolongée.

Pour le titane pur, l’oxydation de type logarithmique induit en particulier une fine couche d’oxyde. Par contre, l’oxydation de type cubique et parabolique sont associées à une formation d’une couche d’oxyde accompagnée de la diffusion de l’oxygène à l’intérieur de la pièce. Pour les alliages de titane, la cinétique d’oxydation est plus complexe à cause de la présence des éléments d’alliages qui permettent de former d’autres phases et d’autres types d’oxydes. Les coefficients de diffusion de l’oxygène dans l’alliage TA6V par exemple ont été mentionnées dans certains travaux et les valeurs dépendent de la température d’exposition : 8. 10-13 cm2/s à 600°C, 1.10-11 cm2/s à 750°C et 10-12 cm2/s à 953°C.
Les caractéristiques de l’alpha case et impact de l’enrichissement en oxygène
Une augmentation de la teneur en oxygène induit une augmentation des niveaux de contrainte et de la dureté ainsi qu’une perte de ductilité. Cet impact sur les propriétés mécaniques du titane CP est similaire pour une augmentation de la teneur de l’azote ou du carbone comme le montre la figure suivante.

Dans le cas de la formation de couche alpha case, la concentration en oxygène diminue ainsi régulièrement depuis la surface vers le cœur de la pièce. Cet enrichissement selon une profondeur donnée dépendante des conditions opératoires (niveau de température, maintien, durée, …) confère à cette couche une dureté supérieure (engendrant des difficultés d’usinage et l’usure des outils) et impacte également les propriétés de la pièce avec une perte de ductilité, une détérioration de la résistance en fatigue et des propriétés moindre en termes de résistance à la corrosion. La présence de la couche enrichie en oxygène est donc néfaste car elle est identifiée comme une couche fragile susceptible de favoriser l’initiation de fissures et leur propagation sous sollicitation. En effet, les microfissures déjà présentent dans la couche d’alpha-case vont servir de zone d’amorçage et d’initiation des fissures qui vont ensuite se propager et limiter la durée de vie de la zone de pièce affectée.
L’impact sur les propriétés mécaniques en fatigue
La performance en fatigue est une caractéristique primordiale pour plusieurs applications à forte valeur ajoutée. Plusieurs paramètres et caractéristiques des pièces ont un rôle important dans les résultats en fatigue, tels que la microstructure, la présence de texture, l’état de surface, … Plusieurs études ont mis en évidence l’abattement en fatigue des éprouvettes brut versus des éprouvettes usinées. L’état de surface, dégradé par la présence de l’alpha case, engendre un abattement des performances en fatigue. La nocivité de la présence de l’alpha case et la quantification de son impact en tant que défaut en surface sur les performances en fatigue ne sont cependant pas encore clairement établis. Certaines études se sont penchées sur cette problématique et mettent en évidence que l’alpha case peut induire des sites d’amorçage initiant prématurément la phase de propagation des fissures lors des essais de fatigue sur pièces.
La caractérisation de la couche d’alpha case
Les couches alpha case sont facilement reconnaissables lors des observations micrographiques réalisées sur coupe grâce à une brillance plus prononcée que le cœur de la pièce après une attaque chimique adéquate au réactif de Weck. Ces observations permettent de déterminer la profondeur des couches d’alpha case. Les observations métallographiques peuvent être couplées avec des filiations de mesure de dureté (figure ci-dessous) à partir de la surface afin de déterminer plus finement la profondeur de la couche alpha case.

Des observations au MEB (Microscopie Electronique à Balayage) ainsi que des mesures EDS permettant d’évaluer la répartition des différents éléments chimiques peuvent être réalisées. Dans le cas de l’alliage TiA6V et à travers des mesures EDS, des zones plus appauvries en éléments chimiques peuvent être détectées au niveau de la couche alpha case. De par leur critère alphagène et betagène, l’aluminium et le vanadium sont plus solubles respectivement dans la phase alpha et dans la phase beta. Des mesures de gain en masse (exprimé en mg/cm2) sont également possibles pour vérifier l’occurrence de l’oxydation des pièces et l’enrichissement en oxygène. La pesée des éprouvettes utilisant des microbalances de précision (±0.1mg) est réalisée avant et après le traitement thermique. Ces moyens sont complémentaires et les valeurs des profondeurs des alpha case déterminées à partir de ces différentes techniques « conventionnelles » peuvent être légèrement variables pilotés par la précision de la mesure.
L’élimination de la couche d’alpha case
L’effet néfaste de la présence des alpha case oblige les industriels et les fabricants de pièce en titane à éliminer cette couche, ce qui représente un délai supplémentaire de production et cout non-négligeable. Plusieurs moyens d’élimination sont utilisés. Les plus courants sont l’usinage mécanique, l’usinage chimique ou encore le décapage par attaque chimique. Le décapage par attaque chimique consiste en un traitement des pièces dans des bains chimiques spécifiques (un mélange d’acide fluohydrique HF et d’acide nitrique HNO3 dans une solution aqueuse). La concentration d’acide et la température du bain sont les deux paramètres qui pilotent le taux d’élimination de la couche d’alpha case. L’acide fluorhydrique HF dissout l’oxyde et le titane métallique. Le controle régulier du bain, en particulier les ratios des solutions acides, est fortement recommandé à cause de la possibilité de la formation d’une grande quantité d’hydrogène qui peut être, par la suite, absorbée par le titane.
Mieux maîtriser les alpha case
Les efforts sont tournés vers la compréhension du rôle des différents paramètres et conditions opératoires des diverses étapes des procédés impliquant la formation des couches alpha case et leur optimisation dans l’objectif d’éliminer ou minimiser sa formation. D’un autre côté, étant donné que les enjeux de la finition et de la fonctionnalisation des surfaces des pièces sont cruciaux pour de nombreux secteurs industriels (aéronautique, automobile, énergie, médical, …), plusieurs nouvelles solutions techniques de parachèvement sont en cours de développement et leur efficacité reste encore à prouver.
CTIF continue d’étudier les couches d’alpha case en surface des alliages de titane (meilleure compréhension des paramètres influents, optimisation de la gamme de TTH pour limiter les épaisseurs formées, traitements d’élimination, …).
Bonjour,
c’est un article très intéressant et qui nous laisse sur notre faim de connaître la suite, notamment sur le parachèvement des pièces et la maîtrise de l’alpha case lors du traitement thermique.
Je connais votre centre technique pour ses connaissances dans les matériaux, et continue à apprécier ces analyses au travers ces différents articles. Mais je reste persuadé que vous êtes allé plus loin dans votre analyse.
Pourriez vous me dire comment accéder à la suite de votre étude ?
Cordialement
Bonjour Thierry et merci de votre intérêt marqué pour nos articles publiés sur MetalBlog. Nous pouvons diffuser certains résultats de projets dit collectifs ou collaboratifs pour lesquels un article a déjà été publié. Cependant, un certain nombre de projets que mène CTIF sont d’ordre privé et vous le comprendrez les résultats ne sont pas diffusables.
Bonjour,
Les résultats expérimentaux sur la caractérisation de la couche de diffusion proviennent en réalité d’une thèse de License de l’Université de Lulea en Suède. Mais comme il n’y a aucune référence dans cet article ce n’est pas évident au premier regard.
http://ltu.diva-portal.org/smash/record.jsf?pid=diva2%3A999194&dswid=4431
Nicolas Vaché
Bonjour Nicolas et merci de cette précision.
Merci pour Les informations ,tu peux me donner exactement la composition de WECK.
Bonjour et merci pour votre intérêt pour le blog du CTIF. La composition du réactif de Weck est 100 ml H2O + 5 g NH4HF2 (ou bifluorure d’ammonium).
Bonjour, est-ce que vous savez à partir de quelle température on peut observer la formation d’alpha case sur du TA6V ?
Merci d’avance!