
Micro dureté Vickers - image MEB.
La mesure de dureté, largement utilisée dans les essais de contrôle en phase de production ou en phase amont (R&D, prototypes…) a évolué, passant d’une mesure souvent empirique à des tests normalisés. Si les formes d’indenteurs n’ont pas fondamentalement changé (sphère, pyramide, ..), les échelles de caractérisation ont elles été considérablement élargies vers les très petites dimensions. En effet, la zone sollicitée par l’indenteur est passée progressivement d’une échelle macro à une échelle micro pour plus récemment s’intéresser à une « nano-zone » avec la possibilité de caractériser différentes phases en présence et de remonter par calcul aux propriétés mécaniques du matériau.
Difficultés d’échantillonage de la matière à caractériser

Dans une production industrielle de pièces, il y a toujours suffisamment de matière pour effectuer les différents tests de contrôles, mécaniques notamment (Rm, Rp0,2), qu’ils soient ou non destructifs. En revanche, une fois ces pièces ou structures installées et mises en service, l’économie de matière s’impose de façon absolue et vient singulièrement compliquer le suivi et la maintenance préventive des installations, notamment dans les zones dites « critiques ». Dans un même registre, la rareté (prototypes), la faible taille des pièces ou des zones prélevées – mais que l’on souhaite pourtant caractériser – conduit à la même nécessité d’identifier et d’appliquer des méthodes peu voire non invasives. Enfin, dans les matériaux à gradient, bicouches ou multi-constitués, tels les cordons de soudure, il est nécessaire d’avoir des mesures suivant une localisation spatiale précise.
La mesure de dureté très largement utilisée
La pratique a consacré la mesure de dureté comme méthode privilégiée pour la caractérisation locale des propriétés mécaniques. Cependant, sous ses apparences de simplicité, une mesure de dureté est un véritable essai mécanique. Il convient dès lors de parler d’indentation et de dépasser le seul « nombre de dureté », pour exploiter toute la richesse, physique et métallurgique, de ce type de test. On propose ainsi un bref rappel, appuyé sur les normes, sur les essais standards de dureté, complété par un focuss sur deux techniques plus récentes de caractérisation, aujourd’hui matures, qui permettent une identification locale des propriétés mécaniques des matériaux.
Un peu d’histoire
Depuis les temps très anciens, indentation et rayure ont été intimement mêlées dans les pratiques de gravure et d’écriture. Afin de créer une empreinte rémanente sur un substrat, l’idée d’utiliser un autre matériau « plus dur » s’est naturellement imposée, que ce soit à des fins artistiques, économiques (écriture comptable dans une tablette en argile ou en bronze…) ou didactiques… On peut évoquer MOHS, dont l’histoire a retenu la méthodologie pour dresser l’une des toutes premières échelles de dureté. Il s’agissait en l’occurrence de frotter l’un contre l’autre différents couples de minéraux afin de les classer, suivant qu’ils étaient rayés ou non. Le minéralogiste allemand Friedrich MOHS (et ses contemporains vers 1812) ont ainsi établi une échelle comptant 10 minéraux de référence, allant du talc (1, très tendre) au diamant (10, très dur). A noter que cette échelle a toujours cours pour le classement des grains abrasifs utilisés en métallographie.
Les différents essais de dureté conventionnels

Les tests de dureté que nous connaissons aujourd’hui ont été mis au point et normalisés pour la plupart au début du 20ème siècle, lors de l’industrialisation des productions d’objets et pièces métalliques, qui requérait un moyen rapide de contrôle de leurs propriétés mécaniques. Il existe de nombreux tests de dureté : Brinell (1900-1921, Suède), Rockwell (1908-1914, USA), Vickers (1921, Angleterre), Knoop (1939, USA) avec des correspondances entre les différentes échelles. Ces tests différent entre eux essentiellement par la forme de l’indenteur utilisé (sphère, brale, pyramide carrée ou losange) ainsi que par la gamme des charges appliquées. Le tableau ci-dessous donne les références des normes correspondantes (JIS : Japanese Industrial Standard).
Brinell (HB) | Rockwell (HR) | Vickers (HV) | Knoop (HK) |
ISO 6506-1 à 4 (2014) ASTM E10-14 JIS Z 2243 | ISO 6508-1 à 4 (2016) ASTM E18 JIS Z 2245 | ISO 6507-1 à 4 (2018) ASTM E384-11e1 (2017) JIS Z 2244 (2009) | ISO 6507-1 à 4 (2018) ASTM E384-11e1 (2017) JIS Z 2244 (2009) |
Correspondance entre dureté et propriétés mécaniques
En 1881, les travaux de Hertz sur le contact entre deux solides élastiques de révolution (sans frottement) ont permis de corréler le module d’élasticité aux essais de dureté. On sait également depuis Tabor, 1951, qu’il existe une relation de proportionnalité entre dureté et contrainte d’écoulement, soit Rm ≈ 3,5 x HB (ou Rm ≈ 3 x HV), applicable aux aciers peu alliés et aux aluminium en première approche. Des régressions statistiques plus récentes sur différentes catégories de matériaux métalliques, ont cependant montré que la relation entre dureté et Re ou Rm est plus généralement affine que linéaire.
Applications traditionnelles
On distingue habituellement les essais de macro-dureté et ceux de micro-dureté par une limite quant à la charge appliquée, celle-ci étant posée à 1 kgf (kilogramme-force), soit 9.81 Newton. Les essais Brinell et Rockwell correspondent ainsi à des mesures de macro-dureté cependant que les essais Knoop concernent la micro-dureté et que les essais Vickers couvrent toute la gamme des duretés. Les tailles des zones sollicitées mécaniquement lors d’un essai de dureté sont corrélées aux charges appliquées. De sorte que plus la charge est petite, plus la zone d’intérêt peut être ciblée précisément et caractérisée. On réalise ainsi habituellement des filiations de micro-dureté (un point tous les 50 µm typiquement) qui permettent notamment de mettre en évidence des durcissements locaux (couches nitrurées, phases spécifiques…), en complément d’examens micrographiques. De plus en plus répandues actuellement, des cartographies 2D (hardness mapping en anglais) sont également réalisées sur platine automatisée afin d’offrir une caractérisation plus large et précise des microstructures.
Nouveaux développements ; instrumentation et simulation numérique

A partir des années 1980, l’instrumentation des machines d’indentation permet d’enregistrer et d’exploiter à la fois le déplacement (h) de l’indenteur et la force (f) nécessaire ou appliquée pour ce même déplacement. Plus précisément, la courbe de charge et décharge, comme illustré par la figure ci-dessus (vue de gauche), donne f en fonction de h. La pente caractéristique de la décharge (S) permet de remonter au module d’élasticité du matériau. La caractérisation des propriétés mécaniques ne repose donc plus seulement sur la mesure de la taille (diagonales) de l’indent (empreinte) laissé dans le matériau, mais sur l’analyse de la réponse dynamique et temporelle que produit le matériau lors de la sollicitation mécanique qu’on lui impose. La démarche est donc tout à fait analogue à celle des essais mécaniques macroscopiques traditionnels (par exemple tests de traction), mais se complique singulièrement par le fait que les contraintes et déformations ne sont habituellement pas homogènes. L’analyse et l’exploitation de ces champs de contraintes/déformations impose en général de recourir à la simulation numérique (par éléments finis). La forme de l’indent (et non plus seulement sa taille) constitue également une très bonne source d’informations pour la caractérisation mécanique locale des matériaux (figure ci-dessus, vue de droite).
Cette instrumentation couplée aux modèles numériques de comportement des matériaux permettent d’identifier plus finement les caractéristiques mécaniques (y compris les lois rhéologiques…). Cette méthodologie qui permet d’avoir accès à des propriétés très locales de la matière, peut s’avérer indispensable dans des approches micro-mécaniques de modélisation du comportement des matériaux (phases multiples, matériaux fortement hétérogène, expertise d’avarie…)
Nouveaux indenteurs

En complément de l’instrumentation, quelques nouvelles géométries/formes d’indenteur sont apparues, étant plus faciles à réaliser que les pyramides base carrée Vickers, mais conservant la même « fonction d’aire ». On peut citer notamment le type Berkovich, Cube corner ou les formes coniques.
Caractérisation mécanique locale par indentation et perforation instrumentées

On peut distinguer essentiellement deux types d’essais : l’indentation instrumentée et les essais de perforation de petits disques (Small Punch Testing). L’indentation instrumentée a permis de développer plus avant encore que la micro-dureté une diminution des échelles de caractérisation mécanique des matériaux. En outre, il est possible d’appliquer des cycles de chargement et de déchargement sur le substrat et donc de tester les matériaux en fatigue et/ou fluage. Les essais de perforation de petits disques (Small Punch Testing) consistent à solliciter de manière destructrice des disques de matière aux dimensions très faibles (Φ 8 x h 0.5 mm ou Φ 3 x h 0.25 mm). Ceux-ci sont poinçonnés en leur milieu avec là encore un suivi très fin du déplacement du poinçon et de la force appliquée. La corrélation avec des simulations numériques par éléments finis permet de déterminer les grandeurs mécaniques locales du matériau.
Des essais d’indentation et perforation instrumentées normalisés
Ces deux types d’essais sont arrivés à maturité dans les laboratoires et commencent à diffuser plus largement dans le domaine industriel. Preuve de cette maturité et de l’intérêt élargi pour ces techniques, il existe depuis 2015 deux normes, l’une ISO, « 14577-1 à 3 (2015) Matériaux métalliques – Essai de pénétration instrumenté pour la détermination de la dureté et de paramètres des matériaux – Partie 1 : Méthode d’essai », et l’autre ASTM, « E2546 (2015) Standard Practice for Instrumented Indentation Testing (IIT) ». Cette norme reprécise notamment les trois gammes d’indentation instrumentée : macro-micro-nano (tableau ci-dessous) qui se différencient par la charge appliquée (F) et la profondeur (h) de pénétration de l’indenteur.
Macro-plage | Micro-plage | Nano-plage |
2N ≤ F ≤ 30 kN | F < 2N, h > 0,2 µm | h ≤ 0,2 µm |
Un point d’attention est à signaler pour souligner une difficulté d’interprétation des résultats dans la gamme nano, et symbolisé par l’acronyme « ISE » pour Indentation Size Effect. Il traduit la variation de dureté en fonction de l’échelle où on la mesure. Des problématiques physiques doivent être prises en compte (« Geometrically Necessary Dislocations » versus « Statistically Stored Dislocations » entre autres) pour interpréter les résultats mais la « communauté scientifique » n’est pas encore unanime sur ces aspects. Les essais de perforation de petits disques (Small Punch Testing) devraient, quant à eux, bénéficier d’une première norme EN courant 2019. Elle est actuellement en cours de finalisation par l’European Committee for Iron and Steel Standardization (ECISS), Technical Committee 101, Working Group 1.
Passage des tests de dureté aux essais d’indentation instrumentée

On l’aura compris au travers de ce bref résumé : au fil du temps, les essais de dureté sont successivement passés de la macro dureté (Brinell, Rockwell) à la micro-dureté (Vickers, Knoop) permettant notamment de réaliser des filiations de dureté puis, plus récemment, à la nano-indentation. On parle souvent dans le calcul numérique de simulation multi-échelle (passant du micro au méso puis au macro). C’est le même concept qui prévaut ici avec la possibilité d’appréhender les matériaux à plusieurs échelles. L’indentation instrumentée permet en particulier, par la mesure couplée au développement de modèles de lois de comportement, de déterminer le comportement mécanique d’un matériau alors que le volume disponible est insuffisant pour des essais mécaniques standards (essais de traction) ou pour analyser très finement des changements de comportement sur un même échantillon (couches minces, diffusion de carbone ou d’azote, composites à matrice métallique, interface entre matériaux hétérogènes…).